Un bureaux de change au Liban. . Crédit Photo Francois el Bacha pour Libnanews.com. Tous droits réservés
Un bureaux de change au Liban. Crédit Photo Francois el Bacha pour Libnanews.com. Tous droits réservés

Le gouvernement vient d’adopter un plan de redressement pour tenter d’enrayer une crise financière et monétaire qui ne peut être dissociée des politiques financière (des gouvernements successifs) et monétaire (de la Banque du Liban, BDL[1]) en place depuis 1992-93 :

  • Une parité fixe (« peg ») entre la livre libanaise et le dollar américain alors que les États-Unis ne sont ni le premier fournisseur ni le premier client du Liban. Cette politique a limité le commerce extérieur et notamment les produits agricoles et industriels. La livre libanaise a fini par se déprécier sur le marché de change parallèle et le peg officiel est devenu purement fictif.
  • L’économie rentière reposant sur un système pyramidal (dit de Ponzi) consistant à endetter l’État (et donc les Libanais) auprès d’étrangers, de personnes âgées, de la diaspora et des banques locales (utilisant les dépôts de la diaspora) à des taux d’intérêt très élevés. Cette politique a conduit à rendre insoutenable le niveau de la dette du Liban et surtout le service de celle-ci et pour lequel un tiers du budget national est alloué. Cela s’est fait au détriment de la santé, de l’éducation, des infrastructures et des autres besoins des Libanais. 
  • Les prêts immobiliers. Cette politique a créé une bulle immobilière. Elle a été adoptée au détriment des secteurs productifs (l’agriculture et l’industrie) et du digital et du numérique (qui pourraient être des outils précieux dans la lutte contre la corruption : l’e-gouvernement, l’e-administration et l’e-municipalité). À contrario, Israël est le troisième pays le mieux représenté au Nasdaq après les États-Unis et la Chine. 
  • Les agences exclusives et les monopoles exclusifs du type Katteneh, Abou Adal et Fattal. Cette politique a bloqué toute économie libre. 
  • L’absence de volonté sérieuse de favoriser le retour des réfugiés syriens en Syrie malgré leur poids économique et social. Les réfugiés syriens consomment le tiers de l’électricité. La croissance économique du Liban s’est arrêtée depuis l’éclatement de la guerre en Syrie. Cela a entrainé l’effondrement du système pyramidal (Ponzi). 
  • La corruption et l’incompétence qui prévalent tant au sein de la classe politique que dans l’administration publique et même à la tête des banques. Jusqu’en 2005, l’occupant syrien a participé à cela.
  • Le clientélisme politique dans l’administration publique qui donne un pouvoir d’influence ou de nuisance aux formations politiques au sein du gouvernement qu’elles y soient représentées ou pas. 
  • Le détournement de fonds publics à travers le Conseil du Sud sous le contrôle du mouvement Amal et de son chef le Président du Parlement Nabih Berri, la Caisse des déplacés (en fait des réfugiés, « sandou’ el mouhajjarin ») libanais sous le contrôle du parti socialiste progressiste (PSP) et de son chef Walid Joumblatt et le Conseil pour le développement et la reconstruction et le Haut Comité de Secours tous deux sous le contrôle du Courant du Futur (CdF). 
  • Les réseaux de contrebande à l’aéroport international de Beyrouth, dans les ports de Beyrouth et de Tyr et à la frontière avec la Syrie, gérés par le duo chiite, le mouvement Amal et le Hezbollah ou par certains de leurs partisans. 
  • La « mafia des générateurs » proche du mouvement Amal qui bénéficie de l’échec des gouvernements successifs à passer à l’usage du gaz dans les centrales électriques et à produire suffisamment d’électricité à travers la construction des infrastructures nécessaires. 
  • L’offre touristique visant uniquement les ressortissants arabes du Golfe au détriment d’une offre diversifiée pour attirer des ressortissants européens, américains et asiatiques alors même que le nombre de touristes chinois augmentait de manière exponentielle. 
  • Le Traité de Fraternité signé avec la Syrie en 1991 et établissant des relations économiques et commerciales inéquitables entre les deux pays et impactant négativement les secteurs productifs du Liban.
  • La dilapidation des réserves en devises de la BDL pour payer les factures d’un État mal géré, stabiliser le peg qui n’aurait jamais dû être instauré et réaliser des opérations de change et d’ingénierie financière dans le but d’attirer des capitaux (mais qui ont en fait accélérer l’effondrement). 

Le parti des Forces libanaises (FL) [2] a récemment soulevé la question des réseaux de contrebande à la frontière-passoire de 360 kilomètres avec la Syrie car ils concernent désormais également des produits subventionnés par l’État comme le mazout et la farine, acheminés chez le voisin syrien à travers près de 150 points de passages illégaux. Avant hier, le ministre de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, a expliqué que “la demande pour le blé et le mazout est supérieure aux besoins du marché[3], ce qui signifie que les quantités supplémentaires sont soit stockées pour une utilisation ultérieure, soit jetées à la mer, soit envoyées illégalement à l’étranger”. De son côté, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a appelé à la normalisation des relations avec la Syrie pour mettre un terme à la contrebande frontalière car, a-t-il dit “partout dans le monde, la lutte contre le trafic frontalier se fait de manière bilatérale”.

Le parti des FL et le parti Kataëb ne participent pas au gouvernement actuel et s’y opposent sans présenter la moindre solution concrète pour résoudre la crise financière et monétaire. Leurs chefs, Samir Geagea et Samy Gemayel, font porter toute la responsabilité à d’autres qu’eux. Samir Geagea affirme que cette crise est due « au trio tenant les rênes du pouvoir », c’est-à-dire Michel Aoun[4], Hassan Diab[5] et Nabih Berri[6]. Il a invité le gouvernement dont il a prétendu à l’antenne d’Al-Arabiya le 27 avril 2020 ne pas vouloir la chute à mettre fin au gaspillage dans les institutions, aux passages frontaliers clandestins et à l’embauche de fonctionnaires sur une base partisane ainsi qu’à s’atteler à réformer les secteurs de l’électricité, des télécommunications et des douanes, au tri des déchets et à la lutte contre la corruption. Il a posé comme condition pour accepter le plan du gouvernement des mesures préalables visant à fermer les passages frontaliers illégaux, à réformer les douanes et l’électricité et à mettre un terme à la dilapidation des fonds et la corruption. Quant à Samy Gemayel, il accuse « ceux qui sont au pouvoir » et ceux qui, depuis 2017, ont voté des budgets pour financer, selon lui, des emplois fictifs et des projets inutiles ; la BDL parce qu’elle a accepté de financer ces budgets ; et l’hostilité du Hezbollah envers l’Arabie saoudite qui pousserait, selon lui, les Saoudiens à ne plus déposer de l’argent au Liban (à la BDL et dans les banques locales) – or, Saad Hariri, alors Premier ministre en exercice, avait été arrêté par le prince héritier saoudien fin 2017 –. Il souhaite des élections législatives anticipées en vue de former un gouvernement qui pourrait prendre des décisions courageuses et radicales. 

Pourtant, ni l’un ni l’autre ne peuvent nier leurs participations dans plusieurs des gouvernements précédents – parfois même aux postes importants de vice-Premier ministre[7] (2016-2020) ou encore de ministre de l’Économie et du Commerce (2014-2016) – et donc leur part de responsabilité – le Courant patriotique libre (CPL) a de son côté obtenu les postes importants de vice-Premier ministre (2008-2009), de ministre de l’Économie et du Commerce (2016-2020) et de ministre de l’Énergie et de l’Eau (2009-2014 et 2016-2020) – :

Dans les gouvernements (1989-1992) avant la première nomination de Rafic Hariri au poste de Premier ministre dont ceux qui ont couvert l’accord de Taëf (1989), l’invasion syrienne (1990) et l’anschluss avec la Syrie avec le Traité de Fraternité (1991) :

  • Georges Saadé, alors chef du parti Kataëb : entre 1989 et 1992, ministre du Plan, des Travaux publics, des Postes et télécommunications.
  • En 1990, Samir Geagea, alors membre du parti Kataëb avait été lui-même nommé ministre d’État mais avait finalement demandé à être remplacé par Roger Dib, alors également membre du parti Kataëb : entre 1990 et 1991, ministre d’État sans portefeuille. 
  • Ministres qui furent membres du parti Kataëb mais ne l’étaient alors plus : Élie Hobeika[8] : entre 1990 et 1992, ministre d’État aux Déplacés – en fait aux réfugiés libanais ; et, Michel Samaha : en 1992, ministre de l’Information puis du Tourisme.

Dans les gouvernements de Rafic Hariri (1992-1998 et 2000 à 2004), fondateur et alors chef du CdF et dans lesquels le ministre des Finances est Fouad Siniora, alors membre du CdF : 

  • Karim Pakradouni, alors chef du parti Kataëb : entre 2003 et 2004, ministre d’État pour le Développement administratif.
  • Ministres qui furent membres du parti Kataëb mais ne l’étaient alors plus : Élie Hobeika : entre 1992 et 1994, ministre d’État aux Affaires sociales et aux Handicapés et entre 1993 et 1998, ministre de l’Énergie et de l’Eau ; et, Michel Samaha : entre 1992 et 1995 et entre 2003 et 2004, ministre de l’Information. 

Dans les gouvernements de Fouad Siniora (2005 à 2009), chef du CdF et dans lesquels les ministres des Finances, Jihad Azour de 2005 à 2008 et Mohamad Chatah de 2008 à 2009, sont membres du CdF :

  • Ministres membres du parti Kataëb : Pierre Gemayel (respectivement fils et frère d’Amine et de Samy Gemayel) : entre 2005 et 2006 (date de son assassinat), ministre de l’Industrie ; et Élie Marouni : entre 2008 et 2009, ministre du Tourisme.
  • Ministres membres du parti des FL : Joseph Sarkis : entre 2005 et 2008, ministre du Tourisme ; et, Alain Karam : entre 2008 et 2009, ministre de l’Environnement. 
  • Ministre représentant alors le parti des FL : Ibrahim Najjar, ancien cadre du parti Kataëb : entre 2008 et 2009, ministre de la Justice. 
  • (Ministres membres du CPL : Gebran Bassil : entre 2008 et 2009, ministre des Télécommunications ; et, Mario Aoun : entre 2008 et 2009, ministre des Affaires sociales. 
  • Ministre alors membre du CPL : Issam Abou Jamra : entre 2008 et 2009, vice-Premier ministre et ministre d’État.)

Dans le gouvernement de Saad Hariri (2009 à 2011), leader du CdF et dans lequel la ministre des Finances est Raya Hassan, membre du CdF :

  • Ministre membre du parti Kataëb : Sélim el-Sayegh : entre 2009 et 2011, ministre des Affaires sociales. 
  • Ministre membre du parti des FL : Sélim Wardé : entre 2009 et 2011, ministre de la Culture.
  • Ministre représentant alors le parti des FL : Ibrahim Najjar, ancien cadre du parti Kataëb : entre 2009 et 2011, ministre de la Justice.
  • (Ministres membres du CPL : Gebran Bassil : entre 2009 et 2011, ministre de l’Énergie et de l’Eau ; et, Fadi Abboud, entre 2009 et 2011, ministre du Tourisme.
  • Ministre représentant alors le CPL : Charbel Nahhas : entre 2009 et 2011, ministre des Télécommunications.)

(Dans le gouvernement de Najib Mikati (2011 à 2014), chef du mouvement Azm :

  • Ministres membres du CPL : Nicolas Sehnaoui : entre 2011 et 2014, ministre des Télécommunications ; Gaby Layyoun : entre 2011 et 2014, ministre de la Culture ; Chakib Kortbawi : entre 2011 et 2014, ministre de la Justice ; Gebran Bassil : entre 2011 et 2014, ministre de l’Énergie et de l’Eau ; et, Fadi Abboud, entre 2011 et 2014, ministre du Tourisme.
  • Ministre représentant alors le CPL : Charbel Nahhas : entre 2011 et 2014, ministre du Travail.) 

Dans le gouvernement de Tammam Salam (2014 à 2016), allié du CdF :

  • Ministres membres du parti Kataëb : Séjean Azzi : entre 2014 et 2016, ministre du Travail ; et, Alain Hakim : entre 2014 et 2016, ministre de l’Économie et du Commerce. 
  • Ministre représentant alors le parti Kataëb : Ramzi Jreige : entre 2014 et 2016, ministre de l’Information. 
  • (Ministres membres du CPL : Gebran Bassil : entre 2014 et 2016, ministre des Affaires étrangères et des Émigrés ; et, Élias Bou Saab : entre 2014 et 2016, ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.)

Dans les gouvernements de Saad Hariri (2016 à 2020), leader du CdF : 

  • Ministres membres du parti des FL : Ghassan Hasbani : entre 2016 et 2019, ministre de la Santé et vice-Premier ministre et entre 2019 et 2020, vice-Premier ministre ; Melhem Riachi : entre 2016 et 2019, ministre de l’Information ; Pierre Abi Assi : entre 2016 et 2019, ministre des Affaires sociales ; et, Richard Kouyoumdjian : entre 2019 et 2020, ministre des Affaires sociales.
  • Ministres représentant alors le parti des FL : Michel Pharaon : entre 2016 et 2019, ministre d’État au Plan ; Camille Abou Sleiman : entre 2019 et 2020, ministre du Travail ; et, May Chidiac : entre 2019 et 2020, ministre d’État au Développement administratif.
  • (Ministres membres du CPL : Tarek Khatib : entre 2016 et 2019, ministre de l’Environnement ; Pierre Raffoul[9] : entre 2016 et 2019, ministre d’État aux Affaires présidentielles ; Nicolas Tuéni : entre 2016 et 2019, ministre d’État de la Lutte contre la corruption ; Gebran Bassil : entre 2016 et 2020, ministre des Affaires étrangères et des Émigrés ; Raed Khoury : entre 2016 et 2019, ministre de l’Économie et du Commerce ; César Abi Khalil : entre 2016 et 2019, ministre de l’Énergie et de l’Eau ; Élias Bou Saab : entre 2019 et 2020, ministre de la Défense ; Albert Serhan : entre 2019 et 2020, ministre de la Justice ; Mansour Bteich : entre 2019 et 2020, ministre de l’Économie et du Commerce ; Nada Boustani Khoury : entre 2019 et 2020, ministre de l’Énergie et de l’Eau ; Ghassan Atallah : entre 2019 et 2020, ministre des Déplacés – en fait aux réfugiés libanais ; et, Fadi Jreissati : entre 2019 et 2020, ministre de l’Environnement. 
  • Ministres représentant alors le CPL ou le Président de la République Michel Aoun, fondateur du CPL : Yaacoub Sarraf : entre 2016 et 2019, ministre de la Défense ; et, Sélim Jreissati : entre 2016 et 2019, ministre de la Justice et entre 2019 et 2020, ministre de l’État aux Affaires présidentielles.)

(Dans le gouvernement de Hassan Diab (depuis 2020) :

  • Ministres choisis par le CPL ou par Michel Aoun : Zeina Acar, ministre de la Défense et vice-Première ministre ; Nassif Hitti, ministre des Affaires étrangères et des Émigrés ; Marie-Claude Najm, ministre de la Justice ; Raymond Ghajar, ministre de l’Énergie et de l’Eau ; Raoul Nehmé, ministre de l’Économie et du Commerce ; et, Ghada Chreim Ata, ministre des Déplacés – en fait aux réfugiés libanais.)

[1] La Banque Centrale du Liban dont le gouverneur, Riad Salamé, a été nommé en 1993 par le gouvernement dirigé par Rafic Hariri et reconduit par la suite à son poste en 1999, 2005, 2011 et 2017. 

[2] Fondé en 1991 par Fouad Malek mais réellement lancé par Samir Geagea en 1992-93 après son échec aux élections internes du parti Kataëb. Le parti a été interdit de 1994 au moment de l’arrestation de Samir Geagea et de Fouad Malek. Le gouvernement de Fouad Siniora a réautorisé le parti en 2005 mais a attribué la licence à Samir Geagea alors que Fouad Malek, en conflit avec lui, la revendique. 

[3] Raymond Ghajar, le ministre de l’Énergie et de l’Eau, a révélé que la demande de mazout en avril 2020 est supérieure d’un million de litres à la demande un an plus tôt (en avril 2019). 

[4] Président de la République depuis fin 2016. Le Courant patriotique libre (CPL) qu’il a fondé est représenté au gouvernement depuis 2008. 

[5] Premier ministre depuis le début de l’année. Il avait été ministre de l’Éducation nationale entre 2011 et 2014.

[6] Président du Parlement depuis 1992. Entre 1982 et 1988, le Président de la République était Amine Gemayel, chef suprême du parti Kataëb de 2005 à 2007 puis chef du parti Kataëb de 2007 à 2015. C’est sous mandat que Nabih Berri et Walid Joumblatt devinrent pour la première fois ministres (1984). Depuis cette époque, le mouvement Amal et le PSP ont participé à presque tous les gouvernements qui se sont succédés.

[7] Lors de son allocution télévisée du 29 avril 2020, Riad Salamé a affirmé que les comptes de la BDL sont consignés par le Ministère des Finances et par le vice-Premier ministre. 

[8] Président du Comité Exécutif des Forces libanaises de 1985 à 1986. 

[9] Membre des Forces libanaises jusqu’en 1985-86. 

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