Donc voilà. Le Liban vient d’échapper à un coup d’État, dixit le Premier ministre.

Pas de chars à l’horizon, l’état de siège n’est pas déclaré et les généraux ne se succèdent pas devant les micros pour dire tout le bien d’un pays qui retrouve ordre, discipline et souveraineté. Nul rival au général Tapioca dans son palais présidentiel, portant moustache fournie et lunettes noires, pour se déclarer maître du pays. La dernière tentative dans ce sens eut lieu durant la guerre civile. Le général Ahdab, « tenta de sauver le Liban » le 11 mars 1976.

Au lieu de cela, nous avons, Monsieur Diab, Premier ministre, debout, contre un fond représentant le siège du gouvernement avec un drapeau libanais, qui prend ses désirs pour des réalités. Comme toujours et tout comme ses prédécesseurs, le moulin à paroles fonctionne pour ne pas répondre aux nécessités de l’heure. De son docte ton de professeur d’université converti à la politique, il nous assène ses vérités sur la lutte contre la corruption ou le vandalisme des manifestants, lunettes sur le bout du nez. Sans oublier les multiples complots intérieurs et extérieurs, bancaires ou non, ourdis contre son gouvernement. Les passes d’armes avec ses opposants, et plus particulièrement les partisans de Saad Hariri, ne portent jamais sur les mesures d’urgence indispensables pour un pays qui connaît une crise que l’on peut mesurer par deux chiffres : près de 50 % de la population libanaise vivent sous le seuil de pauvreté et l’inflation, en quelques semaines, atteint les 70 % !

Ces chiffres sont officiels et ne peuvent refléter la situation réelle. Cette dernière se traduit par des manifestations et émeutes qui secouent le pays de nuit comme de jour pour protester contre un niveau de vie qui dégringole quotidiennement. Verra-t-on bientôt des émeutes de la faim touchées l’ensemble du pays ? Le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, est devenu la Cassandre d’une situation que sa troupe pourrait ne pas contrôler. Elle n’a pas l’habitude de voir des manifestants affamés en face d’elle. Saura-t-elle résister à ce raz de marée social ?

Il n’est pas dit, que ces manifestations de la faim démarrent tout de suite. Elles supposent un autre degré de conscience politique et de mobilisation des manifestants que celle de l’attaque de branches bancaires ou la mise à sac des magasins. Elles supposeraient des actes de réquisition ou de confiscation de stocks de nourriture, du contrôle des prix des denrées de première nécessité et celle de tous les mouvements financiers de la Banque du Liban et ceux des banques privées. L’attaque, à Tripoli, de camions chargés de denrées alimentaires à destination de la Syrie, en est peut-être un premier indice, tout comme les manifestations contre la cherté de vie.

Des choses inenvisageables pour la pseudo-opposition au gouvernement dirigée par le fils Hariri dont l’ambition est de retrouver sa place de Premier ministre, par son allié Walid Jumblatt et sans oublier le duo Geagea/Gemayel.

Les dirigeants du Hirak restent d’une timidité de lilas à cet égard. Il est toujours question du départ du gouvernement et de ses ministres, du combat contre la corruption, du remplacement de tel gouverneur de la Banque du Liban par un autre (la nomination des vices-gouverneurs de la Banque du Liban en est-elle le signe annonciateur ?) Mais jamais, au grand jamais ne sont réclamées des mesures d’urgence à appliquer ipso facto aux effets de la crise qui secoue le pays.

Ces contradictions apparaissent dans les micros-trottoirs des manifestants tant à Tripoli qu’à Beyrouth ou à Tyr. Les mesures souhaitées, maladroitement exprimées, se font l’écho de mesures que n’envisagent nullement les directions de l’opposition.

La smala politique s’efforce d’entretenir son influence en cultivant les œuvres sociales. Le Coronavirus leur vient en aide. Paradoxalement, et malgré la situation économique catastrophique, la pandémie est relativement contenue au Liban. Le gouvernement n’y est pour presque rien.

Les partis progouvernementaux et leurs opposants pratiquent la prophylaxie à grande échelle. Chaque parti a monté sa « task force » contre le virus. Et d’en rajouter dans le nombre de volontaires, de bénévoles ou de moyens matériels pour indiquer son degré d’engagement. Le Hezbollah est gagnant à ce jeu. L’accalmie des combats en Syrie lui permet de mobiliser ses jeunes hommes, leur faire tronquer le fusil d’assaut contre l’écouvillon pour offrir des tests et un support, à la population en détresse, tout en la jouant « partenaire de l’État ». Il y gagne en popularité ce qu’il perd par sa participation gouvernementale. Un étrange dilemme qui à la longue pourrait le desservir. Un altruisme qui, sous couverture humanitaire, peut aussi favoriser le communautarisme. La constance du gouvernement Trump est, à cet égard, exemplaire, car il continue lui, à n’y voir qu’un parti terroriste.

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