great wall of china
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Clément Therme, Sciences Po

Le 10 mars, Riyad et Téhéran ont annoncé, à Pékin, le rétablissement de leurs relations diplomatiques après sept ans de rupture, s’engageant, au terme de plusieurs jours de négociations, à « rouvrir les ambassades et représentations [diplomatiques] dans un délai maximum de deux mois ». Cette période de transition est nécessaire pour transformer un accord sécuritaire en véritable restauration des relations diplomatiques.

Si cette réouverture des discussions entre les deux pays va dans le sens de la désescalade avec l’Iran engagée depuis plusieurs années par l’Arabie saoudite et ses alliés, elle constitue aussi une victoire symbolique pour la Chine et illustre le recul de l’influence américaine dans la région.

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Cet accord tripartite n’est pas sans rappeler la doctrine des deux piliers (twin pillars policy) de l’administration Nixon (1968-1974) qui voulait assurer la stabilité de la zone du Golfe pendant la guerre froide par une double alliance avec Téhéran et Riyad. Dans sa version chinoise, l’accord reprend cet objectif de garantir la sécurité régionale par une entente avec les deux puissances régionales, même si relations de la Chine sont aujourd’hui plus fortes sur le plan économique avec les États de la péninsule arabique qu’avec un Iran confronté à une grave crise interne. À l’époque de Nixon, à l’inverse, l’Iran du Shah était prioritaire dans la stratégie américaine.

L’étincelle a été l’attaque contre les installations diplomatiques saoudiennes à Téhéran en 2016. C’est à ce moment-là que la rupture a eu lieu, dans un contexte par ailleurs marqué par une dégradation des relations de l’administration Obama avec les États arabes de la péninsule arabique, Washington cherchant alors à mettre en place une politique d’équilibre entre les deux rives.

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Le rétablissement des relations avec Riyad faisait partie des objectifs du président Raïssi, qui avait annoncé lors de son accession à la présidence en 2021 sa volonté d’améliorer les relations avec les pays voisins. Côté saoudien, il y avait depuis au moins deux ans une volonté de trouver une solution à la guerre du Yémen et de se focaliser sur les questions économiques en établissant une politique étrangère de « zéro problème avec les voisins ». https://www.youtube.com/embed/o2FLz7gGGs4?wmode=transparent&start=0

L’accord pourrait favoriser une baisse des tensions dans le golfe Persique et conduira l’Arabie saoudite à se rapprocher encore davantage de son plus grand partenaire commercial, la Chine, sans provoquer une crise avec son principal partenaire en matière de sécurité, les États-Unis. En effet, les responsables de l’administration Biden perçoivent favorablement le rétablissement des relations entre Riyad et Téhéran. La détente est jugée positive par les autorités américaines, même si certaines voix critiques s’élèvent aux États-Unis pour dénoncer la marginalisation de Washington dans la région. La propagande de la République islamique, de son côté, insiste également sur cette dimension régionale et affirme que ce développement entérine le retrait américain du Moyen-Orient.

Ce processus de rapprochement entre les deux pays date de plusieurs années. Depuis 2019 et le pic de la crise, une lente désescalade s’est engagée, des discussions se déroulant depuis deux ans en Irak et dans le sultanat d’Oman.

Il faut rappeler que les frappes de drones et de missiles par des forces pro-iraniennes contre des sites pétroliers saoudiens en 2019 avaient temporairement suspendu 5 % de l’approvisionnement énergétique mondial. Ces attaques n’avaient alors suscité aucune réponse militaire de la part des États-Unis. Cette absence de réponse américaine pose alors la question de la garantie de sécurité américaine du point de vue saoudien.

La victoire symbolique de la Chine

On a vu que plusieurs partenaires de l’Arabie saoudite, comme les Émirats arabes unis, mais aussi le Koweït avaient déjà complètement rétabli leurs relations diplomatiques avec la République islamique en 2022. Pour les Saoudiens, il y a dans cette reprise des relations à la fois une volonté de créer un contexte favorable à une désescalade au Yémen mais aussi une volonté d’autonomisation et de diversification. Il s’agit de ne plus dépendre des fluctuations de la politique américaine entre les stratégies parfois divergentes des Administrations démocrates et républicaines.

Mais au-delà de ces fluctuations, on observe, ces dernières années, une constante : l’Amérique se retire progressivement du Moyen-Orient. Riyad, de ce point de vue, a été tout autant déçu de l’administration Trump, qui a conduit à une impasse, notamment en raison de l’absence de changement de la politique nucléaire ou régionale iranienne malgré la politique de « pressions maximales » de Washington, que de l’administration Biden, qui a poursuivi l’objectif du désengagement tout en émettant des critiques contre les partenaires régionaux des États-Unis – du moins jusqu’au déclenchement de la guerre d’Ukraine en février 2022.

Enfin, la dimension économique entre évidemment en compte. Pour garantir leur prospérité, les États de la rive arabe du Golfe se doivent de s’assurer un certain degré de stabilité avec leur grand voisin iranien.

La République populaire de Chine a offert une plate-forme, un cadre, qui a permis cette percée. Cette capacité à apparaître comme un médiateur crédible s’explique par les excellentes relations qu’elle entretient depuis longtemps avec les pays arabes du Golfe tout en maintenant un dialogue soutenu avec l’Iran en dépit des pressions américaines.

La RPC étant un régime autoritaire où aucune réelle alternance au pouvoir n’existe, il est, bien entendu, nettement plus aisé pour elle que pour les États-Unis de mettre en œuvre une politique constante. Elle apparaît aujourd’hui comme le principal bénéficiaire de cette séquence diplomatique, qui met encore davantage en évidence le recul américain dans la région, qui avait commencé pendant la période Obama.

La réouverture promise des ambassades se traduira par la restauration d’un canal diplomatique direct. Il y a toujours eu des discussions pendant ces sept années, mais elles passaient par des intermédiaires. Désormais, les deux pays pourront discuter sans passer par les canaux omanais, irakiens ou suisses. Par ailleurs, il existait aussi des discussions indirectes, au niveau de l’OPEP par exemple. Les questions pétrolières ont toujours été un dossier particulier, Riyad et Téhéran maintenant en toutes circonstances une certaine coopération en la matière.

Vers une recomposition régionale ?

Sur le plan régional, le rapprochement peut se traduire par une désescalade au Yémen, mais aussi au Liban et en Irak. L’Iran, qui a déjà annoncé la reprise de ses relations diplomatiques avec les Maldives immédiatement après sa réconciliation avec l’Arabie saoudite, pourrait dans un avenir proche se rapprocher de plusieurs autres États qui ont rompu leurs relations diplomatiques ces dernières années avec la République islamique, comme le Maroc, avec lequel les relations diplomatiques ont été rompues en 2018, le Bahreïn (relations rompues en 2016), la Jordanie et l’Égypte (relations réduites au niveau du chargé d’affaires).

Enfin, pour Israël, il s’agira de maintenir des relations officielles et informelles avec les États arabes du Golfe tout en s’efforçant de provoquer un réengagement américain afin de promouvoir un système de sécurité régional orienté vers l’endiguement voire le refoulement de l’influence iranienne.

Il reste que la coopération irano-saoudienne ne pourra être effective que si la République islamique change de politique régionale et abandonne ses ambitions révolutionnaires dans la zone. En effet, l’ambiguïté du compromis diplomatique se fonde sur l’interprétation de la question de la « non-interférence de l’Iran dans les affaires internes de l’Arabie saoudite » : cette formule évoque-t-elle le seul exemple du Yémen ou bien concerne-t-elle également l’Irak, la Syrie ou le Liban, où l’Iran entretient des réseaux d’influence s’appuyant sur des auxiliaires (proxies). Si Téhéran renonce à exercer son influence dans ces pays, ce serait un retour à la politique mise en œuvre par l’ayatollah Rafsandjani dans les années 1990, quand la priorité était donnée aux relations de bon voisinage et non aux ambitions idéologiques du régime iranien. Une paix froide pourrait alors voir le jour en remplacement de la rivalité systémique à l’œuvre durant les sept dernières années.

Clément Therme, Chargé de cours, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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