ENTRE COUP D’ETAT RATE ET SCENARIO PREVU, LA TURQUIE SUR LE FIL DU RASOIR.

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Le 15 juillet le monde entier a retenu son souffle face au coup d’Etat qui se déroulait en Turquie. Nombreuses sont les personnes qui se sont précipitées soit pour fêter la nouvelle, soit pour dénoncer l’événement. Mais que s’est-il passé en Turquie le 15 juillet dernier ? Et où va la Turquie après ce coup d’Etat raté ?

Nombreuses sont les versions et les rumeurs à propos de ce coup d’Etat raté en Turquie le 15 juillet. Certains veulent voir absolument une implication américaine. D’autres une manœuvre russe ou un vrai putsch en réaction à la politique menée par le président Recep Tayyeb Erdogan. Si le scénario d’une éventuelle implication américaine se confirme, cela signifie que ces derniers ont réalisé une manœuvre « d’une pierre deux coups ,» dans la mesure  où ils auraient piégé les militaires, les poussant au coup d’Etat sachant qu’ils allaient les lâcher au milieu du chemin. S’il s’avère vrai, ce scénario de coup d’Etat permet aux américains de se débarrasser des risques d’une dictature militaire qui était prévisible depuis un moment en Turquie. D’un autre côté, les américains donnent l’illusion à Erdogan de le sauver tout en l’affaiblissant, puisqu’il devient ingérable comme allié, notamment dans le dossier syrien, sachant qu’américains et russes sont parvenus à un compromis dans l’affaire syrienne. Au moins une chose est sûre, un tel événement ne peut avoir lieu sans que les américains et les russes soient un minimum au courant. Est-ce que les deux ennemis/alliés ont joué encore une fois aux jeux de rapports de force/compromis à propos de la Turquie ? Il demeure utile de poser la question sur les éventuelles concessions et garanties que le président Erdogan a donné aux uns et aux autres pour se maintenir au pouvoir. Enfin, les discours houleux du président turc envers les Etats-Unis ne constituent qu’une opération de communication à destination de ses partisans radicaux et conservateurs. N’oublions tout de même pas que la Turquie est membre de l’OTAN.

Quant à la théorie qui consiste de dire que c’est le président Erdogan qui a commandité le coup d’État, elle est plausible à une période où le président turc se trouve en grande difficulté sur le plan extérieur et intérieur. Si nous croyons le Washington Post, ce journal a publié un article en date du 7 avril 2016 qui indiquait qu’Erdogan était en train de préparer un coup d’Etat afin d’asseoir de plus en plus son pouvoir éliminant ses opposants. Néanmoins, nous croyons qu’il y avait un réel coup d’Etat. Erdogan a été mis au courant par ses services, mais il n’avait pas le choix que de laisser faire le coup d’Etat, en le précipitant, détournant la chose à son profit. Selon le professeur d’histoire et de langue turque à l’université libanaise, Mohamad Nour El Dine, la précipitation du putsch a eu lieu puisque le lendemain, c’est-à-dire le 16 juillet au matin, les services secrets turcs, le haut commandement de l’armée ainsi que la justice allait arrêter et condamner tous les futurs putschistes.  De ce fait, nous comprenons pourquoi ces derniers à l’inverse de tous les coups d’Etat dans le monde ont arrêté le chef de l’armée, celui de la gendarmerie et non pas les autorités politiques civiles. Probablement les putschistes espéraient par ces arrestations de leurs supérieurs que ces derniers finissent par se rallier à eux. Mais apparemment leur refus a constitué une raison parmi d’autres expliquant l’échec du coup d’Etat du 15 juillet. Dans cette configuration les putschistes n’avaient également pas le choix que d’aller jusqu’au bout du processus espérant des ralliements dans d’autres villes qu’à Istanbul ou Ankara. Il convient de préciser que le coup d’Etat raté va permettre à Erdogan d’éliminer ses opposants, de renforcer sa base populaire, de profiter de l’occasion pour tenter encore une fois l’instauration d’un régime présidentielle absolue et à vie, modifiant la Constitution turque. Mais la folie des grandeurs d’Erdogan risque de l’isoler à cause de son absolutisme islamiste et radical ainsi qu’en raison de sa politique ultra-répressive. Certes pour le moment le monde notamment l’Occident ferme les yeux sur ce qu’il se passe en Turquie, mais nous croyons qu’à un moment donné de cette dérive erdoganiste, les voix vont se lever, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Turquie, ce qui va devenir un fait accompli de pousser le président turc vers la sortie. Puisque le risque est de ne pas uniquement purger le système des opposants, surtout d’après les purges en cours, l’opposition à Erdogan a une définition très large et ambigüe.

Le maintien au pouvoir du président turc face à une tentative de coup d’Etat risque de renforcer la pensée et les pratiques des islamistes radicaux dans un pays où environ 10% de la population soutiennent les factions comme Daech ou Al-Nosra opérant en Syrie voisine. Le pouvoir va être donné aux islamistes au détriment des institutions étatiques comme la justice et l’armée, ainsi qu’au détriment des laïcs ? Cela risque de fragmenter encore plus la société turque, menant à de graves conflits internes, nuisant à l’image de la Turquie dans le monde. Mais, il suffit de faire le bilan des islamistes qui ont pris le pouvoir au Moyen-Orient notamment suite au printemps arabe pour deviner la suite d’une telle politique. Erdogan a ouvertement affiché sa volonté de nettoyer l’armée des éléments suspects. Ce qui signifie que les purges vont s’accentuer au sein de l’armée, ce qui risque de l’affaiblir. Les prémices à cela commencent à être perçus par le quasi retrait des officiers de renseignements turcs ainsi que des conseillers militaires d’Alep. Quant à l’institution judiciaire, sa purge risque de donner plus de poids à une justice issue d’une quelconque interprétation sectaire.  Le champ est libre pour une justice des milices et des radicaux, cela a été vu la nuit même du putsch où des individus ont châtié des soldats turcs, voir décapité carrément un militaire, sans être inquiétés. De toute façon les conséquences vont être désastreuses sur la Turquie qui est en train d’entamer en ce moment sa régression. Cependant la situation actuelle de la Turquie peut servir Erdogan à détourner l’attention des conservateurs musulmans ses premiers partisans au sujet de sa réconciliation avec Israël. Enfin, si Erdogan réclame la tête de son maître de pensée le conservateur Gülen, c’est éventuellement pour régner seul sans concurrent sur le secteur des islamistes ultra-conservateurs.

 Erdogan est en train d’installer une dictature islamique ultra-conservatrice aux portes de l’Europe. Cela ne dérange pas les démocrates occidentaux, tant que le président turc reste au-dessous de l’idée de rétablir la peine de mort. L’Occident démocrate ne s’aperçoit pas de ce qu’il se passe en Turquie, mais il s’emploie depuis 5 ans à montrer que Bachar Al-Assad président de l’Etat syrien arabe et laïc, qui était en voie de modernisation comme dictateur. Lui qui n’a jamais osé faire ce qu’Erdogan fait en ce moment en Turquie. Il y a eu des erreurs de gestion dans la crise en Syrie, comme il peut en avoir de partout dans le monde, dans une situation de guerre extrêmement difficile. Les occidentaux n’ont cessé d’en profiter et ainsi montrer le président syrien comme un dictateur réprimant et tuant son peuple. Mais, un autre qui purge son pays arrêtant pour le moment environ 15 milles personnes, passe inaperçu. Quelle ironie… L’Occident ne voit pas la volonté expansionniste d’Erdogan et son rêve ottoman, mais se focalise sur l’expansion de l’Iran qui pour le moment n’a prêché pour aucun empire quelconque. Mais si les occidentaux se lève contre Erdogan pour la peine de mort, c’est uniquement parce qu’ils ne peuvent plus par la suite justifier auprès de leurs opinions publics leurs alliances avec un tel régime. Finalement rien n’empêche aux dirigeants occidentaux qui excellent dans le domaine de l’hypocrisie de souhaiter dans leur for-intérieur qu’Erdogan rétablit la peine de mort, pour trouver l’ultime prétexte à arrêter nette les négociations de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. De ce fait, nous ne croyons pas qu’ Erdogan remettra en place la peine de mort, à moins d’un coup de folie, mais ce n’est pas cela qui manque en ce moment en Turquie.

Mais, qui est le peuple turc qui est descendu dans les rues pour défendre la Démocratie ? Quelle définition a t-il de cette dernière ? Si nous croyons Bahar Kimoygün journaliste turc, les manifestants de la Démocratie sont des islamistes et des activistes d’extrême droite. Est-ce que ces partis représentent à eux seuls la totalité du peuple turc ? Enfin, faire des partis cités des représentants officiels de la totalité du peuple turc, ne signifie-t-il pas, prendre ce dernier en otage, dans la mesure qu’ils ne sont pas tout le peuple ?

A croire certaines rumeurs les listes des opposants ont été établies peut avant le coup d’Etat. Sinon comment justifier sérieusement les arrestations massives au lendemain d’un coup d’Etat raté, sans la moindre enquête de la part du pouvoir en place. Il y a des milliers et de milliers de fonctionnaires de tous les secteurs et les échelons démis de leurs fonctions. Si tous ces individus étaient vraiment impliqués dans le coup d’Etat, certainement ce dernier aurait réussi. D’où l’hérésie d’Erdogan qui risque de former contre lui une vraie société opposante dans le fond, la pensée et la pratique.

La situation actuelle en Turquie risque aussi de détourner Erdogan pour quelque temps de la Syrie. A-t ’il négocié une sortie à l’amiable du conflit syrien à partir de ce coup d’Etat raté, sachant qu’en Syrie sa partie s’avère perdue ?

Enfin, Erdogan s’engage dans une voie sans issue, dans un mode de pensée d’autre temps, dans un repli identitaire. Le retour du président turc sur l’histoire précisément sur la période ottomane est très risqué dans un monde ultra développé, moderne et mondialisé, dans une société telle que la société turque, une des plus moderne au Moyen-Orient. Comme le dit bien le journaliste chercheur et écrivain libanais Fayssal Jaloul, la Turquie à l’image du Japon et de l’Allemagne n’est pas permise de réinstaurer à nouveau son empire. Dans une telle configuration Erdogan risque de régner qu’un temps. Enfin, il demeure difficile de définir qui en premier entre le président turc et les militaires a déclenché un coup d’Etat en Turquie. Est-ce que c’est le président Erdogan avec sa politique islamiste, absolutiste ou les militaires qui agissent en réaction à cette politique tout en se battants sur les ordres du président turc notamment en Syrie.

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