UN 13 NOVEMBRE À PARIS…

Inerte. Il ferme les paupières, étendu sur une moquette humectée par son sang qui fuit. Il ne ressent ni douleur, ni haine.

Sa vie s’achève dans un lieu improbable, appelé Bataclan. Un endroit qu’il avait rejoint dans le but d’oublier ses tracasseries.

Étrangement, c’est au seuil de la mort qu’il se sent vivant.

Il regarde les éclairs des mitraillettes, mais n’entend plus le bruit. Ces personnes qui tombent lentement devant ses yeux, le renvoient aux feuilles d’automne qu’il contemplait depuis sa fenêtre, quand il était gamin, s’interrogeant : « c’est donc ainsi ? faut-il que la vie s’arrête pour que la vie recommence ? »

Il ne connaît pas les personnes qui se trouvent là, il ne peut pas les secourir, il a juste le temps de les aimer, avant qu’elles ne chutent autour de lui.

De temps à autre, ses yeux distinguent une silhouette courbée qui rampe péniblement vers la sortie, ses lèvres esquissent alors un sourire et son âme s’écrie: « respire pour moi un peu d’air frais l’ami ! »

Ses souvenirs, pourtant innombrables, semblent tenir devant ses yeux. Puis ils se décantent, un par un, jusqu’au fond de son être, dans toute leur force et dans leurs intimes faiblesses. Leur présence le réconforte, et il pense : « si mes souvenirs surgissent dans un moment si critique, c’est qu’ils ne disparaîtront jamais. D’ailleurs, pourquoi disparaîtraient-ils ? Ne vont-ils pas perdurer dans les joues roses de mon enfant, dans les bras tendres de ma chérie, dans les yeux lumineux de ma maman et dans le rire tonitruant de mes amis ?

Mon corps va disparaître, mais pas la terre de France qui m’a vu naître et qui s’apprête à me recevoir.

Je pars en éclaireur, j’enjambe plus tôt que prévu la barrière du temps, j’emmène avec moi l’espoir naissant de mes congénères, qui vont de nouveau réaliser l’importance de la vie et de ceux qui la défendent.

Je n’arrive pas à haïr mes assassins, car je n’arrive pas à comprendre ce qui les motive à agir ainsi. Et puis le temps qui me reste est trop court. Je préfère avoir pitié d’eux, je préfère que ma mort serve aux vivants, qu’ils comprennent enfin pourquoi et comment on en est arrivé là. Je préfère même tout pardonner, en espérant que ceux qui restent trouvent les vraies solutions, qu’ils réussissent à désamorcer la haine qui agite mes assaillants, sans pour autant déchaîner leurs propres démons.

En ce jour, j’ai compris. La denrée la plus précieuse de cette existence qui me quitte, n’est autre que l’amour qui unit les hommes. D’ailleurs, l’amour est le seul bagage que j’emporte. Seule l’énergie de cet amour me permettra, avec mes compagnons, d’affronter l’au-delà. »

Il se sent étonnamment bien, il va changer de lieu, emportant avec lui ce qu’il a de mieux, laissant derrière lui les parents et les amis, se disant dans le creux de la fosse : « pourvu que cette tragédie incite les hommes à bâtir un monde meilleur. »

Puis il ferme délicatement les yeux…


Mario Abinader

Médecin-cardiologue, exerçant en France depuis 1995, Mario Abinader est viscéralement attaché au Liban, sa terre d’origine. Avec le recul que confère l’expatriation, il a écrit des articles relatant la métamorphose sociale et politique du pays. Il est également l’auteur d’un recueil de poèmes. Plus récemment, il a été ordonné diacre orthodoxe.

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