Emmanuel Macron depuis la Résidence des Pins, le 6 août 2020. Crédit Photo: Dalati & Nohra

Monsieur le Président,

Mon peuple se meurt !

Mort après mort, les libanais habitent une cité sans murailles, un cimetière à ciel ouvert hanté d’une horde de charognards qui en font leur festin. Nous sommes dans l’horreur du mal et de ce brisement. Ces dirigeants politiques qui tiennent les rênes de tout un pays, sont rentrés dans les affres du mensonge.

Le cri du désespoir des libanais et le retentissement bruyant et douloureux de ses souffrances sonnent le glas !

Ce désastre qui s’abat sur toute une population me fait penser à la joie dans la mort et surgit en moi les douleurs du passé, ce traumatisme d’une guerre fratricide vécue qui ne guérit jamais. Depuis, à chaque pas vers la vie, le désastre est devenu de plus en plus invincible.


Monsieur le Président de la « Patrie des droits de l’Homme »,

Mon peuple se meurt faute de médicaments ! Il marche dans le cortège de la mort vers le martyr. Plus d’analgésiques, plus d’anesthésiques, plus d’antibiotiques, plus d’antiseptiques, plus d’antispasmodiques et plus de traitement pour le Cancer ni de consommables médicaux.

Qu’en est-il des droits de l’homme au pays du Cèdre ?
« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour […] les soins médicaux ainsi pour les services sociaux nécessaires […] Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. […] En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance ».

Franco-libanaise, je vis ici, en France, de l’autre côté de la rive, dans l’abondance des médicaments, dans la panacée et la quiétude des soins, loin de la détresse, de la douleur et de l’effroi.

Je vis loin de l’arène misérable et de l’affliction que je ne puis même pas être fière de mes larmes et ma manière d’aider mes compatriotes (à mon niveau), face à cette situation funeste, ce cataclysme et ce fléau qui s’abat dans le ciel d’un pays où les Saints Cèdres, les roses et les jasmins exhalaient jadis leur parfum.

La débâcle, la déroute et la banqueroute, de tout un Etat en décomposition, ont entraîné les libanais vers l’agonie et l’anéantissement.

Au Liban, nous assistons à une population abandonnée à son sort et dépourvue ; des patients meurent faute de soins, des médecins et des hôpitaux lancent des cris de détresse par manque de médicaments.

Alors qu’en France, se trouve un gisement de Médicaments Non Utilisés, des tonnes et des tonnes, qui sont jetés dans des conteneurs-bennes et incinérés par la suite (86 % des Français rapportent leurs MNU périmés ou non, chez le pharmacien selon l’étude barométrique BVA en mars 2021).

J’en sais long, puisque depuis septembre 2020, active sur le terrain dans l’aide humanitaire médicale, je mesure la quantité des dons de médicaments, de consommables et d’équipements médicaux que je reçois de mes donateurs.


Si seulement vous pourriez exaucer ma requête, Monsieur le Président.

La France a toujours été au chevet du Liban et vous avez été le premier président à vous déplacer, deux jours à peine après la double déflagration survenue à Beyrouth, le 4 août 2020. C’est dans la continuité de cet élan de solidarité lancé le 6 août 2020, que je vous saurais gré de réagir à ma requête.

Ne vous est-il pas possible de mobiliser la chaîne de l’industrie pharmaceutique afin de pouvoir encourager davantage les donateurs (entreprises du médicament, pharmaciens et grossistes-répartiteurs, etc.) et récupérer ces médicaments non périmés et ces consommables médicaux plutôt qu’ils soient jetés dans des bennes ?

Il y urgence à secourir tout un pays en manque de soins et ces MNU sont d’une utilité extrême pour les hôpitaux et pour une population qui se meurt au quotidien. Pourquoi les gaspiller et les incinérer ?


Monsieur le Président,

Ô combien est douce et chère la lumière de l’aube après avoir vécu l’effroi en épouvante. Mais à quand s’élèvera le soleil sur la terre de lait, de miel ?

Âpre est la lutte de mon peuple. Cinglante est leur survie. Déchirant est leur espoir d’existence. Vivre dans la dignité humaine est devenu un rêve absurde pour un peuple en agonie.

Heureux soient nos morts, ils n’ont pas survécu à la d’échéance de leur pays. Heureux soient-ils, car ils ont qui les pleurer, qui les enterrer quand bien d’autres ont été engloutis, dans les décombres de ma ville natale, Beyrouth, comme un point fatal pour une vie dans l’errance.

L’inviolable falaise de l’esprit libanais, l’imprenable forteresse de notre mémoire de guerre, l’invincible résilience de tout un peuple face à cette marmaille et l’exercice intenable face à la vie…, jusqu’à quand ?

Noir de noir est mon regard sur ce pays, ses lumières ont été éteintes et la souffrance que subit mon peuple est beaucoup plus cruelle que l’on ne pouvait imaginer.

Face à ce macchabée de l’histoire, il ne me reste que des mots difficiles à dire. Écrire et vous écrire, Monsieur le Président, devient plus fort que la vie, cette vie piétinée à la libanaise.

Oui, il nous faudra se garnir de ces rideaux obscurs tellement la noirceur de notre cœur est si profonde et tellement l’obscurité nous fait craindre les lueurs affaiblies de notre beau soleil.

Voilà pourquoi je vous écris. Les mots sont devenus ma revanche face à cette impitoyable injustice que vit Beyrouth et mon pays natal. Exhausseriez-vous ma requête ?

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma respectueuse considération.


Jinane Chaker-Sultani Milelli

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