Outre les sociétés de télécoms ces derniers jours, de plus en plus d’entreprises affichent des prix en dollar ou en équivalent en prenant en compte la parité des marchés parallèles et non de Sayrafa. Il s’agit de facto d’une dollarisation complète et non partielle comme cela été précédemment le cas de notre économie.

À l’image du ministère des télécoms pour les tarifs des communications ou le ministère du tourisme pour les restaurants et autres établissements touristes, ces pratiques ont été plus ou moins légitimisées.

D’autres secteurs sont également évoqués pour d’autres certains services publics comme l’annonce aujourd’hui le conseiller aux affaires économiques du premier ministre Nicolas Nahhas, voire même pour les générateurs de quartier ou encore pour les salaires.

Qu’est ce que la dollarisation?

Il s’agit tout simplement du remplacement de la monnaie nationale, dans le cas libanais de la livre libanaise, par le dollar. La dollarisation de l’économie libanaise était déjà importante avant la crise. Les prix de nombreuses marchandises figuraient déjà en dollar et non en livre libanaise notamment quand il s’agissait d’acheter un bien immobilier ou une voiture, voire un bien de consommation et même déjà des salaires. La dollarisation de l’économie libanaise n’est donc pas nouvelle.

Si l’un des avantages est celui de la stabilité des prix, sont gros désavantage est l’abandon d’un outil de travail permettant de corriger par exemple le manque de compétivité d’une économie avec la dévaluation officielle d’une monnaie.

Autre désavantage dans le cas libanais, le dollar n’est pas la monnaie de nos partenaires commerciaux et donc induit des tensions au niveau monétaires avec ces derniers.

Pourquoi dollariser l’économie libanaise?

Certaines personnes estiment que la dollarisation des salaires est rendue nécessaire même si elle était déjà courante avant la crise. Le projet de dollarisation vise en réalité à stabiliser les prix des marchandises ou les salaires et ainsi éviter le risque monétaire induit par la dévaluation de facto de la valeur de la livre libanaise.

La dollarisation indirecte, couplée à la politique de la PEG, un des facteurs ayant induit la crise économique actuelle

En effet, la crise que traverse le Liban a en grande partie induite par un maintien artificiel d’une parité nominale de 1507 LL/USD avant la crise loin de la parité réelle de la monnaie libanaise face au dollar. Ce maintien artificiel de parité ou PEG a été rendu possible par divers artifices dont l’utilisation de taux d’intérêts élevés. Les autorités monétaires ont permis l’utilisation des dépôts privés afin de couvrir la dette en contrepartie d’importants profits et au détriment de l’investissement productif en faveur d’une économie réelle.

L’économie libanaise était indirectement dollarisée depuis la mise en place de la politique de la PEG en 1997 sur décision de Rafic Hariri et du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé.

L’économie libanaise était également indirectement déjà dollarisée. 83% des dépôts bancaires sont ainsi libellés en dollar, les chèques en dollars étant même compensés localement. Cette dollarisation indirecte de la livre et son ancrage au dollar durant 25 ans à une parité officielle de 1507 LL/USD très inférieure à sa parité réelle de 3000 LL/USD, selon les modèles économétriques, a épuisé notre économie et la situation actuelle aurait pu être évitée avec le flottement de la livre libanaise face aux devises étrangères.

Cette situation s’est cependant maintenue en raison de l’aide internationale Paris I, II puis Paris III en contrepartie des promesses de réformes économiques qui justement auraient dû logiquement menées à la fin de cette politique monétaire mais aussi ensuite par l’utilisation des flux financiers entrants de la diaspora qui ont alimenté la crise de compétitivité sous-jacente.

L’ancrage de la livre au dollar a ainsi provoqué une perte de compétitivité importante et favorisé des flux financiers entrants de la part de la diaspora qui ont détruit les secteurs productifs de l’économie, ce qu’on désigne comme étant le syndrome hollandais, via l’apport financier de la diaspora libanaise entre autre.

Et maintenant, est-ce une bonne solution?

Cette dollarisation induit de nombreuses interrogations, notamment en regard des lollars ou dollars présents sur les comptes des banques libanaises avant l’instauration d’un contrôle informel des capitaux en novembre 2019. Est-ce que ces lollars aurait la même valeur faciale? Pour le moment, la réponse est non, puisque la Banque du Liban maintient une parité de 8000 LL/USD pour les lollars contre une valeur de plus de 31 000 LL/USD au marché noir, soit une perte de valeur de 75% environ.

Les premières victimes de la dollarisation seront donc les déposants qui perdent dans le processus 75% de leurs fonds.

Par ailleurs,il s’agit aussi d’une fausse bonne solution qui ne fait que reprendre un facteur essentiel qui a contribué à la crise actuelle, entrainant une fatigue supplémentaire pour l’économie libanaise déjà en pénurie de liquidités en devises étrangères.

Sur le plan économique général, si les besoins de base de notre économie amènent à un flux financier sortant estimé à 700 millions de dollars, près de 1.2 milliards de dollars sortent chaque mois du Liban. Le Liban n’exportant pas assez de produits à forte rajoutée et face à la situation délicate du secteur bancaire, les transferts de fonds en devises étrangères entrants ne suffisent plus à compenser les transferts de fonds sortants. Cette économie ira en s’épuisant tant qu’il n’y aurait pas de flux financiers importants.

Côté autorités, le projet du gouvernement prévoit de dollariser dans un premier temps les finances publiques à hauteur de 12 000 LL/USD puis, 6 mois plus tard à hauteur de la parité dite Sayrafa. La dollarisation avec flottement via Sayrafa telle que décidée selon le projet du gouvernement semble amener à plus d’inflation dans une situation financière déjà délicate pour de nombreuses personnes. Cependant, les autorités politiques et monétaires n’ont plus d’autres choix face à l’épuisement des réserves en devises étrangères de ce pays. De facto, la dollarisation, faute d’avoir mis en oeuvre les bonnes mesures en temps et en heure, s’imposera d’elle même avec comme conséquent, la paupérisation accrue de la population.

Le pire n’est donc pas encore passé faute d’un flux financier entrant suffisant déjà à couvrir les dépenses de base de ce pays. Le pire est toujours devant nous.

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