Loin de toute Polémique et de toute surenchère…

De la scène internationale à la scène locale, tout un déferlement d’articles, de messages, de polémiques et de critiques… Un pèle mêle où les relations diplomatiques se heurtent aux critiques des libanais, laissés seuls face à leur désarroi. Un mélange de contradictions et de surenchères qui me laisse dans l’incompréhension. Le « Moi » laissé-pour- compte ; et ce Moi que je désigne ici, pourrait être, au niveau individuel, chacun de vous ; au niveau structurel, l’armée ; au niveau national, le pays en entier. De plus en plus en plus des critiques acerbes visent nos politiques. C’est normal, me dira-t-on, ils sont en premières lignes et sont les premiers concernés par la dégradation du pays et l’image décapitée qu’ils donnent au pays du Cèdre. Et le peuple dans tout cela ? Qu’en est-il du citoyen libanais ?

Mais, au delà de toutes les accusations qu’on reproche à l’Etat major ou au peuple, j’ai l’impression de ne plus rien comprendre à l’engouement que prend un événement médiatique au dépend d’un autre, à croire que les choses farfelus prennent le dessus rien que pour s’aérer les esprits. De « Je suis Charlie, à l’affaire de Mia Khalifé, au Selfie de la Miss Liban, Sally Greige, à la perfection de Hiba Tawaji sur chaîne française, coté distraction, passant par le côté plus sérieux, l’armée, son dévouement et ce qu’elle subit face au danger et comme bouquet, le décès d’un Roi d’une envergure internationale…

Je pointe du doigt l’engouement médiatique pour une affaire ou une autre et je me dis qui est derrière tout cela ?

Qui est le premier responsable et qui donne le tempo ?

Pourquoi on s’affole, on s’électrise pour un événement qui peut être aussi banal que furtif et pourquoi nous restons si indifférent ou si peu nombreux à réagir face à une cause nationale, à un enjeu primordial ?

Qui anime ce monde derrière les écrans et qui est à l’origine de cet emballement médiatique ?

Quel rôle joue la communication et la médiatisation dans l’intercompréhension ou la discordance entre les libanais? Comment fonctionnent-elles dans la diversité des processus de communication ?

Comment cet engouement est-il structuré et en quoi diffère-t-il entre eux ? Pourquoi l’un dépasse les frontières et l’autre reste étouffé ?

En quoi la communication joue-t-elle un rôle clé influant dans notre façon de voir les choses ?

En quoi le « langage message » dépend-il de structures cognitives profondes, à savoir, notre faculté de raisonnement logique, de jugement moral ou esthétique, notre perception, raisonnement, décision et de notre mémorisation des faits. Autrement et sociologiquement parlant, par quels mécanismes influence-t-il nos façons de penser ?

Je me contente de poser publiquement ici, quelques-unes des questions et des interrogations en matière de « science du langage et de la communication », notamment sous ses aspects « socio-communicatifs et cognitifs », ainsi que les nombreux processus communicationnels qui nous permettent de « faire société » [définition de « faire société » :   c’est l’état des êtres vivants qui vivent dans un groupe organisé, un groupe de personnes réunies par des intérêts communs d’ordre économique, ou un groupe de personnes entre lesquelles existent des rapports durables et organisés, ou un groupe de personnes rassemblées autour d’un centre d’intérêt…]

Je ne m’attarderai pas dans une analyse socio-culturelle et anthropologique et pourtant, il y a urgence. J’invite mes confrères et compatriotes sociologues et anthropologues au pays, s’ils ne l’ont pas encore fait à me rejoindre dans ma quête de vérité et analyser ce phénomène, dans le seul but de faire prendre conscience à la population d’une dérive nationale qui, par l’engouement et l’excitation d’un phénomène, nous éloigne de l’intérêt qu’on doit porter à l’essentiel.

Dans ma ligne de mire, je pointe les médias, premier responsable de ce désarroi. Communiquer c’est autre que polémiquer, même si la polémique fait partie d’un style de communication bien réfléchi. Je sonne l’alarme et j’alerte sur la nécessité de repenser et de problématiser la « polémique » telle qu’elle ressort aujourd’hui des pratiques journalistiques et médiatiques les plus diverses, des articles d’opinion dans la presse quotidienne libanaise à l’Internet, aux modes de communication des mouvements sociaux.

Une polémique est de faite un contre discours, un anti-discours. Elle se focalise sur le discours de l’autre pour le rejeter. Mais souvent, ce jeu n’est pas transparent, d’où la nécessité de prendre conscience qu’un simple « tweet » ou simple phrase postée sur « facebook », pourrait avoir des dimensions autres, que le simple bavardage autour d’un café à la libanaise, les  « sobhiyyet » où l’on se rencontre, on papote, on discute de tout et rien…

Le message polémique est obligatoirement une réaction au mot de l’autre qui assure la visibilité d’une confrontation, donc un rapport conflictuel à l’autre, un affrontement de positions antagonistes : « Toute parole polémique est issue du conflictuel ».

Ces derniers jours, je n’ai vu que ça sur facebook. Ma neutralité civile et le fait d’être une citoyenne hors frontière, me permettent encore de voir des choses, que d’autres hélas, ne voient plus, force de s’y habituer. Avec le recul, tout en regardant la scène libanaise via ses internautes, je me pose les questions suivantes :

Pourquoi les libanais, sur les réseaux sociaux, s’enflamment pour une cause ou une autre ?

Pourquoi souvent, c’est la polémique qui l’emporte ?

A-t-on contaminé le web de ces conflits internes du pays ?

Sommes-nous en train de vivre une radicalisation du web ?

Sommes-nous en train de subir l’incompatibilité des deux clans et l’inexistence de toute solution intermédiaire ?

Le face-à-face de deux positions opposées et en apparence inconciliables incarnées par des acteurs réels entraîne la nécessité, pour chacun d’entre eux, de faire adopter son point de vue en discréditant celui de l’autre. Une stratégie qui ravage sur son passage les membres de la société civile qui jusque là sont restés à l’abri des divergences et des clivages…

Avec le moindre soupçon de l’émergence d’un phénomène autre que ces deux clivages, je constate l’explosion d’un fait banal qui prend le dessus et désoriente la masse vers un objectif autre que ce qui aurait pu ou dû l’intéresser … Le nombre de partage d’une information devient inéquitable et cela est orchestré par les internautes eux-mêmes qui se sentent plus ou moins concernés ou pas par l’information. Cela, à mes yeux, n’est pas anodin.

Les appels de la société civile aux regroupements citoyens pour une cause nationale, le soutien et l’encouragement de l’armée, à titre d’exemple, tombent dans l’oreille d’un sourd ; même quand les efforts sont réunis, on peine toujours à prendre le dessus, comparé à l’affaire de « Mia Khalifé » ou l’affaire des « seins nus » de la skieuse ou encore l’affaire de déplacement des hommes politiques libanais pour les condoléances du Roi d’Arabie. J’ai l’impression d’être dans ce café d’antan qu’on appelait  « ahwit al-zujaj » قهوة الزجاج, le café de verre » où l’on devient de simple spectateurs et commentateurs d’événement pour lesquels nous avons perdu le contrôle et nous n’avons plus notre mot à dire.

Le discours et l’anti-discours, celui du proposant et l’opposant, prennent le dessus, faisant du citoyen un simple spectateur regardant le va et vient d’une balle de ping-pong tout en s’exclamant pour un oui ou un non mais sans danger, mais sans répercussion. La balle est hors portée et les deux clans continuent à ce la partager. L’écart des intérêts des uns et des autres fait augmenter les surenchères des critiques et nous égare de la cible ; faute de succès, la société civile se rabat sur ces hommes politiques au Pouvoir pour leur exprimer le mécontentement général d’un pays qui suffoque. « Polémique » et « citoyenneté » ne font pas bon ménage. Un déferlement de haine et de surenchères crève l’écran, je le vis à distance comme un vrai malaise du peuple libanais.

L’affaire du « Selfie » de Sally Greige, Miss Liban (pour ne pas revenir à celui de Mia Khalifé) était d’un déchaînement médiatique comme si c’était la fin du monde et voilà que le ministre, déclare l’ouverture d’une enquête comme s’il voulait calmer les esprits. On dirait que le « Selfie » était prioritaire à d’autres questions au pays… Un thème farfelu qui prend le dessus, pour égarer le citoyen de ses réels besoins… Mais si les médias responsables de telle chaos, avaient seulement pris en compte l’intérêt de notre image médiatique en tant que libanais, ils auraient évité à la Miss, une image médiatique négative, qui a fait d’elle une personne aussi critiquée sur la scène internationale.

Sommes-nous devenus si aveuglés par ces petits détails que nous ne sommes plus capables de voir l’intérêt commun de notre pays et sa place indispensable sur la scène internationale ?

Pourquoi faire payer le prix à nos compétiteurs, alors qu’ils ne font qu’améliorer l’image d’un Liban en péril ? Là aussi, nous avons assisté à la naissance d’une polémique voulu et créer par des responsables occupant les médias …

Quant à l’affaire des trois jours de deuil accordés pour le décès du Roi d’Arabie et le déplacement en masse de nos hommes politiques, elle a permis de pointer le doigt sur un malaise que vit le peuple face au danger qu’encours l’armée, cette armée digne de notre respect et qui assure physiquement et psychologiquement notre sécurité. Les libanais de la société civile réclamait déjà des jours de deuil à la mémoire de nos soldats sacrifiés… silence radio et les voilà face à une déclaration qui leur annonce que les drapeaux seront en berne durant trois jours, non pas pour la cause nationale mais par compassion internationale.

Ceci n’empêche pas l’autre, car le Liban a toujours été un pays présent sur la scène internationale et respectueux, surtout quand il s’agit du décès du Roi d’Arabie.

Au lieu de se préoccuper de l’armée et la réclamation des jours de deuils, l’affaire du « contrat Donas » refait surface, ce contrat tripartite entre l’Arabie Saoudite, le Liban et la France. Le web s’enflamme à nouveau, et nous voilà face à une avalanche de reproches, un déferlement des accusations, ayant pour cible les hommes politiques pointés du doigt, notamment le Président sortant, Michel Sleiman. Un pèle mêle de tout, un acte diplomatique officiel se transforme en caricature rien que pour ancrer une polémique de face à face, ayant comme seul cible, les libanais eux-mêmes, une sorte d’amusement et de tromperie qui désoriente le peuple et pointe les accusations et les reproches vers un objectif quelconque : égarer le peuple de l’essentiel et le désorienter.

Loin de croire que c’était un long fleuve tranquille, on oublie de signaler que c’est une première au Liban. Jamais le pays n’a eu une telle offre auparavant. L’histoire témoignera d’un Président, qui même avant son mandat de Président, quand il était encore Général Chef de l’armée avait déjà entamé les premières négociations avec le Roi au sujet du renforcement de l’armée… Je ne vous donnerai pas plus de détails, je vous invite à faire la recherche vous-mêmes. L’objectif n’est pas de faire le culte de la personne, mais surtout pointer du doigt ce jeu dangereux qui vise la stabilité du citoyen que vous êtes.

On critique, on reproche, on polémique, mais on oublie d’aller à l’essentiel …On oublie que le pays est décapité et que le danger est à nos portes si ce n’est pas dans nos terres…

Pour qui profite le crime ?

Pensez-y ! Qui cherche, trouve.

Jinane Milelli

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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