Le Liban est véritablement aujourd’hui à la croisée des chemins : soit il passe à une authentique démocratie avec un respect des droits de l’Homme et du citoyen (héritage de la révolution française de 1789) ou bien il replonge dans le système de compromis à tout prix et par défaut, ambivalent et sans issue, qui n’a fait que reproduire depuis  des décennies , une oligarchie limitée de chefs communautaires, les entretenant eux et leurs proches aux dépens de la majorité écrasante du peuple libanais ,une sorte d’arrangements entre amis, sur fond d’affaires douteuses ,d’ambitions personnelles  et de règlements régionaux .

Il y a un problème structurel qu’il faudrait affronter une fois pour toutes, 100 ans après la proclamation du Grand Liban (1920) et la ville qui a été jadis la plus réticente à le rejoindre, Tripoli est celle qui le célèbre le mieux aujourd’hui, de la manière la plus spectaculaire et la plus éclatante possible, sur la place à juste titre de la lumière.

Certes les accords de Taëf (22 octobre 1989) n’étaient pas parfaits mais ouvraient au moins la voie à un Etat moderne, à travers la décentralisation administrative, la déconfessionnalisation politique assortie d’un sénat communautaire, le désarmement de toutes les milices et d’autres mesures de réformes pour parvenir à de véritables institutions.

 Ces accords n’ont pas été appliqués ou ont été détournés par la force ou par des arrangements opportunistes parallèles. Ils sont restés lettre morte, vidés de leur esprit. (Mon père, en retrait politique depuis 1992, a passé presque trente ans de sa vie avec d’autres participants à le rappeler). 

Aujourd’hui c’est le peuple excédé et exsangue qui veut renverser la table sur sa classe dirigeante et il n’est orienté par aucun parti politique, ni ne suit aucun homme providentiel. C’est une prise de conscience collective, menée par une infinité de gens honnêtes et qui sont maladivement attachés à leur pays et au seul drapeau libanais. Pour eux l’enjeu n’est pas politique ou communautaire mais la survie du Liban et une communauté de destin.

 Certes il faut toujours un responsable pour porter un projet et assurer une transition en période grave de crise mais il doit être au-dessus de tout soupçon et de tout favoritisme. L’autorité morale est indispensable en période de tourmente. Même si c’est une révolution pacifique, elle est néanmoins émotionnellement violente car elle est le fruit d’immenses souffrances qui doivent être respectées. 

La génération de mes parents surprise par la guerre civile a été foudroyée dans son évolution, la mienne depuis 45 ans a été carrément sacrifiée et maintenant la troisième génération, celle qui est née il y a moins de trente ans est sur le point d’être écartée voire balayée.

Le mur de Berlin est tombé il y a 30 ans (9 novembre 1989), entre l’Est et l’Ouest, libérant toute une population asservie qui a vécu derrière le rideau de fer, plus de 40 ans (1945-1989). Les murs des communautés libanaises doivent aujourd’hui définitivement tomber car c’est à partir du Liban que pourra refleurir le véritable printemps arabe. Ce n’est pas un hasard si la taxe du WhatsApp a entraîné cette vague de colère irrépressible car on portait atteinte à la gratuité de la communication interne et planétaire et à la liberté d’expression, qui sont les raisons d’être sacrées du Liban.

Il faudrait un vrai dialogue entre les Libanais, non pas entre les chefs communautaires (qui n’ont cessé de prendre depuis des décennies leurs communautés en otages) mais entre la classe dirigeante et le peuple, autrement dit la société civile, les citoyens libres, fraternels et égaux.   Et cela devrait nécessairement passer par un gouvernement transitoire fiable et neutre, qui prépare de nouvelles élections libres, où les exclus de l’espace public par le système communautaire verrouillé, pourraient être représentés pour le bien général, au-delà de leurs appartenances communautaires. Il y a une identité libanaise transcommunautaire qui a traversé toutes les villes et les communautés libanaises. Elle s’est incarnée de manière bouleversante, courageuse et fière durant ces derniers jours.

 Après 30 ans de solitude, ceux qui aiment vraiment le Liban et sa manière particulière et unique d’être ne devraient pas rater cette occasion dernière « de ne plus avoir peur et de faire tomber les murs » (Jean Paul II)

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