The headquarters of the Association of Banks of Lebanon after the explosion of the Port of Beirut. Photo Credit: Libnanews.com
The headquarters of the Association of Banks of Lebanon after the explosion of the Port of Beirut. Photo Credit: Libnanews.com

Certaines sources accusent des intérêts politiques et bancaires d’avoir manipulé depuis plusieurs mois le cours de la livre libanaise, provoquant sa détérioration, il y a quelques mois, alors qu’un plan de sauvetage de l’économie libanaise était présenté par le Gouvernement Hassan Diab. Elles accusent ces mêmes interêts politiques d’être aujourd’hui responsables de l’appréciation de la livre.

La détérioration de la Livre Libanaise avait déjà débuté dès l’été 2019, en raison de la pénurie de liquidité étrangère sur le marché local. Elle s’était cependant brusquement aggravée à partir de la nomination d’Hassan Diab en janvier 2020. Cela n’est en effet pas une coïncidence.

Ainsi, après avoir acheté d’importants montants en échangeant des livres libanaises contre des dollars au marché noir durant des mois, désormais, ces intérêts vendraient des dollars pour obtenir des livres libanaises. Si des pertes financières étaient induites par cette manoeuvre – quelques centaines de milliers de dollars par jour, les transactions au marché noir étant estimées à un maximum de 7 millions de dollars quotidiennement -, il s’agissait avant tout d’obtenir des gains politiques, et par la même occasion, de conserver d’importants intérêts financiers présents, de l’ordre de plusieurs milliards de dollars.

Ces sources accusent ainsi ces intérêts d’avoir provoqué une hausse du dollar face à la livre libanaise avec pour objectif de provoquer la chute du gouvernement Hassan Diab qui souhaitait approvisionner à la totalité du capital des actionnaires présents dans les établissements bancaires afin de sauver les dépôts bancaires de la population. D’autres acteurs qui ont joué contre la livre libanaise, sont les agences exclusives locales, dont le plan Hassan Diab prévoyait l’élimination afin de permettre de rétablir les conditions d’une économie libérale pour remplacer l’économie basée sur les monopoles.

Pour rappel, des rumeurs faisant justement état de manipulation du cours de la livre libanaise avaient déjà abouti à l’arrestation de plusieurs responsables de la Banque du Liban ainsi que de banques privées. Le gouverneur de la BdL lui-même, Riad Salamé, avait été mis en cause. Cependant, certains hommes politiques comme l’ancien premier ministre d’alors Saad Hariri désormais successeur de Hassan Diab, ou encore l’ancien député Walid Joumblatt, avaient estimé qu’il doit pouvoir jouir d’une immunité en raison de la fonction qu’il occupe. L’affaire n’est aujourd’hui plus évoquée.

Par ailleurs, étant donné que 43% des actions des banques libanaises appartiennent à des personnalités politiquement exposées, parallèlement à la manipulation du taux de parité, des relais ont été activés au sein même du parlement. Ils ont remis en cause le chiffrage des pertes du secteur financier, créant un blocage qui fût à l’origine de la suspension des négociations avec le Fonds Monétaire International.

Les institutions internationales demandent un changement de leadership du système bancaire et monétaire parce qu’elles estiment que ceux qui ont mis en place ce système qui s’apparente, selon elles, à un système de fraude dit Ponzi seraient mal placées pour le démanteler. Une restructuration du système bancaire est ainsi rendue nécessaire pour obtenir l’aide de la communauté internationale afin de sauver ce qui peut encore être sauvable.

Des experts financiers estiment désormais que le secteur bancaire devrait être recapitalisé pour plusieurs dizaines de milliards de dollars selon des chiffres circulant dans certains milieux. Certaines banques nécessiteraient à elles-seules d’être recapitalisées pour 7 voire même 11.9 milliards de dollars pour des actifs totaux de moins de 30 milliards de dollars. Ces sommes sont évidemment impossibles à trouver localement, rendant nécessaire le recours à d’autres mesures.

La stratégie du chêne et du roseau pour la classe politique libanaise

Face à la fureur populaire dont ils sont en fin de compte responsables, les hommes politiques et les affairistes libanais ont préféré temporiser jusqu’à pouvoir reprendre les choses en main, une fois que les choses se soient tassées et que la population se soit lassée ou poussée au désespoir extrême au point de ne plus croire à un changement possible. C’est ainsi que Saad Hariri a démissionné le 29 octobre dernier pour revenir au Grand Sérail, le 22 octobre.

Cette élite politco-financière pourrait en effet voir ses revenus être impactés par les réformes économiques souhaitées par la communauté internationale. Il en est de même pour les acteurs du secteur bancaire qui sont évidemment dans un déni volontaire.

C’était la ligne rouge imposée au gouvernement Hassan Diab: il ne fallait pas que les réformes économiques puissent devenir effectives ou encore qu’on découvre trop de choses.

Cependant, il conviendra d’observer comment les résultats de l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban seront finalement enterrés. En effet, la Banque des Banques ne peut être exempte d’anomalies dans les circonstances actuelles. Personne n’en doute au final, comme le rappelait même le Président de la République Française, Emmanuel Macron lui-même dans son discours du 6 août 2020 -De même, elle ne peut pas être exempte des conséquences de ces anomalies sur la crise que traverse actuellement le Liban.

Le taux de 4000 LL/USD en ligne de mire

La parité réelle de la livre libanaise n’a jamais été de 1500 LL/USD mais de 3000 LL/USD. Les libanais ont vécu durant 24 ans dans un pays dont la monnaie nationale était surévaluée. Cette parité a pu tenir en brulant d’une part l’argent de la classe moyenne qui s’est effondrée en moins d’un an, passant de 62% à moins de 35% de la population entre 2019 et 2020 et d’autre part par le flux entrant induit par la diaspora libanaise. Le facteur de confiance auprès de la diaspora est perdu aujourd’hui. Cette confiance ne pourrait plus être restaurée dans les circonstances actuelles et surtout suite à l’instauration d’un contrôle informel des capitaux par les Banques Locales.

D’autre part, l’augmentation des salaires d’abord au sein du secteur privé puis du secteur public du temps des gouvernements Mikati II et Tamam Salam I n’ont fait qu’aggraver l’inflation. Au lieu d’augmenter les salaires, d’autres mesures étaient envisageables pour accroître le pouvoir d’achat, comme l’abolition des agences exclusives. Mais cela aurait été à aller contre des intérêts privés puissants. Ce facteur a encore augmenté les pressions monétaires sur la livre libanaise.

La parité de la livre libanaise aurait dû être réévaluée depuis mais les autorités de tutelle, c’est-à-dire la Banque du Liban n’en a pas eu le courage, pensant avoir déjà échappé aux réalités économiques durant des années et tablant en faire de même… une politique qui a montré ses limites aujourd’hui, 70% de la crise actuelle étant d’origine monétaire. Cette amélioration ne peut être que temporaire tant que les causes structurelles restent toujours présentes et Rome ne s’est pas construite en jour. La crise risque donc de continuer pour un certain temps alors qu’il s’agit de nettoyer des écuries d’Augias, de réformer ou encore d’identifier et de chasser les responsables qui ont détourné des fonds et qui sont aujourd’hui protégé par des partis politiques et de restructurer un système financier qui se refuse à le faire, fort des liens qu’il possède avec le milieu politique.

Ces sources indiquent qu’aujourd’hui l’objectif de ces personnes serait de stabiliser le cours de la livre libanaise aux environs de 4 000 LL/USD, soit à proximité du taux dit du marché -mis en place par la Banque du Liban- qui deviendrait alors le taux officiel. Plusieurs facteurs impliquent à ce qu’un arbitrage puisse être effectué au niveau paritaire.

Ce scénario ne serait pas inédit au Liban. Déjà l’accession au pouvoir en 1993 de Rafic Hariri, père de Saad Hariri, avait donné lieu à de telles rumeurs. Ainsi, victime d’une crise économique engendrant de facto la dévaluation du cours de la livre libanaise à 3 000 LL/USD, le gouvernement Omar Karamé tombera ouvrant la voie à la mise en place d’un gouvernement Hariri, à l’arrivée à la tête de la Banque du Liban du gouverneur actuel Riad Salamé, à la mise en place de SOLIDERE, etc… La parité de la livre libanaise retombera alors à 1 500 LL/USD.

Mais une stratégie difficile à tenir dans les circonstances actuelles

Cependant, cette stratégie se heurte à plusieurs paramètres différents avec des réserves monétaires qui ne suffisent plus aujourd’hui à poursuivre le programme de subvention à l’achat des produits de première nécessité. Si ce programme s’achève, d’importants troubles sociaux et économiques sont attendus alors que des experts soulignent que désormais, fait nouveau, les services sécuritaires libanais sont, eux-même, au bord de l’effondrement. Si le soldat libanais gagnait l’équivalent de 500 USD avant octobre 2019, désormais, il ne dispose plus que de 90 USD par mois suite à la détérioration de la valeur de la Livre Libanaise.

Cette détérioration est induite par plusieurs facteurs, comme les pénuries de billets verts, la croissance de la masse monétaire en devise locale ,mais également par l’effondrement de la vélocité monétaire induite par le contrôle des capitaux informel mis en place par l’Association des Banques du Liban suite à la crise de liquidité qui a débuté durant l’été 2019, révélant au grand jour leurs incapacités à financer l’économie locale.

Les circonstances sont évidemment différentes par rapport à 1993, avec la quasi-disparition de la classe moyenne et de ses fonds nécessaire à la relance économique ou encore l’endettement public devenu beaucoup plus important, même si les architectes de cette politique pourraient en être les mêmes. Tout d’abord, l’amélioration des conditions économiques est également conditionnée à l’aide économique internationale et non plus à des facteurs seulement locaux.

Face à l’impossibilité de pouvoir obtenir cette aide sans réformes profondes et structurelles impactant leurs intérêts, les banques libanaises ont mis en place un plan B, recourant à la vente ou à la mise sous hypothèque de l’or de la Banque du Liban et à la mise à disposition en leur faveur des biens publics. Ces options sont refusées par le Fonds Monétaire International qui estime que le mode de gouvernance qui a abouti à la crise économique doit changer et ainsi pouvoir rétablir la confiance.

L’un des facteurs aggravant est justement l’absence totale de confiance envers le système financier actuel. Les personnes qui manipulent aujourd’hui le taux de change estiment qu’il pourrait y avoir un rétablissement de la confiance s’ils arrivent à rétablir un taux de parité de 4000 LL/USD, la population pourrait s’en contenter, constituant ainsi un pari bien hasardeux.

Ce que ne comprennent pas encore les responsables locaux est que le taux de parité de 4000 LL/USD induit également des pertes financières estimées à plus de 100 milliards de dollars pour la Banque du Liban et les banques privées. Ils souhaitent donc gagner du temps, mais en aucune manière, ils ne pourront échapper à leur destin, celui de la poursuite de la détérioration des conditions économiques jusqu’à la mise en faillite de l’ensemble du secteur financier et d’importants troubles économiques en cas de non-accession à l’aide internationale, ou le cas échéant à celui de changer ce système, d’avoir des réformes, des administrations plus efficaces, moins corrompues mais également une partie d’une classe politique et d’une élite économique en prison.

Cependant, plus on attend et plus le navire coule, comme disait un ministre étranger des affaires étrangères.

Un commentaire?