Beyrouth, capitale du Liban, a longtemps été perçue comme un carrefour où se mêlaient les cultures, les modes de vie et les influences internationales. Les anciens se souviennent souvent de l’âge d’or de la ville avant la guerre civile, une période révolue où l’on disait que Beyrouth était « le Paris du Moyen-Orient ». Cependant, une autre génération, celle qui a émergé après la guerre civile qui a dévasté le pays de 1975 à 1990, a également connu son propre âge d’or. Cet âge d’or, bien que moins célébré, n’en était pas moins riche, notamment au niveau de la vie nocturne et des fêtes qui animaient la ville et ses alentours.
Le Liban, à l’époque était un pays avec un potentiel immense, 7% de taux de croissance, le lieu où il fallait être, se trouver, travailler, s’amuser.
C’était donc aussi le lieu de prédilection de la jet set internationale. Les top-modèles de l’époque, comme Naomi Campbell, faisaient des apparitions régulières dans ces clubs. Il n’était pas rare de croiser des célébrités mondiales au détour d’une rue ou dans une soirée privée, preuve du rayonnement que le Liban conservait malgré ses difficultés.
Une Joie de Vivre Sans Artifices Technologiques
Les années qui ont suivi la guerre civile étaient empreintes d’une forme de liberté et de redécouverte. Bien qu’il n’y avait pas encore de téléphones portables omniprésents, ni de réseaux sociaux pour immortaliser chaque moment, cette époque était marquée par une véritable joie de vivre. Les jeunes de Beyrouth ne cherchaient pas à se montrer ou à accumuler des « likes » virtuels ; ils vivaient simplement l’instant. Leurs soirées se déroulaient dans des lieux souvent modestes mais empreints d’une atmosphère particulière, dans des sous-sols plus que sur des rooftops branchés, où le bruit des rires et des musiques électroniques créait une bulle d’insouciance.
L’un des symboles emblématiques de cette période est sans doute le célèbre BO18, un club emblématique de Beyrouth qui a récemment fermé ses portes. Réouvert dans un bunker hérité de la guerre civile, ce lieu incarnait tout à la fois l’histoire douloureuse du Liban et son énergie inébranlable. BO18 offrait à ses visiteurs une expérience hors du commun, à l’abri des regards, sous terre, où les souvenirs de la guerre se mêlaient aux rythmes de la musique électronique. C’était l’endroit idéal pour échapper à la réalité et plonger dans un monde où la fête effaçait les douleurs du passé sous les regards des célébrités dont les photographies ornaient les tables.
La Rue Monot, Cœur Battant de la Fête
Pour beaucoup, la rue Monot représentait l’épicentre de cette effervescence. Située dans une parallèle de la fameuse ligne verte, qui séparait donc Beyrouth Est à Beyrouth Ouest durant la guerre civile, cette rue était donc idéalement un lieu de rencontre, de réconciliation entre générations issues de la guerre civile, un lieu où ils apprenaient à se connaitre, à parfois même tomber amoureux les uns les autres.
Cette petite artère du quartier d’Achrafieh n’était pas encore pavée de restaurants et de bars pour ensuite disparaitre dans un calme absolu comme aujourd’hui. Les cicatrices de la guerre étaient encore visibles, les rues étaient défoncées par les obus et les bâtiments parfois marqués par les combats passés. À cela s’ajoutait le fait que le centre-ville de Beyrouth, encore en travaux, n’avait pas encore retrouvé sa splendeur d’avant-guerre. Le quartier était un chantier permanent, parsemé de rues éventrées, de bâtiments en rénovation, et de souvenirs poignants des bombardements.
Pourtant, la rue était embouteillée. Traverser la rue Monot un samedi soir relevait parfois de l’exploit, tant il y avait de monde. Il fallait presque deux heures pour parcourir quelques mètres, le flot incessant de fêtards rendant chaque déplacement difficile. En bas de la rue se trouvait le Pacifico à son ancien emplacement, un bar emblématique où les cocktails étaient légendaires. Si les murs pouvaient parler, ils en auraient bien des choses à raconter: Ce lieu était le rendez-vous parfait pour un afterwork drink entre amis, dans une ambiance décontractée, sans chichis, loin de l’atmosphère parfois snob qu’on retrouve aujourd’hui dans certains bars de la ville. Si certains souhaitaient poursuivre la soirée, le Raï s’offrait à eux avec sa musique plutôt arabisante, homonyme. Aïcha Aïcha ne t’en va pas
Plus haut, on trouvait le Babylone, un autre lieu incontournable, où, là encore, on venait pour boire un verre en toute simplicité. Ces deux endroits incarnaient une forme d’authenticité où l’élégance résidait dans la convivialité plutôt que dans l’ostentation. Entre les 2, dans une rue parallèle, l’Indiana, une boite de nuit faisait sa fête.
Le Circus : Le Charme d’un Accueil Inoubliable
Parmi ces lieux emblématiques de la rue Monot, il est impossible de ne pas mentionner le défunt Circus entre le “Baby” et l’ancien Pacifico et dont l’emplacement se trouve aujourd’hui en face du nouveau Pacifico. Ce club a marqué les esprits par son atmosphère à la fois décontractée et dynamique. Cependant, ce qui rendait cet endroit particulièrement unique était l’expérience avant même d’y entrer. Attendre devant le Circus n’était pas une contrainte, mais un plaisir pour beaucoup, grâce à la présence de Juliana, la superbe hôtesse d’accueil. Sa gentillesse, son sourire, et sa présence captivante rendaient l’attente presque plus intéressante que la soirée elle-même. Les habitués s’arrêtaient souvent devant elle, tentant leur chance pour engager une conversation ou la charmer, parfois plus concentrés sur cette interaction que sur l’idée même d’entrer dans le club. Juliana faisait partie de l’âme du Circus, et les souvenirs de cet accueil chaleureux restent gravés dans les esprits de ceux qui ont fréquenté ce lieu.
Et comment ne pas évoquer également le Zinc, situé un peu plus loin dans une vielle maison libanaise, près du Sodeco, célèbre pour ses cocktails dont son fameux Hiroshima et son ambiance détendue, un autre refuge pour ceux qui fuyaient l’extravagance et recherchaient un cadre simple et amical. Non loin de là, les soirées enflammées de l’Alleco, toujours près de Sodeco, attiraient les amateurs de rythmes endiablés, tandis que l’Atlantis, avec ses soirées plus guindées, offrait une ambiance unique où les murs, faits d’aquariums, créaient une atmosphère surréaliste. Ces lieux constituaient les joyaux de la vie nocturne beyrouthine, chacun apportant une touche différente à une ville en pleine reconstruction, mais toujours vibrante.
Les Beach Parties, Entre Nature et Insouciance
En plus des soirées en ville, les beach parties faisaient partie intégrante de la scène festive libanaise. Contrairement aux plages actuelles, transformées en complexes luxueux avec des installations dernier cri, les fêtes à la plage des années 90 et 2000 étaient plus artisanales. On se retrouvait pieds nus sur du sable, au milieu de bambous qui poussaient çà et là, sur des plages encore sauvages. Parmi les lieux les plus fréquentés, on se souvient de Jiyeh ou encore vers Jbeil ou Byblos, des plages où l’on dansait pieds nus dans le sable jusqu’à l’aube sans le faste ni la prétention des événements actuels.
Ces fêtes improvisées rappelaient l’esprit des beach parties californiennes, où tout était possible parfois sous les lumières d’un bucher. L’insouciance régnait en maître, et les jeunes venaient profiter d’une parenthèse de liberté dans un pays encore marqué par les stigmates de la guerre. Aucun filtre Instagram pour embellir ces moments : ils étaient vécus dans leur pureté, sous les étoiles, avec la mer comme seul décor.
Kaslik : L’Autre Épicentre Nocturne
À quelques kilomètres de Beyrouth, le quartier de Kaslik, à Jounieh, jouait également un rôle central dans la vie nocturne de l’époque. Moins brut que la rue Monot, Kaslik offrait une autre ambiance, plus raffinée mais tout aussi effervescente. On y trouvait des clubs comme le Concerto ou l’Option, des lieux où la musique électronique et internationale régnait encore en maîtresse. À cette époque, la musique arabisante, omniprésente aujourd’hui dans la plupart des clubs, n’avait pas encore pris le dessus. Les DJ passaient des sons variés, allant de la house à la techno, créant une atmosphère dansante qui rivalisait avec les grandes capitales européennes.
Beyrouth, une Ville Cosmopolite au Cœur Battant
Ce qui rendait la vie nocturne de cette époque encore plus vibrante, c’était le cosmopolitisme que Beyrouth offrait grâce à sa diaspora venue des quatre coins du monde. On pouvait entendre l’espagnol, le français, l’anglais, et parfois même d’autres langues, au détour des soirées. Peu de gens au final ne parlaient qu’arabe comme aujourd’hui. Des gens de partout se croisaient, apportant avec eux leur culture et leur énergie. La diversité se reflétait aussi dans la musique : on vibrait sur de la techno, de la trance, du latino, ou encore de la house. Cette fusion des genres créait une dynamique unique où chaque soirée était une aventure internationale.
Aujourd’hui, les temps ont changé. Beyrouth et sa périphérie ont évolué, se modernisant à une vitesse fulgurante. La rue Monot a été rénovée et ses endormie, d’abord remplacée par Gemmayzeh puis Mar Michael, les plages sauvages ont été remplacées par des clubs de plage high-tech, et Kaslik a perdu son âme d’antan pour disparaitre de la scène. La vie nocturne libanaise, autrefois si riche et effervescente, a pris un virage vers l’exubérance avec des rooftoop dans l’immensité sidérante vide de terrains du centre-ville à défaut d’immeubles construits. Les clubs se sont multipliés, une des dernières choses encore opérationnelle pour l’économie de ce pays, mais avec eux, la superficialité et l’obsession du paraître ont pris le dessus. Le Liban, qui autrefois attirait la jet set pour son authenticité et son ambiance unique, a progressivement perdu cette aura si particulière.
Aujourd’hui, on ne vient plus pour s’amuser comme avant. On s’amuse à regarder les autres, souvent par jalousie, et les téléphones semblent avoir pris le dessus sur l’humain. Les sourires ne sont plus réservés qu’aux selfies, et autrement, les visages sont devenus tristes. L’ère où l’on dansait pour l’amour de la musique et du partage semble appartenir à une époque révolue.
La Fin d’une Époque
Les souvenirs de cette époque dorée persistent dans les esprits de ceux qui ont eu la chance de la vivre. Pour eux, Beyrouth restera toujours cette ville pleine de vie, où les fêtes se faisaient dans la simplicité, sans artifices ni technologie, mais avec une vraie passion pour la musique et le partage. Ils se rappellent d’une époque où il suffisait de quelques amis, d’une bonne playlist, et d’un lieu, pour créer des souvenirs inoubliables. Une époque révolue, mais gravée à jamais dans l’histoire et l’âme de Beyrouth.