La ville de Tripoli. Crédit Photo: François el Bacha, pour libnanews.com. tous droits réservés.
La ville de Tripoli. Crédit Photo: François el Bacha, pour wordpress-826931-2844281.cloudwaysapps.com. tous droits réservés.

Par dégoût, par lassitude et par manque de temps, cela fait un certain temps que je me suis imposée un régime quasi drastique vis-à-vis des médias libanais et des informations insalubres, grasses et pestilentielles qu’ils véhiculent, et mine de rien, j’ai remarqué que j’ai pu bénéficier d’un drainage bienfaiteur pour ma tête et mes nerfs, n’étant au courant ni des manigances adipeuses et magouilles calorifiques concoctées dans nos cuisines politiques, ni des crimes marinés à toutes les sauces, ni de la malbouffe qu’on nous inflige.

Ce soir, j’ai eu le malheur d’apprendre que le Théâtre Ingea à Tripoli, première salle de spectacle du Moyen-Orient datant de 1885, a été abattu et transformé en … parking, dans l’attente de la construction d’un futur complexe commercial.

Douloureuse nouvelle. Difficile à l’avaler, cette couleuvre. Relisez l’information que je viens de dévoiler ci-dessus : elle révèle une avalanche de catastrophes, d’immondices, de scandales. Insouciance vis-à-vis du patrimoine, détachement flagrant face au legs culturel, insulte à l’héritage architectural, outrage contre l’histoire du pays, surpopulation de tas de ferrailles qui nécessitent des parcs de stationnement, absence d’un Etat, impassibilité d’un peuple qui ploie sous le poids des problèmes existentiels et qui bafouent volontairement ou pas ses droits et son patrimoine … et j’en passe. Déception, indignation, haut-le-cœur. Telle est mon état de ce soir. Et les choses iront de pire en pire.

Ahwet el ezez a disparu à Gemmayze pour une Ahwet leila insolente sans gout ni saveur. Des centaines de bâtiments classés de la capitale sont rasés chaque jour que Dieu fait pour laisser place à des monstres en béton de plus de trente étages émerger comme une insulte. La destruction de l’hippodrome romain de Wadi Abou Jamil au profit d’une tour construite par une société du Golfe. L’ignominie qu’est Solidère. Les déprédations quotidiennes des monuments historiques sur chaque petite parcelle de ces 10452km² en vue d’un trafic de pièces ou pire, à cause d’une ignorance manifeste du symbolisme des bas-reliefs ou des ornements architecturaux qui sont pris pour des pistes menant à un trésor jaune. Les vieux livres ou manuscrits brûlés parce qu’ils sont « vieux et sales et ne servent à rien ». L’assassinat des arbres et des espaces verts pour la construction d’immeubles, dont les appartements sont vendus à des prix exorbitants aux étrangers, et non aux jeunes Libanais qui ne peuvent plus se permettre d’être propriétaires dans leur propre pays. J’arrête.

Je n’arrive même plus à respirer, je suis à bout de nerfs. Répugnance et écœurement sont au menu, et il parait qu’ils sont dorénavant imbriqués à la diète libanaise, élevée au rang du patrimoine immoralement matériel d’un Orient scrabeux en péril.

La pétition et les mobilisations sont tombées à l’eau. D’autres bâtiments classés ploieront sous le joug des bulldozers, enterrant efforts, pétitions, associations, mémoire, patrimoine …  Nos responsables cupides et incultes réécrivent l’histoire à coup de signatures et de permis de détruire. Et pour conclure, en guise de faire-part de décès, j’ai la plus profonde douleur de publier, la pétition lancée par l’Association pour la Sauvegarde du patrimoine de Tripoli, qui était censée contribuer à la sauvegarde de ce feu théâtre.

« Le Ministre libanais de la culture a signé une autorisation de démolir deux bâtiments historiques de la ville de Tripoli. Il s’agit du théâtre Royal et le Théâtre Inja, situés tous deux dans le centre historique de la ville, sur la place du Tall, entre la célèbre Horloge, emblème de la ville, et le fameux Palais Nawfal, et face aux cafés ottomans Moussa et Al Tall Al Oulia.

Le théâtre Inja ou Zahret el Fayhaa’, est un lieu mythique car ce fut la première salle de spectacle du Moyen-Orient. Un théâtre à l’italienne, construit sous les ottomans, en 1885 par le commissaire de la ville, et avait été conçu et très joliment décoré par les italiens.

Il avait vu défiler tous les grands artistes du monde arabe, notamment la Diva Umm Kulthum pour laquelle on avait déroulé le tapis rouge depuis le Port et jusqu’au théâtre.

Un lieu mythique car, dans la mémoire des tripolitains, il incarne une époque glorieuse de la ville car il avait contribué à donner un goût prononcé pour le spectacle aux habitants de la ville et avait même pu y enrayer le crime.

De tout cela, il ne reste malheureusement qu’une carcasse boîteuse et infirme- une sorte de stèle- sur laquelle il faudrait s’appuyer pour essayer de reconstruire et réhabiliter ce qui a été volontairement détruit par l’ignorance et la cupidité.

Nous demandons par la présente à Monsieur le Ministre Wardeh l’annulation de la dite autorisation, car le les deux bâtiments sont toujours classés comme monuments historiques sur l’inventaire du Ministère de la culture.

Nous demandons qu’ils soient réhabilités selon les lois appliquées par la Direction générale des Antiquités avec un dispositif renforcé de supervision des travaux.

Nous demandons également que ce genre d’incidents ne se reproduisent plus car notre patrimoine est précieux et nous tenons à le préserver et ce sur tout le territoire libanais.

Enfin le théâtre Inja fait partie de ces monuments qui reflètent une époque où Tripoli vivait un épanouissement culturel sans conteste et l’image d’une ville ouverte, avant-gardiste et civilisée qui doit rester à jamais dans notre mémoire collective……… ».

Mes sincères condoléances à ce pays qu’on assassine…

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

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