La livre libanaise dévisse face au dollar depuis quelques semaines. Si certains responsables font mine de le découvrir seulement aujourd’hui, ils ne devaient ignorer qu’une telle situation se présenterait prochainement. Cela était attendu en réalité depuis fort longtemps notamment par des rapports publiés dès novembre 2019, puisqu’il était prévu que les réserves monétaires de la Banque du Liban soient épuisées dès décembre 2020 au rythme des dépenses actuelles au grand maximum avec un taux de parité attendu à l’époque oscillant entre 14 000 et 15 000 LL/USD, des taux qu’on atteindrait seulement aujourd’hui à en croire les nouvelles en provenance du marché noir.

Le rapport de JpMorgan en date de novembre 2019 concernant l’état des réserves monétaires de la Banque du Liban.

Pire de seulement le savoir, nos responsables politiques voire monétaires n’ont rien fait pour éviter ce scénario du pire, mettant même au contraire des bâtons dans les roues des négociations avec le Fonds Monétaire International et son programme d’aide qui aurait pu au moins préserver les réserves monétaires, à condition de faire quelques compromis comme permettre la mise en place d’un audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban et ainsi mieux comprendre l’origine des pertes du secteur financier probablement lié à des anomalies importantes, voire même des détournements de fonds comme l’évoquait Emmanuel Macron lors de son déplacement au Liban, le 6 août 2020 via le même programme de subvention à l’achat des produits de première nécessité.

La problématique est également connue. Le Liban est un pays important plus de 70% de ses besoins en temps normal. À l’heure actuelle, il importerait pour près de 700 millions de dollars par mois de produits de première nécessité, médicaments, farine ou carburants, un montant qu’on peut difficilement réduire à 500 millions de dollars par mois. Et pour financer ce programme, il faut des devises étrangères et notamment du dollar qui était jusqu’à présent prélevé sur les réserves monétaires de la Banque du Liban. Ce programme limitait jusqu’à présent également la demande pour des devises étrangères ces derniers mois sur un marché dit marché noir restreint avec des transactions estimées entre 5 à 7 millions de dollars. Il suffisait d’une légère augmentation de la demande ou une légère diminution de l’offre pour assister à une volatilité importante de la monnaie locale face au billet vert.

Le miracle a été que cela ait pu tenir jusqu’à présent en dépit de l’épuisement prochain des réserves monétaires disponibles – ce qui était connu – , à coup d’artifices sortis d’on ne sait où… jusqu’à en découvrir peut-être l’origine aujourd’hui. Cette interrogation circulait dans certaines sphères y compris à l’étranger.

On y a échappé jusqu’au mois de février, probablement par le fait, selon un scénario évoqué par certaines sources ministérielles, que la BdL recevait des dollars à destination des réfugiés syriens et en échange distribuait des livres libanaises à des taux moindres pour financer le programme de subvention à l’achat des produits de première nécessité faute de réserves monétaires disponibles, augmentant donc la masse monétaire et participant ainsi à l’inflation à venir dans un laps de temps qui est arrivé aujourd’hui.

Cette vision des choses est quelque peu confirmée aujourd’hui par le fait que la BdL souhaiterait utiliser le même procédé pour le prêt de la Banque Mondiale pour un montant de 240 millions de dollars qu’elle compte distribuer à hauteur d’un taux de parité de 6 240 LL/USD, selon des documents qui ont été rendus publics.

Cela est d’autant plus grave que la Banque du Liban, elle-même, selon ces documents, reconnaissait les effets de l’augmentation de la masse monétaire via impression d’argent, mais continuait à agir dans le déni.

Gouverner, c’est prévoir, il semblerait que les autorités monétaires, c’est-à-dire la Banque du Liban, ait bien prévu mais qu’elle n’a rien fait pour éviter ce scénario.

Au lieu de distribuer directement les dollars à ces populations les plus vulnérables et ainsi stimuler l’offre par rapport à la demande (concepts de base en économie au final), la BdL donne des livres libanaises qu’elle imprime.

De facto, elle augmente encore plus la masse monétaire en livre libanaise au lieu de la stabiliser et donc participe à la dégradation de la parité de la Livre face au dollar et aussi à rendre les personnes normalement bénéficiaires de ce programme encore plus vulnérables à la crise puisqu’il s’agit en fin de compte de mesures temporaires.

Indirectement donc, le prêt de la BM sert aussi à financer les importations via le programme d’achat de produits de première nécessité à l’ensemble de la population. On pourrait penser que cela bénéficierait à tout le monde. Mais en réalité, on sait très bien que le programme de subvention à l’achat de produits de première nécessité bénéficie avant tout à certains intérêts, importateurs ou encore personnes prélevant des commissions, notamment sur les carburants.

Ainsi, sous le couvert d’aider les gens, la Banque du Liban contribue encore plus – pour des raisons multiples à la fois politiques dans un bras-de-fer entre certains partis, économiques et liées à certains intérêts financiers liés aux agences exclusives qui semblent être plus puissants que l’intérêt général – à les enfoncer dans une crise à laquelle elle a déjà fortement participé, entre opérations d’ingénierie financière, politique de maintien d’une parité de manière artificielle et ainsi de suite.

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