En 1993, alors que le réseau fixe libanais souffrait encore des séquelles de la guerre civile, a été décidé l’installation d’un réseau GSM. L’appel d’offre, lancé en Mars 1993 s’est achevé en juin 1994 avec la signature des contrats avec France Telecom Mobile International (FTMI) et Ericsson, de 2 réseaux MIC1 et MIC2, à charge ensuite à ses derniers de trouver des partenaires locaux, il s’agira respectivement du groupe Mikati avec 33% des parts pour MIC1 et qui deviendra Cellis et du groupe Dalloul pour MIC2, devenant ainsi LibanCell. Le coût par minute était alors de 7 cents pour la ligne abonnement, l’abonnement coutait 25 USD et il fallait fournir une garantie bancaire de 500 ou 700 dollars pour l’accès à l’international.
En mai 1995, le service GSM deviendra effectif avec un déploiement d’un réseau, on peut se souvenir qu’à l’époque, ce réseau a accordé 2 mois d’utilisation gratuites à ses nouveaux abonnés pour tester le service. Le prix du service à l’époque: 5 cents la minute hors taxes, 2 cents de taxe accordées aux municipalités contre 12 cents aujourd’hui.
Parallèlement, même si le Liban était connecté depuis 1982 à Internet via l’AUB, le réseau mondial sera effectivement introduit dans les foyers libanais à partir de la même année, avec la création de FAI en 1995 et qui deviendront opérationnels en 1996. Jusqu’en 2000-2001, il revenait en fait directement aux FAI (Fournisseurs d’Accès Internet) de s’assurer un accès à Internet, je me souviens d’un FAI important en particulier qui ne disposait que d’une connexion avoisinant les 700 KB/S pour toute sa clientèle. On avait également présent au Liban, ComputServ, AOL etc… donc des acteurs majeurs, via des représentants locaux, sans que toutefois cela ne soit officiel, comme le détail cet article de l’époque.
Les réseaux de la Méditerranée en 2008, avant l’installation du cable IMEWE
Cela changera donc à partir de 2000, avec la mise à disposition par l’État libanais, via la société Ogero, de moyens de connexions autre que les connexions satellitaires, et l’installation de hub notamment à Bir Hassan. Outre l’intérêt « économique », celle d’obliger les FAI d’acheter à l’état leur bande passante et ainsi améliorer les finances de l’état,les élevés seront répercutés sur la clientèle. On peut ainsi citer le cas d’une université privée américaine équipée par 2 connexions T1 et qui payait par mois 60 000 usd pour chacun de ses campus.
Ne nous trompons pas, il s’agissait également pour l’état libanais de regrouper les connexions internet et ainsi mieux les contrôler. On peut citer le cas notamment de l’affaire « des lesbiennes de l’AUB » ou du broadcasting de scènes homosexuelles en direct d’un Hamam de Tripoli au Nord Liban, dont le scandale dans « la bonne rue beyrouthine » a abouti à l’arrestation des protagonistes de l’affaire. Les communications, non-seulement politiques étaient donc bel et bien contrôlées.
Le secteur FAI a été ensuite marqué par des fusions-acquisitions (Cas DM – Inconet) en décembre 2001 ou encore des diversifications vers l’étranger notamment (cas de Cyberia, présent notamment en Jordanie ou en Arabie Saoudite). Cette période a été, par ailleurs, marquée par l’essor important de « câbles », il s’agissait en fait de réseau Ethernet fournissant à large échelle Internet, mais d’un réseau illégal, leur accès primaire à la toile passant sans licence de l’état via des satellites ou encore via des FAI moins scrupuleux ou du moins moins regardant sur l’usage faite par leur clientèle de leurs services. Au niveau « sécurité » seuls 2 réseaux dignes de ce nom, celui de la BDL et des FSI, reliés par un réseau fibre optique, le reste, celui des FAI étant largement faible, je me souviens ainsi qu’un FAI avait sa base de donnée clientèle directement accessible sur Internet, ou encore de l’accès d’un ordinateur d’une société de trader libanais, simplement avec Internet Explorer. C’est tout dire…
Le service DSL annoncé dès 2005 n’a été effectif qu’en 2008, entre temps, il y a eu un essor des erzats de connexion internet « Broadband » à partir de 2003 – 2004, avec notamment MOBI appartenant au fils Hamadé pour une partie, avec Wise, avec GDS, des rumeurs prétendant à l’époque aussi que le fils Lahoud possédait quelques intérêts dans l’affaire.
Du coté « mobile », des rumeurs insistantes en 1995 indiquaient en fait qu’il y a eu une sorte de « partage » à savoir que Rafic Hariri, à l’époque premier ministre, se voyait accorder via son gendre Dalloul, et Nagib Mikati, l’exploitation des réseaux GSM.
Le contrat initial prévoyant le déploiement d’un nombre maximum de 400 000 lignes mobiles au maximum, les compagnies se sont, de facto retrouvées, limitées en terme de profit et les prix étant régis par contrat, leur profit s’est rapidement également trouvé limité. Il fallait donc chercher de nouveaux moyens pour renforcer leurs capacités financières réciproques et cela passait par l’offre de nouveaux services. Seront déployés au fur et à mesure, un certain nombre de service GSM, notamment et plus spécifiquement pour Cellis, France Télécom souhaitant ainsi réaliser à grande échelle, l’expérimentation d’un certain nombre de nouvelles technologies dont le GPRS. Le Liban bénéficiera donc avant même la France de ce service d’accès internet mobile en mars et avril 2001, LibanCell étant obligé de suivre peu de temps après, rompant ainsi le pacte oral de la distribution des profits du secteur comm entre hommes politiques.Il était aussi question d’introduire des forfaits d’utilisation mais le conflit entre PTT et sociétés débutant, ce projet est tombé littéralement à l’eau.
Le conflit justement entre état et sociétés éclatera sous le gouvernement Hoss (1998 – 2000) avec notamment un bras de fer sous-jacent entre dernier et Hariri Père, le tout sous les yeux du président de la république Emile Lahoud … l’état réclamant le payement par les 2 sociétés de 600 millions de dollars chacune de pénalité, soit le cout du déploiement initial de chacun des réseaux et alors que les finances publiques avaient été largement affectées par une politique économique du précédent gouvernement Hariri qui avait conduit le Liban dans une phase de quasi récession (en fait, on ne peut pas trop parler de récession vu que la croissance du PIB était très ralentie, en l’occurrence vers 1% au lieu des 7% des années précédentes, mais du moins l’effet psychologique de la récession était présent avec notamment une crise immobilière impressionnante, 10 milliards de dollars invendus)
Le gouvernement Hariri décidera cependant de suspendre le contrat BOT en juin 2001, les sociétés Cellis et LibanCell étant chargées d’exploiter le réseau jusqu’en mars 2002. L’origine du conflit était simple, il s’agissait officiellement que les 2 compagnies de télécommunication mobile avaient lancé de nouveaux services – faisant face aux régulations de leur profit par l’état – avaient lancé de nouveaux services non spécifiés lors de la signature du contrat en 1995 -comme quoi les choses changent et que le contrat aurait dû être mis à jour puisqu’il s’agit de nouvelles technologies – dont des réseaux virtuelles pour certaines compagnies (comme IDEVCO) ou le service GPRS, mécontentant une partie des FAI dont certains étaient désormais contrôler par des hommes politiques (Cyberia appartenait à partir de 2000, disait-on à Rafic Hariri sous un prête nom et que les relations avec Dalloul, son gendre, s’étaient distendues). Le coté « politique » de l’affaire a été « oublié » depuis 2005 sur certains volets par les médias traditionnels libanais, qui s’étaient rapprochés de ces familles politiques au lieu de suivre, d’une manière impartiale, la suite du dossier.
Un bras de fer juridique aura lieu ensuite entre les exploitants et l’état libanais, devant la cour d’arbitrage libanaise pour LibanCell, ou la cour d’arbitrage de Paris pour Cellis, selon les dispositions prévues lors de la signature du contrat initial. Vraisemblablement en raison des pressions politiques, LibanCell perdra dans un premier temps, alors que Cellis gagnera et l’état libanais sera condamné à rembourser, prêt d’1 milliards de dollars pour les 2 sociétés, par la cour. L’état n’ayant pas les moyens en raison de son déficit public, le ministre des télécoms de l’époque Jean Louis Cordahi tentera de négocier pour le mieux en 2002, cette somme sera réduite à 200 millions de dollars et la possibilité pour Orange, autre filiale de France Télécom, de participer à l’appel d’offre qui aura lieu en 2003, pour reprendre le réseau. Cet appel d’offre sera malheureusement perdu pour Orange, pourtant classé deuxième derrière Detecom.
D’autres scandales liés aux télécoms peuvent être ainsi évoqués, on peut aborder la question « de la taxe municipale » prélevée sur les factures téléphoniques, remises jusqu’à ce peu de temps au ministère des finances qui ne les donnaient pas ensuite aux municipalités, celles-ci devant aller jusqu’à s’endetter pour pouvoir assurer le fonctionnement de leurs services. De même, on peut aborder la question de la surveillance des différents réseaux de communication que cela soit fixe, mobile ou par internet, que cela soit par l’état libanais, des services privés voir des puissances étrangères comme a démontré l’existence d’espions israéliens au sein d’Alfa, société qui a succédé à Cellis ou l’installation d’antennes de communication internet vers Israël, elles même commercialisées par une société libanaise assurant les services d’institutions de l’état dont de la Présidence de la République entre autres. Pas une seule année n’a eu son lot de scandales du secteur de « comm ». On peut finir en évoquant un épilogue à toute l’histoire, avec l’accord de Nagib Mikati, à l’époque premier ministre, à 3 jours de la fin de son mandat, de signer un accord de dédommagement des sociétés dans une des quelles, il était un actionnaire à hauteur de 33% en 2005.
Pourquoi évoquer cet historique?
Ont été lancées dernièrement différentes campagnes réclamant l’amélioration de la bande passante disponible pour le Liban. On a eu Ontornet, Fliptheswitch puis « Lebanese want a fast Internet ». Autant j’étais très favorable aux 2 premières, elles sont conduites par des consommateurs soucieux, il est en effet inacceptable de devoir payer autant pour un service aussi peu rapide, la nouvelle définition du Haut Débit étant de 4 mega par seconde, le Liban figure donc en queue de liste des pays en terme de vitesse d’accès à Internet. Je suis cependant plus méfiant vis-à-vis de la 3ème campagne menée par Lebanese want à fast internet » en raison des intérêts sous-jacents liés au service MOBI appartenant à Cedercom et donc à Karim Hamadé. D’ailleurs, leur premier logo n’était pas sans rappeler les premiers logos de Mobi et le rouge utilisé était le même que celui de ce service.
Devant le scandale qu’a pris cette page, ses créateurs ont rapidement joué le tout pour le tout, alors qu’ils s’attaquaient bêtement précédemment, enlevant les interrogations légitimes des utilisateurs et répondant sans argument mais éludant en réalité les questions qui leur était posées, déclarant depuis soutenir la 3G et « tout type d’Internet rapide ». Cette polémique intervenait alors qu’un nouveau câble l’IMEWE complètera prochainement l’offre Internet globale du Liban, puisqu’il viendra renforcer les cables Cadmus, Berytar et que le Liban sera également relié par la Syrie, donc par voie terrestre.
Tout d’abord le retard pris pour mettre en place le réseau DSL au Liban, 10 ans de retard pour être plus précis, il y a inadéquation des structures actuelles par rapport au service, inadéquations héritées en fin de compte.. Ce retard est largement imputable au plan proposé par Rafic Hariri d’installer 1 millions de lignes téléphoniques en 1996, dont des centrales qui à l’époque n’avaient pas l’option DSL puisque cette dernière n’était à l’époque qu’en phase expérimentale. Le ministère des télécoms sortait donc d’un gros plan de modernisation de son réseau mais modernisation qui a oublié les nouvelles technologies à venir. Non seulement les centrales étaient mises en défaut, mais le haut débit ADSL s’accompagne en réalité des lignes téléphoniques, cuivres. Il y a des spécifications techniques pour celles-ci, à savoir que pour un transit aisé et une limitation de perte de puissance, il faut au-moins 1.2 mm d’épaisseur de câble, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des réseaux fixes installés, il y a encore quelques années au Liban. L’intérêt des câbles optiques, à titre de comparaison, est évident, puisque l’information est digitalisé et la déperdition de donnée est moindre voir nulle. Simple exemple, j’utilise une connexion à 1 meg, elle n’est en réalité que de 600 KBS, soit une déperdition de 40%, à imputer à la fois à la qualité de ces lignes téléphoniques et à la distance de la centrale téléphonique, puisque même à vol d’oiseau, on est plus loin que les 5 km généralement requis pour les lignes déjà. Il semble cependant que les citoyens libanais aient du mal à apprécier ce facteur précis.
Nous ne disposions donc pas des capacités techniques suffisantes « pour gérer » de services dont l’ADSL à haut débit en raison de faiblesses structurelles.
Quand on eu lieu des discussions pour installer un réseau ADSL au Liban plusieurs compagnies avaient indiqué vouloir participer à l’appel d’offre, dont Cedarcom et une autre liée à un homme d’affaire tripolitain qui disait même avoir installé un réseau ADSL parallèle à celui de l’état (chose normalement impossible puisque « le tuyau », c’est à dire les centrales et les lignes, appartient à l’état).
Le scandale rapidement étouffé sur une possible participation du fils du ministre des télécoms à l’affaire, avait débouché sur la disqualification de la toute société qui s’était alors empressée de se recentrer sur ses services de communication mobiles dont MOBI, à l’époque plus performant que le GPRS introduit 5 ans auparavant.
Depuis quelques années, l’accès Internet avait souffert d’une large léthargie, notamment en raison des implications « politiques », à savoir les réseaux d’espionnages israéliens déjà cité, l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri et de l’utilisation par les auteurs de l’attentat du 14 février 2005 du réseau mobile comme moyen de télécommunication, de l’implication d’intérêts politico-économiques et à savoir « celle de qui aura la plus grande part du gâteau ».
L’autre raison du retard pris, il y a de cela quelques années était que le Liban souffrait « d’un désert numérique ». Nous ne disposions que d’une capacité limitée par les câbles disponibles – 40 Meg disponibles pour le Liban jusqu’en 2005, puis 120 Meg après 2005 alors que les contenus s’enrichissaient en terme audio et visuel, donc nos capacités ne supportaient plus cette évolution du réseau – dans la région via Chypre donc un problème de redondance. Pour des raisons politiques et stratégiques évidentes, la redondance nécessaire via des pays tiers – dans le cas libanais, nous n’avons pas trop le choix puisqu’il devait s’agir ou d’Israël « pays ennemi » ou de la Syrie avec qui ont avait quelques difficultés – s’avérait donc difficile. Il y avait cependant 10 à 20% des capacités qui passaient par Damas mais le climat diplomatique entre les 2 pays, ces 5 dernières années, s’avérait assez incertain, surtout qu’un certain nombre de données confidentielles sur certaines « affaires libanaises » devaient en fait transiter sur la toile.
L’installation du nouveau câble IMEWE change cette donne, puisqu’elle s’accompagne d’une modernisation du réseau local actuel et au recours accru aux fibres optiques, permettant d’élargir l’offre à de nouveaux services dont la 3G, ce qui n’est pas sans provoquer de nouveaux conflits, notamment avec les anciens tenants du secteur qui sont désormais menacés dans le modèle d’affaire, à l’image des pagers dont « le Jeny » au Liban a été remplacé par le GSM. La révolution que connait ce secteur économique, révolution en retard avec le reste du Monde certes, mais le Liban n’est pas la Corée du Sud ou le Japon, ni politiquement -avec une classe politique plus corrompue ici, ni économiquement – pour les mêmes raisons sus-mentionnées, ni stratégiquement, avec nos voisins qui nous veulent tellement de bien, etc…
Il ne s’agit pas, contrairement à ce que prétend « Lebanese want fast Internet » de profiter de meilleures connexions à des prix moins élevés, mais d’embrigader les gens « bêtement » dans un combat qui n’est pas le leur, parce qu’ils n’en connaissent pas la réalité, alors qu’un bras de fer a eu lieu actuellement entre le ministre par intérim des télécoms Charbel Nahhas et la ministre des finances, sur le volet économique déjà.Ils prétendent soutenir la 3G et même la 4G qui n’existe que d’une manière expérimentale aujourd’hui, les normes n’ont même pas encore été admises pour ce service.
Il ne s’agit pas, contrairement à ce que prétend également « Lebanese want fast Internet » d’en finir avec le monopole de l’état via des sociétés et des FAI. Quand on regarde comment les services ADSL sont proposés en Europe, le rôle de l’état via les distributeurs de ligne fixe ne permet pas d’en finir avec les monopoles. Le fil de cuivre par lequel passe le service ADSL ou la fréquence radio utilisée pour le service 3G doivent rester obligatoirement dans les mains de l’état ou de sociétés mandatées par l’état. L’état doit jouer un rôle régulateur pour baisser les prix. Au Liban, l’état a mandaté Ogero dans ce but qui vend à prix d’or la bande passante aux FAI. Il n’existait, pour des raisons politiques, à savoir la proximité d’Ogero avec les Hariri, une proximité malsaine entre les pouvoirs publics et cette société. Nous avons bien vu le conflit qu’il y a eu entre le ministre des télécoms Charbel Nahhas et la direction d’Ogero dont le contrat vient à échéance, si ce n’est pas déjà le cas. Cette rupture programmée ne peut qu’être donc bénéfique pour que l’état reprenne la main et joue le rôle qui lui est indu, c’est à dire vendre à prix coutant la bande passante aux FAI et que les FAI répercutent cette baisse sur les factures de leur clientèle.
On pourrait en dire encore plus sur le dossier, je le suis depuis mon retour au Liban en 1997, j’avais même participé à une étude économique du secteur en 2000, un dossier que j’avais quelque peu lâché par la suite, observant les évolutions de loin, mais pour conclure, prudence donc, le feuilleton de l’Internet au Liban n’est pas prêt de s’achever, mais il faut bien éviter de s’enflammer à la moindre étincelle.
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