Yoav Galai, Royal Holloway

Les Israéliens se rendent aux urnes ce 9 avril pour élire un nouveau Parlement (Knesset), et le candidat qui se détache comme le principal adversaire du premier ministre Benyamin Nétanyahou s’appelle Benny Gantz, un « centriste » qui, comme beaucoup d’autres candidats avant lui, se définit à travers son illustre expérience milliaire en qualité d’ancien chef d’état-major de l’Armée de défense d’Israël (Tsahal).

Son mouvement (« Résilience pour Israël ») a décidé de faire une liste commune avec le parti Yesh Atid, avec à sa tête Gantz. Cette alliance ne garantit pas pour autant sa victoire dans les urnes.

Cette nouvelle coalition politique (baptisée « Bleu-Blanc ») a fait campagne en présentant Nétanyahou comme un dirigeant corrompu, poussé à la radicalisation par ses alliés extrémistes. Avec trois anciens chefs d’état-major de l’Armée de défense d’Israël au sein de sa direction, il s’inspire du militarisme israélien, jouant sur le fait que l’Armée de défense d’Israël est considérée par l’opinion comme l’institution publique la plus digne de confiance, « gardienne des valeurs nationales » selon Stuart Cohen. Le slogan de sa campagne – « Arrêtons la folie », conjugué à un discours virulent et des photos de durs à cuire – suggère une certaine pondération et une nouvelle forme de leadership responsable.

Alors que du côté de Nétanyahou figurent comme partenaires potentiels au sein d’une coalition des extrémistes de droite qui prônent le transfert forcé des Palestiniens hors du pays (les kahanistes), la coalition de Gantz se garde de proposer une solution au conflit israélo-palestinien. Elle a par ailleurs exclu toute alliance avec les partis arabes. La campagne du candidat Gantz semble ainsi s’inscrire à la droite de Nétanyahou, n’hésitant pas à mettre en avant les morts palestiniens comme preuve de la détermination de l’ancien général.

Gantz était, il y a encore peu, le général qui a mené l’opération « Bordure protectrice » à Gaza en 2014, au cours de laquelle 2 100 Palestiniens (principalement des civils) ont été tués. L’ONG israélienne B’teslem a fourni sur son site une liste des enfants et des personnes âgées qui ont été touchées par des tirs de roquettes (des deux côtés), dont le chiffre est stupéfiant.

Spot de campagne de Benny Gantz.

Malgré le caractère aveugle des attaques israéliennes, la première vidéo de campagne du candidat Gantz n’hésite pas à vanter la mort de 1 364 « terroristes » au cours de l’opération « Bordure protectrice ». Cette statistique est manifestement fausse : non pas parce qu’il s’agit du décompte de Tsahal (qui diffère d’ailleurs de celui des organisations humanitaires), mais parce que ce chiffre inclut 428 victimes « non reconnues » comme « terroristes » par l’armée israélienne elle-même.

Indépendamment de leur implication ou non dans des actes de violence, les morts palestiniens sont, de fait, considérés comme un atout politique en Israël.

« L’image de la victoire »

Dans un article publié dans la revue scientifique Security Dialogue, j’ai développé le concept d’« image de la victoire » et le rôle qu’il a joué en Israël. Il s’agit d’expliquer comment la mise en valeur cynique du décompte des victimes est jugée légitime et même souhaitable.

Israël est une société militariste, qui à travers l’Histoire a vénéré le champ de bataille en tant que lieu de pureté morale, où resplendit le caractère héroïque du soldat. Cela transparaît dans la culture globale du pays, et la comparaison à laquelle Gantz s’est livrée entre son expérience et celle de Nétanyahou en est un bon exemple :

« Pendant que je rampais dans des tranchées boueuses aux côtés de mes soldats, dans la nuit glaciale de l’hiver, vous quittiez le pays pour apprendre l’anglais et le pratiquiez dans des soirées cocktails. »

En 2006, quand la guerre au Liban a dérapé, que les missiles pleuvaient sur les localités d’Israël et que le bilan des victimes côté israélien s’alourdissait (même s’il faut rappeler que ce nombre était 30 fois supérieur côté libanais), les généraux israéliens étaient en quête de preuves du succès. Ils avaient à l’esprit « l’image de la victoire », la photographie symbolique d’un champ de bataille incarnant les plus hautes valeurs d’Israël (l’honneur, la bravoure, la résilience) et la victoire. De fait, cette image de la victoire fut trouvée en la personne d’un soldat, blessé, plein de boue, faisant le signe de la victoire au loin.

Durant le conflit à Gaza qui suivit, les télés, les journaux, le gouvernement cherchaient à nouveau le symbole de la victoire. Mais il y avait une différence fondamentale entre ces deux opérations : alors qu’au Liban, de nombreux combats se sont déroulés au sol, la campagne militaire menée à Gaza fut presque entièrement aérienne.

Le professeur Yagil Levy de l’Open University en Israël a montré que l’armée israélienne avait tenté de protéger au maximum ses soldats, aux dépens des dommages collatéraux sur les Palestiniens. Les images en provenance de Gaza montraient des enfants morts et des quartiers dévastés, davantage que des soldats héroïques. En règle générale, elles furent occultées en Israël. Dans le même temps, son gouvernement était toujours en quête de l’image de la victoire.

L’image de la victoire 2.0

Dans cette optique, au lieu de s’appuyer sur des photographies, l’Armée de défense d’Israël a commencé à promouvoir des infographies comportant des données positives, élaborées par le bureau du porte-parole de l’Armée. On peut les consulter sur le site web du ministère des Affaires étrangères et sur le blog de l’Armée de défense d’Israël.

L’Opération Bordure protectrice en chiffres. IDF Blog

La logique de cette évolution est simple : comment des images de destruction à Gaza pourraient-elles susciter un sentiment de réussite ? À la place, des panneaux d’affichage, comme on en voit dans des jeux vidéo, présentent les scores de la « victoire » sous une forme numérique. À ce propos, Allen Feldman a parlé de « regard actuariel », conjugué avec un « filtrage » des images de dommages collatéraux et un accent mis sur « le choc et l’effroi » (nom de l’opération militaire américaine en Irak en 2003, NDT).

La vidéo de Gantz est un parfait exemple. Elle commence par une note de musique dramatique et des chants d’« Allah hu Akbar ». Ensuite, un téléscripteur numérique comptabilisant le nombre de « terroristes » tués commence à tourner, avec des images muettes du Hamas en arrière-plan. Les corps d’adultes, enveloppés dans des drapeaux palestiniens et du Hamas, sont portés à travers la foule, des armes sont brandies au premier plan.

Cette séquence se termine par la vision d’un homme en arme, aux côtés d’un cercueil, la tête recouverte d’une cagoule et d’un ruban l’identifiant comme membre des Brigades Izz ad-Din al-Qassam, l’aile militaire du Hamas. Puis, un son rappelant celui d’une explosion et qui coïncide le décompte final, celui de « 1 364 terroristes tués » et le slogan « Seuls les forts sont victorieux » – tous écrits dans la couleur kaki militaire de Gantz.

La société israélienne est militariste et les généraux tels que Gantz n’hésitent pas à exploiter leur capital de fermeté dans la sphère politique. Mais, dans ce cas précis, il se joue quelque chose de différent. L’horrible décompte des morts provoqués par la violence exercée par un État se transforme, sous l’effet d’une combinaison d’abstraction et de quantification, en une forme d’accomplissement. Une image de la victoire qui vise à ériger un général versé en politique comme modèle de la responsabilité, du sang froid et de la modération.


Cet article a été traduit par Eleonora Farade.The Conversation

Yoav Galai, Lecturer, Royal Holloway

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

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