L'ancien ministre des Finances Jihad Azour
L'ancien ministre des Finances Jihad Azour

Face à Sleiman Frangié « le candidat du Hezbollah et des chiites en général », Jihad Azour nous est présenté comme « le candidat des maronites et des chrétiens en général ». Charles Malek disait : « De l’unité des chrétiens découle l’unité du Liban. » Il a raison. Sur son compte Twitter, Jean Riachi dit : « J’ai beaucoup de respect pour certains et leurs positions de principe mais « le mieux est l’ennemi du bien ». Azour n’est sans doute pas leur candidat idéal mais l’enjeu est ailleurs. Il y a là une occasion unique de dire non à l’hégémonie du Hezbollah. » Toutefois, on ne peut passer sous silence le passage de Jihad Azour au ministère des Finances entre 2005 et 2008. Il y a des personnalités intègres et fortes qui peuvent rassembler les chrétiens et être acceptées par le tandem chiite.

En janvier 2017, l’ancien député Ghassan Moukheiber dénonçait « des inscriptions comptables faites sans aucun support légal valable » entre 2003 et 2010. Il ajoutait que « les documents qui y sont relatifs ont été soit égarés soit volontairement détruits ». En tout état de cause, les documents présentés sont insuffisants.

L’article 83 de la Constitution dispose que « chaque année, au début de la session d’octobre, le gouvernement soumet à la Chambre des députés, pour examen et approbation, le budget général des recettes et des dépenses de l’État pour l’année suivante ». L’article 87 de la Constitution dispose lui que « le compte définitif de la Commission parlementaire des Finances pour l’exercice clos doit être soumis à la Chambre et approuvé avant la promulgation du budget de l’exercice suivant (…). »

En somme, le budget ne peut être publié avant que la loi de règlement, c’est-à-dire de la clôture des comptes budgétaires, de l’année précédente ne soit votée par le Parlement.

Dans les faits, avant 2017, la dernière loi de règlement (loi de clôture des comptes non-audités) datait de 2003 et avait été votée par le Parlement en février 2006 avec le budget 2005. Le gouvernement Siniora a dépensé sans budget voté par le Parlement sur la base de cette loi. Jusqu’en 2017, aucun autre budget n’a été voté au Parlement. En 2000, le gouvernement n’a pas tenu compte de l’audit de la Cour des comptes dont la fonction est de relever les irrégularités dans les comptes. Depuis 2001, les gouvernements n’envoient même plus les comptes à la Cour. Entre 2010 et 2017, la Commission parlementaire aux Finances et au Budget a refusé d’approuver les bilans de clôture des comptes budgétaires et les projets de budget, exigeant au préalable la publication des comptes publics, y compris les comptes du Trésor (pour vérifier les avances de celui-ci aux gouvernements successifs), de 1993 à 2015. La Commission exige principalement les comptes détaillés des années 2006, 2007 et 2008, lorsque Fouad Siniora (Courant du Futur) était Premier ministre et Jihad Azour ministre des Finances. Son président, le député Ibrahim Kanaan (Courant patriotique libre), a même publié en 2013 un livre intitulé « Le quitus impossible » sur le sujet. Il y accuse le gouvernement Siniora dans lequel Jihad Azour avait le portefeuille des Finances de manipulation des comptes et de détournement de fonds publics. La somme de 11 milliards de dollars est évoquée.

Entre 2006 et 2009, le gouvernement Siniora amputé d’une partie de ses ministres, principalement ceux de la communauté chiite et membres du mouvement Amal et du Hezbollah, approuvait des projets de budget alors que le Parlement présidé par Nabih Berry, le chef d’Amal, refusait de le recevoir. En cas de retard dans l’adoption du budget, la Constitution permet au gouvernement de continuer à dépenser, pendant un mois, l’équivalent d’un douzième du budget de l’année précédente. C’est ce qu’on appelle la « règle du douzième provisoire ». Or, à partir de 2007, le gouvernement Siniora a décidé de dépenser sur la base de budgets approuvés en Conseil des ministres, sans les ministres démissionnaires, mais pas par le Parlement. Les 11 milliards de dollars sont donc la différence entre ce qui a été dépensé et ce que la règle du douzième provisoire autorisait.

Fouad Siniora se défend en disant que « des personnes qui ne sont pas spécialistes en la matière confondent les comptes budgétaires et les comptes du Trésor ». Il affirme que ces dépenses hors budget ont servi à « financer le fonctionnement de l’État ». « Toutes ces dépenses, dit-il, qu’il s’agisse de crédits budgétaires ou dépenses de trésorerie, ne sont pas des dépenses illégales. Elles sont parfaitement légales ». Ces onze milliards de dollars « dépensés sur quatre ans sont dus au fait que le Trésor avait assumé le coût des variations des taux d’intérêt sur la dette publique, des ajustements du coût de la grille des salaires et des traitements de la fonction publique, du coût engendré par la hausse des prix ainsi que des dépenses différées de budgets précédents, sans parler des dépenses engendrées par les travaux de reconstruction après la guerre de 2006 ». Plus précisément, l’ancien Premier ministre avait expliqué que les dépenses publiques sur la période 2006-2009 étaient prévues de 10 000 milliards de livres par an soit 40 000 milliards de livres au total (26,5 milliards de dollars à l’époque) mais qu’en raison notamment de la hausse des prix du pétrole et des dépenses engagées suite à la guerre de juillet 2006 et pour assurer la continuité des services publics comme EDL, les besoins de l’État avaient atteint 56 590 milliards de livres (37 milliards de dollars à l’époque) qui ont été financés par des avances du Trésor.

Alain Bifani, directeur général du ministère des Finances de 2000 à 2020 n’était pas en bons termes avec Fouad Siniora et Jihad Azour, désormais chef de la division Moyen-Orient du Fonds monétaire international (FMI). Il fut le principal artisan du plan Lazard en 2020 accepté par le FMI mais combattu par la Commission parlementaire des Finances et du Budget toujours présidée par Ibrahim Kanaan. Dans une conférence de presse en mars 2019, Alain Bifani citait les irrégularités identifiées par ses équipes au sein du ministère des Finances, longtemps écartées au profit de conseillers et de comptables externes liés aux ministres des Finances successifs, « comme des violations flagrantes de la loi »:  « Des institutions se sont vues privées de fonds qui leur étaient destinés car les transferts étaient effectués sur les comptes d’autres institutions ; les dons étaient dépensés sans contrôle ; des décrets fictifs ont été inventés à la demande de présidents, comme cela a été le cas pour le don européen ; des comptes ont été ouverts hors compte du Trésor public pour empêcher leur contrôle ; des prêts ont été accordés à des organismes qui devaient de l’argent à l’État et non le contraire (télécoms), rendant impossibles leurs remboursements. (…) Les réglementations permettaient une manipulation permanente. (…). Des prêts n’étaient pas enregistrés ; des milliards de dollars ont échappé au compte de la dette et devront être assumés par les générations futures ; des bons du Trésor ont été distribués sans être enregistrés ; des transferts ont pu être falsifiés ; des prêts ont été enregistrés avec des taux d’intérêt incorrects et un prêt a été remboursé, alors qu’il n’avait pas été approuvé par le Parlement. (…). Nous avons aussi découvert qu’un conseiller, qui s’est vu octroyer les pleins pouvoirs sur le dossier des retraites et des municipalités, transférait les fonds destinés aux indemnités de retraite sur son compte personnel et il a été arrêté. (…). Nous avons réussi à corriger tous ces comptes (maquillés) et nous avons transmis à la justice et aux organismes de contrôle toutes les irrégularités que nous avons pu documenter. C’est sur ce travail que nous devons être questionnés. » Selon lui, « l’affaire des onze milliards n’est qu’une infime partie du dossier des comptes publics ».

En 2010, Charbel Nahas, alors ministre, avait chiffré les dépenses supplémentaires engagées par rapport aux crédits prévus en 2005 à 11 milliards de dollars. Or, selon lui, ce montant a atteint en 2017 plus de 65 milliards de dollars.

Quelques jours avant cette conférence d’Alain Bifani, le député Hassan Fadlallah (Hezbollah) avait remis au procureur général financier, le juge Ali Ibrahim, une série de documents qui prouveraient ces irrégularités et pourraient incriminer Fouad Siniora et Jihad Azour. Le juge qui s’était dit prêt à convoquer « tous les ministres qui étaient en poste lors de cette période » commença par interroger Fouad Siniora quelques jours seulement après le début du mouvement de contestation le 17 octobre 2019.

Selon la loi de la comptabilité publique, tout ministre ou fonctionnaire qui dépasse les dotations de dépenses permises ou augmente les charges sans autorisation et sans contrôle est tenu personnellement responsable. Le Liban peut-il se permettre d’avoir un Président de la République mis en cause par la Cour des comptes, le procureur général financier ou le cabinet en charge de l’audit juri-comptable pour des faits qu’il aurait commis lorsqu’il était ministre des Finances ?

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