Jean-Éric Branaa, Université Paris 2 Panthéon-Assas

Les élections de mi-mandat à peine passées, la société politique américaine a repris le cours de ses préoccupations les plus électoralistes qui soient : ces Midterms sonnent le départ formel pour l’entrée en campagne de la présidentielle. Les équipes se mettent en place, ou tentent de le faire. Car, très vite, certains candidats vont devoir renoncer en s’apercevant qu’ils ont le plus grand mal à établir une organisation nationale. Telle est la plus grande difficulté à résoudre pour chacun des futurs prétendants : le pays est grand, très grand, et il faut pouvoir rayonner assez vite dans chacun des cinquante États.

C’est pourquoi le Président sortant dispose d’un avantage indéniable sur ses opposants. Ces derniers se cassent vite les dents sur le mur de l’indifférence. Il leur faut lutter contre le défaut de notoriété, et tout est bon pour parvenir à imposer son nom. Les élections de mi-mandat, justement, sont la bonne occasion pour émerger – soit comme candidat, soit via des prises de position fortes et par un soutien marqué à certains candidats.

Or, on le constate, rien de tout cela n’a eu lieu au cours de cette élection et les démocrates, en particulier, se retrouvent bien démunis avant de se lancer dans la grande course des pré-primaires qui va s’ouvrir dès la fin de cette année.

L’immigration, une chance pour la majorité des Américains

De son côté, deux ans après son élection, Donald Trump affiche toujours un niveau de popularité proche de 44 %, et une impopularité qui se maintient aux alentours de 52 %. Les sondages se succèdent et persistent à indiquer une popularité hors norme parmi les électeurs républicains : les sondages révèlent ainsi, à intervalles réguliers, que Donald Trump bénéficie du soutien de quelque 90 % des électeurs républicains.

On peut raisonnablement y voir un signe flagrant du décalage existant entre les commentateurs politiques et les électeurs aux États-Unis. Un décalage qui a pris la forme de la victoire-surprise au Sénat des républicains, grâce à laquelle Trump a augmenté son avance dans la chambre haute et assis un pouvoir politique dont il ne disposait pas jusqu’alors.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il existe une forte adhésion à ce que propose Donald Trump, notamment en matière d’immigration : les sondages indiquent que, bien au contraire, 75 % des Américains estiment que celle-ci est plutôt une chance pour l’Amérique et qu’il faut maintenir la tradition d’accueil sur laquelle le pays s’est construit. Chacun comprend bien que cette main-d’œuvre bon marché est absolument indispensable à l’économie du pays et que le prix de bon nombre de produits, à commencer par ceux des fruits et légumes, exploserait si les flux migratoires étaient effectivement stoppés.

Attaquer Trump, c’est attaquer ses fans

Les acteurs politiques de l’opposition continuent pourtant à commenter les événements qui secouent le pays en pensant qu’une dramatisation va entraîner dans leur sillage une foule de mécontents. Or on en n’est plus là : pendant sa campagne de 2016, Donald Trump a fait plus que d’attirer à lui des suffrages, il a fabriqué des fans.

Ceux qui le soutiennent n’en démordent pas, tout comme ceux qui le combattent le font par tous les moyens. Donald Trump en joue, n’hésitant pas à souffler sur les braises si nécessaire. C’est en effet une stratégie qui a l’avantage de maintenir un état d’opposition forte entre les deux groupes et qui relance sans cesse l’attachement de la base à leur leader. A chaque fois que Trump est attaqué, ses électeurs se sentent attaqués et se mobilisent pour assurer sa défense, principalement sur les réseaux sociaux.

Côté démocrate, les espoirs déçus des petits nouveaux

Trump peut d’autant plus déployer cette stratégie et trouver les moyens de se maintenir au plus haut que l’opposition peine à se constituer en un bloc cohérent. Deux facteurs expliquent cette impuissance actuelle : un manque de programme et l’absence de leader charismatique capable de fédérer toutes les énergies pour mener l’assaut contre Trump.

Les élections de mi-mandat semblaient pouvoir apporter un renouvellement sur ce plan. De nouvelles personnalités ont émergé : Beto O’Rourke, le flamboyant jeune homme qui s’est opposé à Ted Cruz au Texas ; Andrew Gillum, qui rêvait de devenir le premier gouverneur afro-américain de Floride ; ou encore Stacey Abrams, dont les chances étaient très élevées de se hisser sur le fauteuil de gouverneure de Georgie. Mais tous ont perdu. Et leurs chances de jouer le premier rôle se sont envolées avec ces défaites.

Certes Alessandria Ocasio-Cortez, une jeune femme d’origine portoricaine, s’est imposée à New York. Mais son jeune âge la disqualifie pour la présidentielle de 2020, la Constitution stipulant qu’il faut être âgé d’au moins 35 ans pour postuler à la présidence.

On prend les mêmes… ?

Restent alors celles et ceux que l’on ne cesse de voir sur les écrans de télévision, qui ont occupé tout l’espace médiatique pendant cette campagne, et ont battu le pavé pour aider des candidats. Ce sont les mêmes depuis trente ans, voire quarante. Ils ont pour nom Joe Biden, Bernie Sanders, Hillary Clinton, Elizabeth Warren, Michael Bloomberg, Nancy Pelosi et ils sont tous prêts à rempiler.

Tous sont tous persuadés d’avoir une bonne chance de battre le président actuel. La longévité politique de tous ces septuagénaires et leur refus de laisser la place a de quoi étonner. Et pourtant, ils suscitent peu de réactions. Les États-Unis échapperaient donc encore à la tentation du « dégagisme » telle que nous l’avons connu dans notre pays ? L’élection même de Donald Trump en 2016 semble pourtant indiquer le contraire…

En réalité, le pays est tellement vaste qu’il est très difficile d’arriver à accroître sa notoriété et à percer. Les vieux leaders saturent l’espace médiatique disponible, se précipitent sur les plateaux, dans les manifestations, donnent leur avis sur tout ou prennent des positions fortes. Ce faisant, ils mettent les plus jeunes sous cloche et finissent par les étouffer.

Ces jeunes, justement, existent et ne demandent qu’à bénéficier d’un peu de place. Parmi les plus prometteurs : Kamala Harris (sénatrice de Californie) et Cory Booker (sénateur de New Jersey). On peut encore citer Deval Patrick, Amy Klobuchar, Sherrod Brown, John Hickenlooper, Kirsten Gillibrand… À vrai dire, la liste s’allonge très vite et tous ne songent déjà qu’aux primaires.

Mais le parti démocrate ne fait rien pour ouvrir le paysage et cela pourrait vite devenir un vrai problème pour l’échéance de 2020. Or il y a fort à parier que, pour les primaires, ils seront une bonne vingtaine de démocrates à penser que la route est ouverte.

Le jeu de massacre va se poursuivre côté démocrate, tandis que Donald Trump, lui, sera tout seul de l’autre côté, à profiter du spectacle.The Conversation

Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines et chercheur associé à l’institut Iris., Université Paris 2 Panthéon-Assas

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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