Opinion : Lettre ouverte au Général Michel Aoun

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13 octobre 1990, est une date où le palais présidentiel est tombé dans les mains des Syriens.
Une date à laquelle le pays a sombré sous la dominance d’un autre pays voisin …
Il a fallu attendre le 14 mars 2005 pour le libérer de cette domination …

Un quart de siècle, 13 octobre 1990 – 13 octobre 2015.
Depuis, que sommes-nous devenus ?
Un quart de siècle et le peuple toujours ballotté entre ces va-et-vient sans fin, entre une politique pour, et une politique contre. Et quand ce sont les mêmes qui changent et qui retournent leurs chemises, l’Histoire nous impose un rappel, afin que la mémoire de ceux qui ont été sacrifié, ne soit pas encore une fois, souillée !

Marcher jusqu’au palais présidentiel pour commémorer la date du 13 octobre 1990, est-ce une marche funèbre ? Une marche qui commémore la date où le pays avait sombré sous la domination syrienne, un moment où le pays a été humilié…
C’est la date qui rappelle la fuite et le début du long parcours d’exil d’un Général qui fut le premier à s’opposer à cette armée syrienne.
Un quart de siècle, qu’est-il devenu ce Général fuyant le palais, demandant asile en pyjama à l’ambassade de France au Liban ?

Non Général, je n’ai pas encore oublié !!!
Non, je n’ai pas oublié cette humiliation et ces soldats sacrifiés.
Non, je n’ai pas oublié ces familles endeuillées et l’armée décimée …
Non, je n’ai pas oublié que notre palais présidentiel ait été ainsi si souillé …

Une marche vers le palais !
Oui, un retour sur les lieux du crime, mais sans vos soldats massacrés par la botte d’un régime qui n’a pas hésité à bombarder le palais, vous obligeant à fuir le pays…
Les archives en témoignent encore …
Vos discours, vos commentaires et votre résidence en Ile-de-France ont encore le parfum de vos paroles prometteuses…

Commémorez-vous, en grande pompe le souvenir de la fuite et de l’humiliation ?
Car avant toute surenchère et commémoration, rappelez-vous qu’il y a eu des morts qui se sont sacrifiés pendant que leur chef a choisi de les laisser mourir …
Et c’est cette mémoire du sacrifice qu’il ne faudra pas souiller.
Ils se sont sacrifiés pour vos paroles, vos dires, vos promesses d’un avenir meilleur, tout comme aujourd’hui, avec vos promesses qui enflamment les cœurs, les esprits et les rues, sauf à une différence près, en un quart de siècle ; vous avez changé de clan, d’objectif mais en gardant les mêmes slogans, les mêmes promesses et je n’ose imaginer la suite de ces promesses trompeuses et illusoires qui nous mènent vers le chaos.

15 ans d’exil entre Paris et Cannes…
Général, que voulez-vous commémorer?
La mort de mes compatriotes qui se sont sacrifiés pour vous ?
Que voulez-vous commémorer Général ?
La mort de l’espoir qu’avaient des milliers de Libanais en vous ?
Que voulez-vous commémorer Général ?
Vous étiez l’un des plus forts qui avait osé dire « Non » face à ceux qui ont pillé notre pays ! Vous étiez cet ambitieux, en qui beaucoup de mes compatriotes avaient cru en vous … Commérer quoi exactement ? Votre défaite ? Votre fuite ? Ou votre marche funèbre sur des corps d’hommes qui se sont sacrifiés pour une cause nationale ? La vôtre aussi !
Comment expliquer aux survivants de ce 13 octobre 1990, ce qui s’est déroulé ?
Comment expliquer à ces survivants votre changement d’adhésion et votre détournement de la situation ?
Comment leur dire que vous êtes encore en vie, de retour de cet exil, mais à l’opposé de ce que vous étiez ?
Comment expliquer votre retour sur le lieu du crime mais tout en étant maintenant de l’autre côté, tout en appuyant ceux qui vous ont chassé hors du pays, et vous ont obligé à la résidence forcée en France ?

Général, si vous étiez élu par le parlement, vous seriez alors, sans aucun doute, le Président des Libanais, de tous les Libanais, car à lire vos discours, on ne peut qu’y adhérer, mais entre vos actes sur le terrain et vos écrits diffusés ou vos discours déclarés, il y a un grand écart, pour celui qui essaye de comprendre ou pour celui qui ne se laisse pas influencer, ou tout simplement pour les électrons libres qui guettent la vérité derrière des actes …

Apparemment vous maintenez votre choix d’être l’élu d’une minorité qui ignore en grande majorité, la part de l’Histoire … Je me souviens de vous, lors de vos années d’exil à Paris, être ce Général qui a semé l’espoir d’un retour glorieux, un retour au pays sur la base des mêmes principes qui vous ont mis dehors, en exil …
Pourquoi, Général, en voulant le trône coûte que coûte, vous avez choisi de vous éloigner de vos principes semant sur votre chemin, à nouveau de faux espoirs ?
Pourquoi Général, si vous êtes vraiment l’élu du peuple, ne passeriez-vous pas par la voie Parlementaire ?
Ne pensez-vous pas qu’on est lasses, épuisés et abattus par ce déchirement fratricides qui s’acharne sur nous ?
Et vous General, ne pensez vous pas que les années passent et nous nous éloignons davantage de notre union patriotique ?
Il est temps Général, d’appeler le peuple à la réconciliation, car ce sont des messages qui pourraient être dignes des étoiles que vous portez !
Il est temps Général, de mettre de côté, toutes les “na3arat* qui divisent mon peuple et annoncez-nous la réconciliation citoyenne …
Revenez au Parlement, Général.. Car c’est au Parlement et du Parlement que vous pouvez vous introniser Président et ce n’est nullement en marchant sur la mémoire de vos fidèles écrasés et tués par les chars de l’ennemi, l’ennemi votre allié de ces jours-ci, que vous allez effacer la mémoire collective d’un peuple qui croyait en vous !
Est-ce par héritage que vous décidez de tromper à nouveau ces jeunes qui vous suivent à l’aveuglette ?
J’aurai pu être aussi des vôtres, sauf que mon âge et ma mémoire me font blocage !
J’aurai pu être des vôtres, sauf que ma conscience collective est restée imprégnée par cette déchéance et cette fuite en pyjama …
J’aurai pu être des vôtres, si seulement la vie de mes compatriotes qui vous ont suivi à l’époque, est restée saine et sauve !!!
Encore j’accepterai l’idée qu’ils se soient sacrifiés pour le pays et pour ce que vous étiez, ce leader, ce Général qui voulait libérer le pays !
Mais vous voilà aujourd’hui tournant le dos à vos principes d’antan et vous voilà aujourd’hui l’allié de celui qui vous a pourchassé, vous poussant à la fuite et vous imposant 15 ans d’exil.
Non Général, des gens comme moi, de la « génération flambeau », n’ont pas oublié cette humiliation et cette détresse imposée au pays.
L’Histoire d’un peuple s’écrit par des actes et c’est à la mémoire collective qu’il appartient sa sauvegarde …

« Seul le travail politique, quand il s’accompagne de moyens, de plans, et de l’adhésion de l’ensemble des acteurs, révèle le potentiel de toutes les autres activités. Il vérifie surtout par l’épreuve du réel, la correspondance entre le principe qui dirige l’action et sa réalisation, en montrant s’il a conduit ceux qui ont pensé y trouver le chemin du bonheur éternel à la catastrophe ou non. »

* mot libanais signifiant “discordes”.

Par Jinane C.S. Milelli

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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