Extrait de Chrétiens d’Orient mon amour, aux éditions Mardaga. En achetant ce livre, vous aidez le Comité de Soutien aux Chrétiens d’Orient (CSCO) à préserver ou à reconstruire un Orient où les chrétiens peuvent vivre.

Le rapport au corps et notamment au corps de la femme dit tout le malaise d’une société. L’Orient avait traditionnellement un rapport plus décomplexé au corps que l’Occident ; pour preuve, la danse orientale, lascive, sensuelle. Les Orientaux ont compris et accepté au départ que c’est dans le ventre – dans les deuxième et troisième chakras chez les yogis et dans les médecines traditionnelles – que réside le centre de la puissance ou le centre de l’énergie. L’on a oublié que Les Mille et une nuits étaient concomitantes de l’islam au temps des harems et que la culture et les talents artistiques –la danse, la musique, etc. – des femmes étaient appréciés, même si elles ne se trouvaient pas toujours là de leur plein gré. Les temps ont  changé et même les musulmanes servent d’esclaves sexuelles – sous l’Empire ottoman, elles ne pouvaient pas être asservies. Aujourd’hui, des jeunes filles, voire des enfants sont forcées, enlevées ou vendues pour servir de réceptacle à des mâles, combattants en mal de puissance, ou forcées au mariage dans les camps de réfugiés syriens.Le sexe de la femme est devenu une commodité monnayable au même titre que le pain et le sucre, et à des prix défiant toute concurrence.

Si l’injustice et la violence sont criantes dans ces exemples, j’ai vu autour de moi des jeunes femmes musulmanes,ayant reçu la même éducation occidentalisée que moi, convoler dans des mariages arrangés, sans même envisager de les questionner. Une chrétienne aurait-elle davantage questionné ? Ce n’est pas si sûr.Souvent, ce sont les femmes elles-mêmes, les mères en particulier,victimes généralement consentantes même si inconscientes, qui entretiennent le système patriarcal et élèvent leur progéniture dans cette méprise. « Ce sont les mères qui transmettent le mieux l’héritage de la soumission à leurs filles,là où les femmes ont le moins de droits », écrit Marie Lion-Julin dans son livre Mères, libérez vos filles.

La différence au fond entre chrétienne d’Orient et musulmane d’Orient est-elle aussi grande qu’on le prétend ? Toutes deux ne se posent pas la question de leur corporéité et, au-delà de celle-ci, de leur désir. En dépit des tatouages et des décolletés, ces questions-là restent taboues ; et au pays du Cèdre, dit « occidentalisé », des femmes dans toutes les communautés continuent à se faire recoudre l’hymen, y compris à un âge relativement avancé, pour trouver mari.

Un psychanalyste de la place de Beyrouth parlait de la misère sexuelle qu’il pouvait observer dans cette société. Les hommes deviennent victimes eux aussi du système qu’ils ont engendré. Ce climat de frustration à force de rôles à tenir, de masques à porter, de devoir se conformer se traduit en agressivité. Les quelques fois où j’ai été courir sur la plage de Ramlet el Baida, l’un des plus beaux lieux de Beyrouth qui n’a pas encore été dévoré par le béton – où l’on croise surtout des hommes et quelques femmes voilées –, je me suis fait siffler, klaxonner. Si j’ai fait ces jours-là la sourde oreille, j’ai cependant décidé de me priver de ce rare espace vital dans la ville. Petit à petit, on se met à évacuer les lieux de notre quotidien.Le périmètre se restreint. On ne se sent plus en sécurité au féminin, on ne se sent plus chez soi, ni soi.

Le souvenir de ce temps durant la guerre où l’on jetait de l’acide, au cœur de Hamra à Beyrouth, sur les femmes qui dévoilaient leurs bras me revient au moment où j’élabore ces lignes, plus de trente ans plus tard. Il n’est pas certain que la frustration alimente le désir; elle alimente surtout la colère. En Iran, berceau de la culture et du raffinement, Maedeh Hojabri a été arrêtée il y a quelque temps pour avoir posté des vidéos sur son compte Instagram la montrant en train de danser sans voile dans sa chambre. Elle a été obligée de reconnaître son « crime » sur la chaîne de télé publique. Revenons-nous à ces moments de terreur et de colère dans une terre d’Orient amochée par le radicalisme qui veut tout purger, jusqu’à notre humanité ? L’un des arts les plus anciens et les plus sacrés devient criminel.Postant des vidéos d’eux-mêmes en train de danser, des hommes et des femmes affichent leur solidarité avec la jeune Maedeh Hojabri sur les réseaux sociaux.

De tout temps, les agresseurs se sont attaqués aux femmes pour montrer l’étendue de leur pouvoir, pour marquer leur territoire, comme si dominer les femmes était mettre l’ennemi à genou, le briser. C’est pour ce symbole de vie qu’elles représentent que l’ennemi les viole. S’en prendre aux femmes, c’est museler le potentiel créateur, c’est attaquer les vecteurs du changement. Et il est certain que dans le Moyen-Orient du XXIème siècle, ce sont assurément elles qui sont les agents du progrès. Chrétiennes et musulmanes indifféremment : Vian Dakhil, Zainab Salbi, feu Soraya Salti –assassinée –, Zeina Daccache, Lea Baroudi, Nawal El Saadawi, Samar Yazbek, LinaAbyad, Azza Fahmy, Randa Ayoubi, ainsi que toutes ces femmes moins médiatisées mais qui tous les jours donnent, sèment et font bouger les choses, en Égypte,au Liban, en Jordanie, en Irak et en Syrie. La liberté des amazones fait peur à ceux qui ne sont pas en mouvement, car elle les renvoie à leur propre inertie,à leur prison…

Et la prison de toutes ces femmes d’Orient est avant tout légale et juridique : dans le Liban dit « occidentalisé », ces mêmes femmes qui dansent sur les tables, chrétiennes et musulmanes, ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leurs enfants, ne peuvent pas quitter une situation familiale intenable et violente par peur de se voir arracher la garde de leurs petits, héritent de manière inégale en islam, ne peuvent dénoncer la violence domestique, du mari ou du père. Même si les choses commencent à changer, très lentement, sous la pression de la société civile tirée notamment par des femmes, il reste un long chemin à parcourir.

Soixante-quinze femmes emprisonnées,entassées dans quelques mètres carrés dans la prison de Baabda, aux abords de Beyrouth, attendent depuis des années un jugement, qui pour avoir tiré sur un mari qui les battait, les trompait, qui pour adultère ou insoumission à l’homme. Les droits des femmes laissent encore beaucoup à désirer dans un pays engoncé dans les méandres du confessionnalisme et de la mécanique économique qui l’accompagne, c’est tout dire sur le poids qu’on accorde à celles à qui pourtant on demande presque tout.

Nicole Hamouche
Consultante et journaliste, avec une prédilection pour l’économie créative et digitale, l’entrepreneuriat social, le développement durable, l’innovation scientifique et écologique, l’édition, les medias et la communication, le patrimoine, l’art et la culture. Economiste de formation, IEP Paris ; anciennement banquière d’affaires (fusions et acquisitions, Paris, Beyrouth), son activité de consulting est surtout orientée à faire le lien entre l’idée et sa réalisation, le créatif et le socio-économique; l’Est et l’Ouest. Animée par l’humain, la curiosité du monde. Habitée par l’écriture, la littérature, la créativité et la nature. Le Liban, tout ce qui y brasse et inspire, irrigue ses écrits. Ses rubriques de Bloggeur dans l’Agenda Culturel et dans Mondoblog-RFI ainsi que ses contributions dans différentes publications - l’Orient le Jour, l’Officiel Levant, l’Orient Littéraire, Papers of Dialogue, World Environment, etc - et ses textes plus littéraires et intimistes disent le pays sous une forme ou une autre. Son texte La Vierge Noire de Montserrat a été primé au concours de nouvelles du Forum Femmes Méditerranée.

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