Aoun déterminé à démanteler la mainmise de Hariri, Berri et Joumblatt sur l’État libanais quinze ans après le départ de l’occupant syrien avec lequel ils collaboraient

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Le général Michel Aoun, le président de la République libanaise, s’est entretenu avec le journal Asharq Al-Awsat le 24 janvier 2020 (lien en anglais  ; lien en arabe citant l’entretien ).

Pour le moment, son mandat est un échec puisque la première moitié s’est terminée avec le début des protestations. 

Son échec politique était prévisible puisque son discours d’investiture ne pouvait être appliqué qu’en sortant de Taëf et en rompant avec Saad Hariri, Nabih Berri et Walid Joumblatt, ce qu’il n’a pas fait, bien au contraire : Saad Hariri à qui il doit, avec le Hezbollah, son élection à la présidence de la République, est devenu le premier ministre ; et, Nabih Berri (qui s’est fait réélire président du Parlement) et Walid Joumblatt qui n’ont pas voté pour lui, ont, avec Samir Geagea (qui a voté pour lui), mené une opposition au sein même du gouvernement dans lequel ils étaient représentés. 

Et l’aggravement de la crise économique et financière ne pouvait pas être évité si d’une part les réfugiés syriens restaient au Liban et si d’autre part Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban (BdL) conservait son poste puisqu’il ne pourrait pas faire une politique monétaire et financière à l’opposé de ce qu’il fait depuis 1992. Or, Hariri a bloqué le retour en Syrie des réfugiés syriens. Et, Hariri, Berri et Joumblatt ont réussi à obtenir le renouvellement le mandat du gouverneur de la BdL (la banque centrale du Liban).

À Asharq Al-Awsat, Aoun a déclaré que l’ère des compromis obtenus à l’unanimité des ministres est terminée. Il veut ainsi empêcher les compromissions et appliquer l’article 65 de la Constitution pour débloquer les projets restés dans les tiroirs depuis 2010 notamment en ce qui concerne l’électricité et les infrastructures (les routes par exemple) mais aussi le tourisme et les investissements. Cette pratique existe depuis Taëf. Entre 1990 et 2005, celle-ci permettait à l’occupant syrien d’imposer sa décision aux ministres qui n’avaient plus alors qu’à acquiescer. Depuis 2005, celle-ci conduit au maintien du statu quo et au blocage des projets. Il y a quelques jours, Hassan Diab a finalement formé un gouvernement de 20 technocrates (revendication des manifestants) choisis ou acceptés par le Courant patriotique libre (CPL) fondé par Aoun, le mouvement Amal de Berri, le Hezbollah et leurs alliés (c’est-à-dire la majorité parlementaire issue des élections législatives de 2018). Exit le Courant du futur de Hariri, le parti socialiste progressiste de Joumblatt et le parti des Forces libanaises de Geagea. 

Aoun a également dit à Asharq Al-Awsat que les premiers responsables de la crise économique et financière sont Salamé, le gouverneur de la BdL depuis 1992 et, les ministres des Finances qui, depuis 1992, relèvent généralement de Hariri (Fouad Siniora du Courant du futur de 1992 à 1998 et de 2000 à 2004, Jihad Azour du Courant du futur de 2005 à 2008, Mohamad Chatah du Courant du futur de 2008 à 2009 et Raya Hassan du Courant du futur de 2009 à 2011, voire même Mohammad Safadi de 2011 à 2014) et de Berri (Ali Hassan Khalil du mouvement Amal de 2014 à 2020). Aoun a dénoncé l’immunité que Hariri donne à ce dernier. Le président souhaite que chacun assume ses responsabilités et réponde de ses actes. 

Il a cité des rapports de l’ONU qui estiment à 25 milliards de dollars le coût pour le Liban de la présence de réfugiés syriens, soit la somme nécessaire pour faire face à la crise économique et financière.

Enfin, il s’en est pris à ceux, dont il dit connaître désormais l’identité, qui envoient des personnes cherchant l’affrontement avec l’armée et les Forces de sécurité intérieure (FSI, la police) ou avec les manifestants eux-mêmes, et qui financent la logistique (leur transport). Il s’agirait d’une part de sunnites (peut-être financé par des pays sunnites de la région) qui refusent toujours la désignation de Hassan Diab au poste de premier ministre parce qu’il bénéficie du soutien du duo chiite (le mouvement Amal et le Hezbollah), du CPL (essentiellement chrétien) et de leurs alliés mais pas du Courant du futur (essentiellement sunnite), on parle donc de partisans de Saad Hariri (le leader du Courant du futur) et d’Achraf Rifi mais aussi des réfugiés syriens et palestiniens ou encore des fondamentalistes sunnites venus du Nord du Liban ; et, d’autre part de chiites furieux des manifestations devant le siège du Conseil du Sud (l’un des symboles de la corruption du mouvement Amal et de Berri), la ministre sortante de l’intérieur Raya Hassan a d’ailleurs accusé les partisans du mouvement Amal. 

Pour réussir la deuxième partie de son mandat et ainsi satisfaire les manifestants, Aoun doit s’affranchir totalement de Taëf (en faisant voter une nouvelle loi constitutionnelle), de Berri (ce qui parait impossible) et de Salamé (ce qu’il semble envisager d’après ce que rapporte Asharq Al-Awsat mais que Hassan Diab, le nouveau premier ministre, semble pour l’heure écarter). 

Si le nouveau ministre des Finances, l’économiste de formation Ghazi Wazni, a été choisi par le mouvement Amal (il a été le conseiller économique de Berri), il semble prendre ses distances de la politique monétaire et financière de Salamé : il y a quelques jours, il a déjeuné avec Dan Azzi (l’un des principaux critiques de Salamé) et il a estimé que la livre libanaise ne peut pas retrouver le niveau que le taux officiel lui donne encore vis-à-vis du dollar américain avec lequel Salamé a imposé une parité fixe qui a ravagé l’économie du pays et appauvrit sa population. 

Enfin, l’ingénieur de formation Raoul Nehmé, le nouveau ministre de l’économie, choisi par le président Aoun, le CPL et Hassan Diab, est parfaitement conscient de l’état de faillite dans lequel se trouve le Liban mais aussi de la pauvreté du peuple libanais puisqu’il a rencontré des manifestants dès le début du mouvement de contestation. Ceux qui le connaissent assurent qu’il est honnête et cherchera l’intérêt du pays et de la population et non celui des propriétaires de banques comme certains ont pu le prétendre en raison de sa carrière de dirigeant de banques au Liban (BLC Bank et récemment Bank Med) et à l’étranger. 

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