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Le ministre de l’économie du cabinet sortant Amine Salam souhaite dollariser les prix. Cette mesure pourrait stabiliser les prix, estime le ministre confronté à une sorte de chantage des importateurs et des commerçants qui prétendent perdre d’importantes sommes en raison de l’instabilité de la livre libanaise mais qui généralement ne répercutent pas les prix à la baisse. Cependant, cette mesure, si au premier abord semble répondre à ces demandes, va à l’encontre des intérêts des consommateurs au final.

Si on assiste effectivement à une hyperinflation de la livre libanaise, on assiste paradoxalement à une déflation en terme de devises étrangères. La dollarisation des prix, sur des marchandises importées, 70% de la demande locale, induit par conséquent des pertes supplémentaires pour les foyers libanais et une réduction de leur pouvoir d’achat.

Une économie déjà dollarisée depuis 30 ans et dont on paye le prix aujourd’hui

Par ailleurs, cette mesure, d’un angle macro-économique, constitue une fausse bonne idée dont les libanais payent le prix depuis 25 ans. En effet, déjà avant la crise libanaise, la plupart des prix étaient indirectement dollarisés par la politique de maintien paritaire avec une monnaie liée au dollar, un des facteurs ayant contribué à la baisse du pouvoir d’achat actuel, la population s’étant endettée sans le savoir, le Liban ayant vécu au-dessus de ses moyens.

Si on souhaitait, aussi acheter une voiture ou un bien immobilier, les prix était aussi côté en dollar avec une monnaie en livre libanaise et une parité officielle de 1507 LL/USD considérée comme surévaluée par rapport à une parité réelle tournant, avant la crise autour des 3 000 LL/USD selon les modèles d’économétrie , même si d’un point de vue comptable, la transaction était effectuée en livre libanaise mais coutait en réalité le double pour toute l’économie, pour toute la population au final.

Cette situation était d’autant plus grave que la majeure partie de l’économie libanaise était aussi, de facto, dollarisée, avec l’essentiel des transactions compensées en dollar, 79% à 83% des dépôts précédents à la crise financière de 2019, étant inscrits en billet vert auprès des banques. Ces derniers ayant principalement déposés ces dollars auprès de la BdL en contrepartie de livres libanaises dont les taux d’intérêt étaient plus élevés avant 2019 – les fameuses opérations d’ingénierie financière menée entre 2016 et 2018 – doivent désormais faire face à d’importantes pertes induites par la dégradation de la parité réelle de la monnaie locale face au dollar.

Il convient pourtant de prendre des mesures adéquates pour maintenir un relatif pouvoir d’achat au contraire, tout le monde ne disposant pas des dollars frais et étant au contraire poussés à devoir subir une décôte importantes des sommes déposées auprès des banques libanaises, à hauteur de 70% généralement, pour pouvoir en disposer. Cette mesure semble se faire donc en faveur des banques et non des consommateurs ou des déposants.

Une dollarisation des prix pour préparer l’abandon de la livre libanaise?

Cette dollarisation des prix semble ainsi augurer de l’abandon de la livre libanaise comme moyen d’échange, avec comme conséquence, 4 ans après le début de la crise, une certaine volonté à obliger la population à sortir des devises étrangères. Les autorités politiques et monétaires semblent en effet vouloir pousser les gens à adopter le dollar au bénéfice de certains intérêts, notamment les importateurs au lieu de rogner sur les marges de ces derniers.

L’abandon de la livre libanaise équivaut à abandonner aussi un outil de souveraineté indispensable avec la possibilité de dévaluer, toujours d’un point de vue macro-économique, le fait de gagner de la compétitivité, chose dont l’économie libanaise a toujours manqué ces dernières années, une des causes de la crise aussi comme d’autres facteurs.

C’est justement parce que les gouvernements précédents respectifs et les autorités monétaires en place, elles, depuis 25 ans, refusaient toute dévaluation “soft” de la livre libanaise que les tensions monétaires entre parité officielle ou nominale de 1507 LL/USD liée de manière artificielle au dollar et parité réelle ont amené à l’hyperinflation actuelle avec l’éclatement de la bulle que l’on vit aujourd’hui.

Evidemment, la question de la dollarisation n’est pas du ressort du ministre de l’économie lui-même dont la principale mission est de protéger le consommateur local. Cependant, ce facteur ne contribue également pas à sauver le consommateur entre ceux qui auront toujours accès aux devises étrangères, de manière légale ou illégale, et le travailleur libanais payé en partie ou en totalité en livres libanaises. Cette mesure pourrait donc amener à beaucoup plus d’inégalités sur le plan social et économique au lieu de répondre aux causes du problème. Il revient au ministère de l’économie de contrôler les marges des importateurs tout comme le fait, sur fond de rumeurs faisant état de systèmes de sur-facturation de certains produits importés en vue de faire sortir illégalement des devises, de contrôler que la valeur des importations correspond effectivement aux versements effectués à l’étranger.

Sur un plan plus large, il revient aux autorités gouvernementales et monétaires de sortir de la dollarisation de l’économie mise en place dans les années 90, de mettre en place un système de change transparent et réduisant la spéculation contre la livre libanaise (la spéculation étant une anticipation de la valeur de la monnaie locale, il est aussi normal qu’on en accepte une partie mais qui dit spéculation dit également gain mais aussi pertes pour les spéculateurs jusqu’à imposer la parité réelle de la livre libanaise, son flottement face au dollar, un élément indispensable pour unifier les différents taux de parité comme justement préconisés par les institutions internationales en vue de débloquer l’aide nécessaire à la relance d’une économie grevée par une crise financière considérée comme l’une des 3 pires crises économiques depuis la moitié du XIXème siècle.

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