Grâce à vous, il y a encore “ce Liban que j’aime”

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De retour ici dans ma vie d’expatriée et/ou d’exilée, j’adresse mes remerciements à tous mes compatriotes libanais, car c’est grâce à vous qu’il y a encore “ce Liban” que j’aime.

Entourée de bonheur, vous avez soigné mon âme assoiffée de retour et ce retour reste pour moi une question. En 33 ans de vie “extra-libanaise”, hors du pays et faisant partie de cette diaspora éparpillée, je ne m’y étais jamais rendue 2 fois en une intervalle de 15 jours. Il faut dire qu’un esprit nouveau au pays m’attire et me donne l’espoir d’un “Rassemblement” autour de nouvelles bases.

Mes excuses, d’abord, vont à toutes celles et ceux qui auraient voulu et que j’aurai aimé voir ; le temps fut court. Je n’ai pas pu vous rencontrer tous, mais je vous garderai comme bouquet dans mon cœur.
Merci à tous ceux qui m’ont dit leur affection, car c’est de cette affection que je puise mon ambition. C’est grâce à vous que je sens dans le fond de moi même, ma ” libanité لبنانيتي ” ancrée.

Mes remerciements vont à chaque personne avec qui j’ai discuté, parlé, échangé, … J’ai essayé de comprendre un peu plus de près. C’est avec vous et votre manière de dialoguer avec moi et franchement que j’arriverai à saisir le sens de nos divergences. J’ai compris, loin des débats télévisés de ces hommes en costumes et cravates, qui se prennent pour l’élite du pays mais qui ne savent plus dialoguer, qu’il y a encore une élite qui sait réfléchir, parler, dialoguer, échanger, même si l’autre n’est pas d’avis. C’est ça mon pays natal. Des gens d’une valeur inestimable avec qui on a envie de passer des soirées entières à en parler, quitte à vouloir philosopher ou changer le monde.

Merci à toute personne qui, par affection, a voulu m’exprimer son point de vue interne au sujet de la situation au pays, car je sais que chaque personne de vous me parlait sincèrement de son vécu et de sa façon de voir les choses. Je voulais comprendre pourquoi mon peuple était silencieux ou manquait de réactivité… Je voulais comprendre pourquoi mon peuple était si résigné, ou indifférent à telle ou telle situation. J’ai vu dans vos paroles des réponses parfois concrètes, parfois ambitieuses, parfois farfelues où le rêve se mêle à la réalité. Plus vous m’en parliez et plus je trouvais que mon rêve à moi, même s’il est difficile, il sera réalisable…

Sans vouloir juger les uns ou les autres, à tort ou à travers (vous me le pardonnerai au cas où je vous donne cette impression), j’estime que les libanais multiconfessionnels sont aussi multiculturels à l’adhésion multivoque, multivalente… Une multitude d’explication à une situation quelconque… Mais reste une question à laquelle je n’ai pas eu de réponse : ” Pourquoi en sommes-nous arrivés à ça ? “

Nous libanais de la terre et de la frontière, avons en commun cette appartenance à une même terre, mais nous ne sommes pas tous égaux. A table, souvent, nous étions réunis autour de la “bonne bouchée” اللقمة الحلوة et nous discutions et débattions… Nous étions tous de “religion” différente, un modèle mini de la société civile libanaise. Même réclamations, même constats, même exigences, mais des explications différentes face et pour chaque attente. Mais en fait, le problème initiale ne serait pas vraiment dans nos divergences d’avis. Un constat amer me frappe alors en plein cœur : Nous sommes déjà tous inégaux les uns par rapport aux autres ! Sous prétexte de la belle entente communautaire des libanais, nous avions tous empruntés les chemins de l’inégalité citoyenne.

A table réunis, tout en partageant ces délices libanaises, tout en trinquant chacun selon ses désirs et ses envies et ses tolérances religieuses, nous étions déjà inégaux les uns par rapport aux autres. A ma gauche et ma droite, deux personnes, de religions différentes ; en face de moi, pareil, trois autres personnes de religions différentes, sur les deux côtés de la table, pareil… Nos droits civils à nous tous amis réunis, lors d’une soirée, ne sont pas identiques.

Une question sociétale, religieuse, communautaire ou autre, posée à l’un de mes amis, sera obligatoirement différente par rapport à l’interprétation donnée par un autre, car son cadre référentiel n’est pas la société mais sera plutôt son appartenance ou l’appartenance de l’autre à sa communauté. Les droits civiques ainsi séparant les libanais entre eux, seraient aussi à la base de cette divergence politique et identitaire. Car notre référence à nous tous, notre répertoire à nous tous, est celui de la communauté et non pas celui de la société, notre société, notre Liban à nous tous.
En fait, c’est quoi être libanais ? Où sont nos droits civils communs ? Et comment sont-ils classés, répertoriés ?

Permettez-moi une parenthèse en guise d’exemple. La veille de mon retour d’un rendez-vous de Hazmiyé حازمية, le taxi avait emprunté le quartier de Forn-el chibbek قرن الشباك. Le hasard a voulu que la voiture s’arrête au coin de la rue au pied de l’immeuble de l’Office du Développement Social (ODS) مصلحة الانعاش الاجتماعي والمديرية العامة للهيئة العليا للاغاثة . L’embouteillage m’a permis un arrêt sur image. Je voyais défiler mes souvenirs au pied de cet immeuble qui regroupait l’élite de fonctionnaires jeunes récemment recrutés ou plus âgés expérimentés qui ont dû tous passer un concours pour y accéder. A peine mes 18 ans, j’avais passé aussi ce concours de “majles el Khidmé” مجلس الخدمة الوطنية pour accéder à un poste de la fonction publique de cet office ” l’ODS مصلحة الانعاش الاجتماعي. J’ai été retenu parmi les candidates, grâce à mon classement et surtout grâce à mon appartenance communautaire une “sunnite de Beyrouth”. Un autre qui pouvait être meilleur que moi mais d’une communauté autre, ne l’aurait pas eu car déjà un de sa communauté est mieux classé que lui. La répartition des postes de la fonction publique est ainsi : Il faut être le meilleur au sein de sa communauté et les meilleurs des 6 communautés répertoriés y auront accès. Si sur le fond on pourrait accepter la répartition communautaire pour les postes de la fonction publique, qu’en est-il vraiment dans la vie réelle des libanais ? Leur quotidien ne reflète-t-il pas cette dure réalité ?

Ce n’est plus un secret pour les libanais de dire que les règles communautaires régissent et conditionnent la vie de tout un peuple, même si sur le fond on clame notre appartenance identitaire, nous sommes déjà séparés par notre répartition religieuse. Ce voyage au cœur de ma ” libanité ” لبنانيتي, m’a permis de toucher, de palper, de saisir, le vrai problème libanais.

Mes compatriotes, cessons d’accuser les étrangers de notre sort, nous sommes les victimes de nous-mêmes. Ces règles qui sévissent, qui régissent, qui classent les libanais entre eux en classe, en caste, en degré et sous-degré, sont à la source même de nos divergences et nos différences. Sans vouloir toucher aux fonctions suprêmes de l’ État, au quotidien, les droits civils des libanais ne sont pas les-mêmes. Les libanais entre eux ne sont pas égaux. Mon dîner avec mes amis, m’a fait constater cette amère réalité…

Des intellectuels, des cadres (politiques ou autres) de haut niveau, réunis tous , les uns aussi importants que les autres, par leurs bagages intellectuels, leurs expériences et leurs façons de réfléchir, mais aucun égal à l’autre en matière de droit civil …. Pour moi, qui trente trois ans durant, avais vécu dans une société où les droits civiques sont prioritaires, sont l’unique référence pour une vie partagée avec l’autre en société, ce constat fut frappant ! Hallucinant ! Impressionnant !.

Une seule exigence s’impose : le changement ! le renouveau ! Il y a un début à tout ! L’heure du changement a sonné . Si vraiment le peuple libanais cherche encore à s’identifier à un pays, à son pays, il ne nous reste qu’un seul “Rassemblement” ! Il est l’heure d’acclamer le changement.

Jinane Chaker-Sultani Milelli

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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