J’habite en face de l’immeuble Barakat….devenu aujourd’hui le musée de Beyrouth .Jour après jour j’observe la métamorphose du bâtiment .Sa façade jaunâtre criblée de trous s’agrémente de fenêtres modernes et rutilantes.Ses vieilles colonnes reposent sur des bases métalliques art déco .Un vieil olivier rachitique ,probable vestige des temps anciens ,tend ses feuilles rachitiques vers le soleil du printemps.

Si on a la curiosité de contourner l’immeuble ,on tombe avec stupéfaction sur un mur résolument moderne – des yeux multipliés à l’infini,mi clos et laissant filtrer la lumière vers des salles au modernisme sec et froid…. A tous points de vue cette bâtisse me rappelle Beyrouth. Héritière d’un passé prestigieux mais lourd à porter, elle porte encore ses vieux apparats, telle une douairière exhibant sur son cou fripé ses vieux diamants rutilants et laissant derrière elle un parfum de poudre de riz. Ville tour à tour mythique et tragique, son corps porte largement les outrages du temps mais son cœur est résolument tourné vers l’avenir. Son cœur adolescent et brouillon tâtonne pour trouver sa voie. Elle tatoue sur son corps des gratte-ciel futuristes, des tours immondes, quelques chefs d’œuvre de conception et s’accroche à ses ruines décaties ou grandioses qu’elle enferme dans des écrins….. Elle rechigne au grand bain de propreté, elle se vautre dans sa crasse et sa puanteur et rêve pourtant de tri sélectif, d’usines de recyclage,de zéro déchet….Elle s’habille de guenilles, se corsette de béton armé, se scarifie en arrachant une à une ses vieilles demeures mais elle soupire derrière ses bougainvillées, ses néfliers, ses orangeraies et ses jasmins…..

Beyrouth….j’y suis née. J’y ai grandi. J’ai connu ses jours sombres et ses nuits blanches. Beyrouth est une réalité mille fois détruite et mille fois reconstruite et c’est son coeur battant, sa jeunesse folle et ses irréductibles enfants qui la rendent éternelle et vibrante.Dans cet Orient qui se vautre dans l’or noir, Beyrouth est pauvre, mais elle est riche des rêves et des ambitions de ses enfants. Dans cet Orient brillant de mille feux artificiels Beyrouth ne sera jamais un mirage dans le désert. Elle est peut être le cœur vibrant de cet Orient ,mais elle est surtout les tripes et la langue de ces peuples bafoués, écrasés, opprimés, annihilés, anesthésiés et muets.

Je trébuche aujourd’hui sur ses nids de poule. Je respire ses miasmes. Je glisse sur ses crottes canines. Je chasse ses mouches et moustiques et j’appréhende ses rats. J’ai honte pour ses mendiants, pour ses enfants jetés en pâture à tous les prédateurs, pour ses vieillards le nez dans les poubelles .J’y paye différents impôts et taxes qui couvrent des services qui n’existent pas et qui vont gonfler les poches de gens que je ne connais pas. Je la trouve laide, grise et bruyante mais je l’ai dans la peau. Et pourtant ….comme la majorité de ses habitants, je n’y ai pas droit de cité et en Mai ,j’irais voter ailleurs … où j’ai si peu d’attaches.

J’aimerais pourtant que les autres, ceux qui ont le chance de vivre et de voter à Beyrouth, prennent leur destin et celui de leur ville en mains. Qu’ils votent utile pour eux et pour la ville. Qu’ils sanctionnent les esbroufes, les beaux parleurs les vendeurs de vent. Qu’ils donnent ses chances à la nouvelle génération. A ceux que la politique n’a pas encore corrompu. A ceux qui ont la grâce de pouvoir encore rêver.
A titre d’exemple, le collectif Beyrouth Madinati. Sur le papier son programme est ambitieux. Donnons-lui une chance. Beyrouth nous appartient autant que nous lui appartenons. Pour elle et pour nous, mobilisons-nous en dehors des sentiers battus et des troupeaux battus. Osons …..

Par Carine Chamoun Chammas

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