Le consul anglais Churchill écrit : « Les druzes, toujours prêts à courtiser un parti dominant… »

On ne disait pas cela des druzes quand régnaient sur eux les familles d’origine druze. Ce qui a changé les choses, c’est l’achat, par Ali Joumblatt en 1723, de la place de chef de la communauté druze — puis la collaboration de son petit-fils, Béchir Joumblatt, avec l’émir Béchir, en vue de soumettre les chrétiens et les chiites du Liban.

À l’époque, les deux Béchir se disaient sunnites comme leurs grands-parents, et chacun d’eux jeûnait le ramadan, offrait la zakat, et s’était construit une mosquée dans laquelle il observait les prières islamiques.

La force des Joumblatt a affaibli le parti yazbeki, qui ne peut combattre l’argent avec l’argent, puisque le Liban, qu’il défend, est une entité pauvre, qui ne tire sa force que de l’unité de son peuple. C’est justement cette défense du Liban qui pousse la majorité des druzes à se rassembler autour du parti yazbeki en temps de paix civile.

Les Joumblatt ont donc intérêt à combattre la paix qui les prive de ce pouvoir pour lequel ils ont sacrifié beaucoup d’or et payé les vies de plusieurs de leurs chefs. C’est pourquoi ils soutiennent l’ingérence étrangère qui leur procure l’argent, les armes et le soutien politique. Celle-ci, en échange, exige qu’ils allument la discorde qui affaiblit le Liban et rend son invasion possible. De là, la violence verbale et les attaques confessionnelles et racistes qui remplissent les discours les plus célèbres des Joumblatt. De là, aussi, leurs revirements quand la puissance qui les soutient change de politique.

L’argent et les discours racistes assurent aux Joumblatt la suprématie sur la communauté druze par temps de guerre ou de crise. Car la peur existentielle pousse alors la plupart des druzes à oublier que les Joumblatt, quand ils étaient venus au Liban, n’avaient combattu que Fakhreddine et les autres druzes qui défendaient le Liban, et que leurs fusils ne se sont dirigés vers les poitrines des chrétiens et des chiites du Liban, qu’après avoir éliminé la force des familles druzes qui résistaient à l’ennemi.

Les Joumblatt ont servi l’autorité libanaise quand cela pouvait les fortifier. Le reste du temps, ils étaient ses rivaux, et ils servaient les Ottomans. Et après la chute de l’empire ottoman, ils ont servi la puissance mandataire. Après l’indépendance, ils ont servi les puissances qui cherchaient à régner sur le Liban à travers ses politiciens. C’est ce qu’a dit Hafez Assad de Kamal Joumblatt dans son célèbre discours du 20 juillet 1976. Quant à Walid Joumblatt, il a dit, dans une interview à la revue Playboy (16 mars 1984), que les Libyens avaient financé la guerre qu’il faisait à l’État et aux chrétiens du Liban. Et il a ajouté que Kadhafi avait arrêté le paiement, et qu’il cherchait un autre chef d’État qui veuille bien lui donner de l’argent (et des ordres), afin qu’il puisse continuer à financer sa milice. Walid Joumblatt est un informateur pour les services de renseignement étrangers, si l’on en croit Yves Bonnet, qui avait été le chef de la DST à l’époque où les armées française et américaine étaient au Liban.

Le dicton répandu par les Joumblatt, selon lequel « le druze est le frère du druze et ne lève pas les armes contre lui », s’applique à leurs adversaires et non à eux. Ainsi, Saïd Joumblatt avait combattu son propre frère, Naaman, pour le supplanter. (Le site électronique de l’actuel seigneur Joumblatt ignore totalement l’existence de Naaman.) Et il avait fait tuer deux de ses cousins Joumblatt, en 1860.

Puis Saïd avait poussé les druzes à haïr les chrétiens, à les piller et à les tuer. La commission internationale d’enquête a formellement prouvé qu’il agissait de connivence avec les Ottomans, qui l’avaient financé et armé.

Et de nos jours, Kamal et Walid Joumblatt se sont comportés de la même manière, obligeant les druzes à ne pas les empêcher de faire la guerre aux chrétiens. Et Walid Joumblatt avait livré quelques druzes aux autorités syriennes, au temps du gouvernement de Khaddam. Les familles de ces otages attendent encore leur retour.

Lina Murr Nehmé

Lina Murr Nehmé
Franco-libanaise, Lina Murr Nehmé est professeur à l’Université libanaise, historienne, politologue et islamologue. Depuis trente-sept ans, ses recherches lui permettent de se livrer à un véritable travail d’enquête en remontant aux origines. Son but : réhabiliter les victimes en dévoilant les criminels. Le résultat : des documents qui démolissent les idées reçues. Auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages, elle a récemment publié : Fatwas et Caricatures (Salvator, 2015), Quand les Anglais livraient le Levant à l’État islamique (Salvator, 2016), Tariq Ramadan, Tareq Oubrou, Dalil Boubakeur : ce qu’ils cachent (Salvator, 2017). Elle est l’auteur d’une étude sur la chute de Constantinople et les raisons politiques pour lesquelles a été imposé le schisme orthodoxe 1453 : Mahomet II impose le schisme orthodoxe (François-Xavier de Guibert, 2003) Elle a écrit une histoire de Liban en plusieurs livres avec documents : Le Liban Assassiné (Beyrouth, Aleph et Taw, 2007), Du Règne de la Pègre au Réveil du Lion, (Beyrouth, Aleph et Taw, 2008), Les Otages libanais dans les prisons syriennes. (Beyrouth, Aleph et Taw, 2008), et elle est également l’auteur de la série télévisée historique Beirut law Btehki diffusée sur OTV en 2009.

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