Quand on étudie un peu les politiques monétaires des 25 dernières années, on constate comment elles ont évolué, que cela soit aux USA, en Europe, avec l’abaissement des taux d’intérêts, la mise à disposition de liquidités à des taux peu élevés, avec des politiques visant à réduire le loyer de l’argent ou encore à réduire (ou à augmenter) les différences avec les autres devises pour rendre une économie attractive.

Au Liban, en 25 ans, aucun arbitrage de ce type n’a été effectué. C’était une navigation à vue, alors que s’accumulaient les problèmes et que les indicateurs économiques viraient tous les uns après les autres au rouge. On a maintenu une parité artificielle entre Livre Libanaise et Dollar, alors que les Etats-Unis ne sont pas notre principal partenaire économique, jusqu’à la surévaluer, avec les conséquences de créer des bulles notamment sur le marché de l’immobilier.

En parlant d’immobilier, la politique de la Banque du Liban a été de maintenir un secteur cyclique avec un coût énorme en favorisant les entreprises de construction au lieu de stimuler la demande. Je le soulignais déjà, il y a de cela 10 ans. On a aussi favorisé le placement de l’argent des banques sur de la dette au lieu de rendre les dépôts bancaires accessibles au financement de projets productifs donc l’investissement privé et à la consommation. Une absurdité quand la croissance économique commence à faire défaut. Il fallait, au contraire, aider à la diversification de notre économie au lieu de la concentrer.

Aujourd’hui, des mesures de révision de cette politique monétaire doivent être entreprises avec, à court terme, le fait qu’il faille couper les membres gangrénés qui nous ont causé la crise économique, avant de pouvoir rebondir à moyen et long terme. Il n’y a aucun tabou à dire qu’il faille dévaluer et mieux vaut restructurer la dette et dévaluer la livre de manière contrôlée avec des mesures compensatoires pour les personnes les plus vulnérables, pour sauver ce qui reste de nos réserves monétaires et non les dilapider, et ainsi relancer l’économie que de maintenir un contrôle des changes au risque de laisser la population mourir de faim. Il suffit de voir comment les prix des produits de première nécessité ont évolué pour voir que cet argent devrait servir ailleurs que de payer des obligations libanaises et le service de la dette publique.

Si le taux de chômage a augmenté au Liban, c’est que, parce qu’outre le fait que la Livre Libanaise soit surévaluée, il existait l’alternative d’une main d’oeuvre moins couteuse, celle des réfugiés syriens. C’est la faute à qui? À ceux là, ou celle d’une politique qui a permis à ce type d’écart d’être créé?

On ne peut pas dire que les USA ou que la France soient des pays communistes. Ces pays ont cependant mis en place des politiques visant à stimuler les secteurs réels de leurs économies respectives et non seulement le secteur bancaire comme au Liban. Pourtant aussi dans ces pays, des nationalisations ont eu lieu lors des crises majeures, que cela soit pour l’industrie automobile aux Etats-Unis sous le mandat Obama, ou pour le secteur bancaire avec le Crédit Lyonnais en France, parce qu’il était logique de sauver ces entreprises et de sauver les emplois pour ensuite les privatiser le temps que l’orage passe. On est arrivé à cette situation de crise où des mesures majeures doivent être prises qu’on soit de droite ou de gauche. Quand il s’agit de l’intérêt d’un pays, il n’y a plus le temps à l’idéologie et en passant, il est faux de dire que le Liban est aujourd’hui une économie libérale quand elle faite de monopoles et de cartels qui ont réussi à mettre en place une emprise sur de nombreux secteurs par la faiblesse de l’état. Il est temps de relibéraliser notre économie. Cela passe par certaines étapes et pour cela, il faut se remettre en cause.

Au Liban, on doit également casser des tabous et remettre en question les politiques économiques et monétaires qui nous ont conduit à la crise. On a l’impression d’avoir eu, non pas des économistes, mais des financiers, qui ont concentré leurs efforts sur certains secteurs d’activité à court terme comme les banques aujourd’hui qui ont été les principales bénéficiaires de ces politiques au lieu d’avoir eu une vision à long terme, d’une économie vigoureuse, basée sur de la production, de l’industrie, de l’agriculture, de la nouvelle technologie, etc…. Comment voulez-vous créer par exemple des industries avec des demandes de retour sur investissement sur 1 an ou 2 ans ce qui est rare à des taux aussi élevés ? L’argent au Liban coûtait trop cher pour créer de la richesse ou de l’emploi. L’argent créait de la dette et notamment de la dette publique et du chômage.

Depuis des années, nombreux sont les experts qui notaient ainsi les manques de facilité de création d’entreprises et les mesures pour corriger cela était risibles par rapport aux autres facteurs. Pire encore, au lieu d’investir les rentrées financières de l’étranger dans des secteurs productifs, les banques ou la BDL favorisaient encore plus le financement de l’Etat pour plus de dette ou créaient des bulles spéculatives notamment dans le secteur de l’immobilier au lieu de l’investir sur des secteurs en devenir comme les start-ups. Ce ne sont pas les idées qui manquent au Liban, les libanais réussissent très bien à l’étranger, c’est l’accès au financement permettant de réaliser au Liban leurs projets et leurs rêves. L’émigration est un coût lié à ces politiques malheureuses économiques et monétaires pour le Liban et non un avantage.

Mais il n’est pas certain que ceux-là même qui en ont été les auteurs soient aujourd’hui bien placés pour se remettre en cause. Cela reviendrait à accepter leurs torts et à la vue de la conférence du gouverneur de la Banque du Liban hier, on voit de nombreuses personnes évoquer un égo démesuré, le fait de ne pas accepter de voir être remis en cause tout ce à quoi il a oeuvré ces 25 derniers années. Il est peut-être également temps de changer les hommes pour changer ces états de fait.

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