Aujourd’hui même avait lieu à Hiroshima, l’inauguration de la première Academy on Nuclear Weapons and Global Security. Ce programme qui a pour finalité de sensibiliser les nouvelles générations à la question du nucléaire a ainsi réuni quinze jeunes personnes sélectionnées à travers le monde pour leur implication et leur intérêt envers le désarmement nucléaire.

La première question que je me suis moi-même posée, en tant que jeune franco-libanaise ayant été sélectionnée pour participer à ce programme, était de savoir pourquoi la Préfecture d’Hiroshima s’investissait autant pour nous amener à Hiroshima, alors qu’elle aurait simplement put nous envoyer des personnes et experts, voire de simples documents et documentaires ? Mais ce n’est qu’en arrivant à Hiroshima que je pouvais réellement comprendre. Ce n’est qu’après avoir traversé le Jardin de la paix, s’être arrêté à 600 mètres en dessous du lieu d’explosion de la première bombe atomique, avoir fait le tour du Musée du Mémorial de la Paix et vu les vêtements et photos des victimes, que j’ai pu comprendre. Savoir qu’une bombe atomique a explosé à Hiroshima et ôté la vie à environ 250 000 personnes et détruit 69% des bâtiments de la ville (62 000), ne suffit pas. Les chiffres ne suffisent pas. Avoir regardé des documentaires et vu des photos ne suffit pas. Discuter de l’impact humanitaire et des conséquences sociales, psychologiques et économiques ne suffit pas. Il faut avoir mis les pieds à Hiroshima. Il faut voir de ses propres yeux, ressentir chaque vibration, remarquer chaque particularité dans l’architecture, déceler chaque indice dans le regard des locaux pour simplement commencer à comprendre. Et ça, les Hibakusha (survivants à la bombe nucléaire) l’ont bien compris après des années d’activisme et de combat.

« Pourquoi les gens ne comprennent-ils donc pas ? Ont-ils besoin que l’arme nucléaire soit de nouveau utilisée ? » disait un Hibakusha avec désespoir. Les souvenirs de la Seconde guerre mondiale et de la bombe atomique s’estompent exponentiellement. Or si l’on oublie ou que l’on ne comprend pas réellement, le même drame ne pourra que se reproduire. Et la promesse inscrite sur les pierres de Hiroshima « Stay in peace for we shall not repeat the evil » sera inévitablement brisée.

Il devient alors possible de comprendre les raisons qui ont pu pousser la Préfecture d’Hiroshima et ses membres à investir autant d’énergie et d’argent pour mener à bien ce projet, 74 ans après les évènements. Et le fait qu’ils aient mobilisé un nombre incroyable d’experts, représentants, diplomates et Hibakusha pour venir nous rencontrer prend alors son sens. Hiroshima a foi en la jeunesse, elle sait que c’est elle qui saura accomplir le changement tant espéré et de plus en plus indispensable. Les Hibakusha ont tant donné et donneraient certainement plus s’ils le pouvaient. Mais la plupart sont malades ou sur leur lit de mort. Et ils ont réalisé qu’ils devaient désormais transmettre le flambeau à leurs successeurs. C’est d’ailleurs cette même raison qui a poussé les plus réticents d’entre eux à briser le silence et partager leur expérience.

En traversant le Musée du Mémorial de la Paix pendant plusieurs heures, en me confrontant aux histoires des habitants de l’époque, en observant leurs vêtements en cendres et leurs dessins amateurs et pourtant empoignant, les souvenirs de la guerre de 2006 sont remontés. Tant de sentiments refoulés, des impressions, des peurs dont j’ignorais même l’existence ont refait surface. Et j’ai alors réalisé que la souffrance humaine était toujours la même, quel que soit le pays, la langue, la culture, le conflit ou ses raisons, nous ressentons tous cette même souffrance. Alors, au lieu de se concentrer sur ce qui nous différencie, peut-être devrions- nous nous réunir autour de ce qu’il y a de plus humain : notre vulnérabilité. Et tout comme la notion d’Hibakusha global a été introduite, peut-être devrions nous parler de victime globale.

Le programme commence tout juste, mais il s’annonce riche et stimulant. A présent, tout dépend de vous qui me lisez et de votre réceptivité. Tout comme nous l’a dit l’un des activistes japonais rencontrés plus tôt « si vous vous fichez de ce qui a pu arriver à Hiroshima, je ne peux rien pour vous » !

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Nour Assaf
Nour ASSAF est une jeune juriste franco-libanaise spécialisée en Droit international. L’humanité étant pour elle une valeur primordiale, elle a décidé de se consacrer à la protection des personnes, de l’environnement et du patrimoine culturel dans les conflits armés. Et puisque le corps va de paire avec l’esprit, elle s’est aussi engagée pour la lutte contre les préjugés. Convaincue que la jeunesse a un rôle clef à jouer pour le Liban et à l’international, elle est active auprès de plusieurs organisations humanitaires.

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