Le Liban semble désormais s’acheminer durablement vers le chaos, alors que le départ de l’équipe Diab ouvre à une crise politique majeure, un luxe que le Pays des Cèdres ne pourra supporter au regard des jours, des semaines et des mois qui l’attendent.

Le Liban était en crise économique et déjà avant même l’explosion, les réformes nécessaires que pouvait entreprendre un gouvernement fonctionnel faisaient face à des obstacles techniques posés par un parlement dans lequel des intérêts privés s’étaient engoncés..

Dès le départ, ce gouvernement faisait face à une mission quasi-impossible puisque le centre névralgique du pouvoir libanais, à savoir le parlement était contaminé par des intérêts privés et non d’intérêt général.

Le problème majeur du Liban aujourd’hui est un problème de gouvernance où le pouvoir est disséminé jusqu’au point où toute décision nécessite un consensus général ouvrant la voie à des négociations impossibles à obtenir.

Mais le problème immédiat posé au Liban est aujourd’hui induit par l’aspect critique posé par la situation. Déjà avant la destruction du port de Beyrouth, la problématique de l’acheminement des marchandises nécessaires à la survie de la population se faisait entendre en dépit des multiples assurances pour rassurer la population.

Le gouvernement Hassan Diab avait bien commencé en posant les bons diagnostics, en annonçant un état de défaut en raison d’une dette publique ingérable, alors que d’autres étaient toujours dans le déni de la situation mais il a fait face aux obstacles posés par des intérêts divers mais qui ont convergé et se sont alliés les uns aux autres, chose qu’a bien comprise la communauté internationale.

Le premier obstacle est celui d’hommes politiques ayant des intérêts personnels à refuser le dossier des réformes du secteur de l’énergie notamment. Il n’est un mystère pour personne aujourd’hui que la mafia des générateurs est présente au Parlement. Chaque personne qui paye son abonnement règle une commission à certains hauts responsables publics.

Il n’est un mystère pour personne que le parlement n’est pas un parlement représentant le peuple mais aujourd’hui, un parlement qui représente des intérêts économiques et d’abord celui des banques. 43% des actionnaires des banques sont liés à la politique au Liban, tout comme 69% des conseils d’administrations. Ceux-là même refusent de restructurer le secteur financier quitte à faire perdre aux libanais tous leurs dépôts, ce qui devrait intervenir dans les prochaines semaines.

Mais le plus évident aujourd’hui est de voir qu’il y a un problème de gouvernance. Chaque décision au Liban nécessite le consensus des différents partis, amenant au blocage et à la corruption, chacun de ces partis posant ses conditions et ses retours de service pour ne pas dire autre chose, même à l’échelon administratif le plus bas. Comme le soulignait un article publié dans la presse internationale, le Liban a innové en démocratisant à tous les échelons la corruption. Qui d’entre nous n’a tout simplement pas donné une fois 1000 Livres Libanaises pour obtenir un service.

On savait déjà que le Liban souffrait d’une paralysie institutionnelle à chaque crise, cette fois-ci, cette paralysie a abouti au pire et à la mort.

Le Président de la République avouera lui même avoir été informé de la présence de ce nitrate d’ammonium, seulement le 20 juillet dernier alors qu’il était présent depuis 6 ans mais de ne pas avoir pu ordonner à ce qu’il soit déplacé faute des prérogatives nécessaires attribuées à son poste. Il n’y a pas d’autorité exécutive au final et donc la question de la chaine de la responsabilité dans l’état actuel du fonctionnement des administrations publiques est posée.

De même à la lecture des dépêches, on peut justement et légitimement s’interroger sur la dilution des responsabilités, entre personnes qui savaient, personnes qui souhaitaient voir cette cargaison être déplacée, système judiciaire qui refusait de trancher et ceux qui refusaient aussi, chacun est responsable, chacun est coupable, mais surtout tout ce petit monde aurait dû prévenir de la chose.

On ne peut pas changer un tel système et même les personnes les plus honnêtes, faute de pouvoir le faire évoluer finiront par y succomber. Principaux coupables à cela, les accords de Taëf. Au lieu d’avoir un grand corrompu au mieux même qui puisse décider lui-seul, nous en avions des centaines, voire des milliers. Le blocage institutionnel était un blocage administratif également, un état paralysé avec des ministres nommés non par compétence mais en raison des voix qu’ils représentaient lors des votes en conseil des ministres. Beaucoup de ministres, depuis la fin de la guerre civile étaient tout simplement incapables de prendre seuls les décisions dans les domaines qui leur étaient attribués parce qu’il fallait un vote en conseil des ministres, ouvrant ainsi la voie à d’interminables négociations et au final de compromis plus nocifs les uns les autres. Parfois même au sein des ministères, l’action du ministre était bloquée par les hauts-fonctionnaires hérités des gouvernements précédents et qui semblaient être indéboulonnables. Beaucoup d’exemples au cours des décennies précédentes viennent nous le rappeler.

Même la personne la plus compétente au Monde aurait échoué face à de tels obstacles. Il ne s’agit pas seulement du système économique qu’il faille restructurer, ni du système économique qu’il faille réformer mais il s’agit avant tout du système politique qu’il faille faire évoluer vers un modèle plus vertueux, plus propre, plus efficace, plus rapide dans ses décisions à prendre.

Une situation qui ne date pas d’hier et qui était apparue au grand jour ces dernières semaines

Face au plan de sauvetage, est apparu au grand jour ces dernières semaines, le parti des banques et le parti de ceux qui refusent que les réformes puissent toucher leurs intérêts personnels, comme le dénomment certains analyses comme Michel Fayad et qui transcendait les clivages politiques traditionnels, au sein même du gouvernement ou de la coalition au pouvoir.

Ainsi, le Président de la Chambre Nabih Berri n’écartait pas le départ du gouvernement Diab et le retour du Premier Ministre Saad Hariri, tout comme le vice-président de la chambre Elie Ferzli qui s’était même entretenu avec l’ancien locataire du Grand Sérail. Ibrahim Kanaan, membre du CPL recevra également les félicitations de ce dernier pour le chiffrage des pertes du secteur financier, minimisant les estimations du gouvernement à 81 000 milliards de livres libanaises au lieu de 241 000 milliards de livres, un chiffre pourtant confirmé par le Fonds Monétaire International.

Maintenant, on va où ?

Beaucoup de questions demeurent. Est-ce qu’il serait possible que le prochain gouvernement, par la force des choses, soit un gouvernement de transition qui organisera des élections législatives anticipées ou est-ce que les forces politiques par ailleurs économiques tentent aujourd’hui de temporiser pour conserver leurs avantages acquis.

Après l’explosion du port de Beyrouth, la classe politique actuelle souhaite en effet éviter sa propre explosion via l’organisation d’élections législatives anticipées pourtant proposée par le gouvernement Hassan Diab désormais démissionnaire. Le scénario idéal face à cette crise aurait été justement celui d’élections législatives anticipées suivies de la constitution d’un nouveau gouvernement.

La question est de savoir si la communauté internationale restera sur ces positions ou si elle évoluera et acceptera le maintien d’une classe politique décriée tant sur le plan local qu’international. Il y a déjà eu les informations de sources diplomatiques françaises faisant état de sanctions possibles à l’encontre de plusieurs responsables politiques libanais pour que cesse la corruption et d’autre part, la visite du secrétaire d’état américain David Hale est attendue au Liban.

À priori, sur la base des déclarations de responsables internationaux, celle-ci n’aidera jamais le Liban si ce système perdure parce qu’elle ne jouit pas de la confiance interne, nécessaire pour mener les réformes également. On peut donc craindre le pire, le scénario induisant que rien ne change, ce scénario est celui du chaos qui pourrait advenir par les retards pris dans la constitution d’un nouveau gouvernement et la mise en place rapide des réformes nécessaires au déblocage d’une aide financière internationale pour aider le Liban.

Ce risque de chaos est d’autant plus important que le Liban, par son système politique ne permet pas la constitution rapide d’un nouveau gouvernement en raison de difficultés dans les négociations quant à l’attribution des ministères clés et c’est désormais le temps qui manque.

Le Liban fait désormais face à une situation critique. Outre la crise économique qui était déjà grave avant l’explosion, il existe aujourd’hui des problèmes logistiques graves avec la destruction du port de Beyrouth et les dégâts présents dans la capitale.