L’Euro Foot et L’Euro Star

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Pendant que l’Euro foot s’enlise en France, dans la morosité ambiante, entre les inondations et les grèves à répétitions des syndicats, contre une loi devenue à force de modifications, incompréhensible et improbable, la Grande Bretagne annonce ,à la suite d’un référendum historique ,son retrait de l’union européenne ,à laquelle elle avait adhéré, il y a plus de quatre décennies( 1 er janvier 1973).

Nous qui pensions que l’Euro star qui fêtait plus de deux décennies (1994), allait définitivement et pour toujours, relier la grande Île au Continent. Nous nous étions affranchis, des avions et des bateaux car le train sous la manche, nous portait en un peu plus de deux heures, plusieurs fois par jour, du cœur de Paris (gare du nord), au cœur de Londres (gare St Pancras). Ces deux mondes qui étaient devenus si proches et qui allaient à nouveau s’éloigner.

Certes ce moyen plus facile de locomotion, va perdurer mais nous allons à nouveau perdre, ce sentiment de continuité psychologique, celui d’appartenir non seulement à une même entité géographique mais également, historique, culturelle et politique. Même si la Grande Bretagne était restée relativement, en retrait du projet européen, en conservant sa monnaie nationale, face à la monnaie unique (l’euro) et en n’adhérant pas, à l’espace Schengen. On ne peut pas s’unir et garder en même temps, toutes ses prérogatives et ses spécificités. Les deux démarches sont inversement proportionnelles.

Par ailleurs, un autre frein à l’union a été et restera, quoi qu’on en dise. Ce sont les liens étroits structurels, culturels et politiques qu’entretiennent, le Royaume uni et les Etats-Unis d’Amérique qui se sont construits, à partir des anciennes colonies britanniques (dont ils se sont émancipés, Indépendance Day 4 juillet 1776) et qui sont devenus depuis, la plus grande puissance du monde. Les liens généalogiques, historiques et culturels demeurent et on ne peut adhérer à deux projets, également puissants à la fois. Un discours identitaire se construit, dans ses paramètres et ses priorités.

Les deux grandes puissances anglo-saxonnes (l’ancienne et la nouvelle) partagent toujours la même langue et certaines valeurs singulières communes avec variantes, qui facilitent le processus d’identification. La grande Bretagne a toujours eu un pied en Europe et un autre, outre atlantique. La langue y est pour beaucoup et il en serait de même différemment, pour la France et L’Allemagne, si les Etats unis parlaient français ou allemand. Le général de Gaulle, grand visionnaire l’avait bien vu, quand il s’était opposé à l’entrée de la grande Bretagne .Elle n’est intervenue, que 3 ans après son décès.

Comment le dirait Claude Lévy Strauss (race et culture 1971), il y a un équilibre démographique et culturel, qu’il faudrait préserver. On ne peut appartenir à des univers concurrentiels (de même concernant le couple franco-allemand pour l’espace francophone essentiellement en Afrique ou l’Union de la Méditerranée touchant les 3 continents). L’Europe avec le Royaume uni ne pouvait pas devenir, une entité cohérente politique et culturelle, avec le couple constitué franco-allemand face aux Etats –Unis. Même s’ils sont alliés et composent l’Occident (valeurs démocratiques et mœurs) il y a surtout une diversité linguistique et une histoire qui diverge .Toute entité fait le choix de retenir certains aspects, de son histoire et de sa culture et d’en sacrifier d’autres. Se construire, c’est choisir et donc renoncer.

Bien sûr à ces raisons structurelles viennent s’ajouter, des raisons conjoncturelles. Il n’aurait pas fallu, faire un référendum en période de crise car cela se transforme automatiquement, en vote de contestation. Cette initiative de Cameron, même si elle correspondait à une promesse électorale, intervenait peut être au mauvais moment.

D’un côté la crise des migrants issus du conflit du moyen orient, arrivés en masse et que les dirigeants européens, ont traitée de manière divergente voire contradictoire, soit par humanisme utopique, soit par opportunisme économique et de l’autre la révolte des campagnes contre les villes, des milieux agraires et ouvriers contre les milieux financiers et bancaires, accentuée avec la mondialisation. Avec bien entendu la remontée des discours nationalistes et populistes, tant de l’extrême droite que de l’extrême gauche et cela dans toutes les démocraties occidentales.

Nous sommes dans un monde dont on n’identifie plus les frontières géographiques et idéologiques et qui est passé d’un monde ouvert, à un monde livré à lui-même, compte tenu de la difficulté à redéfinir les règles et à séparer, l’espace intérieur de l’espace extérieur.

Pendant que la Grande Bretagne se retire de l’Union, la Turquie multiplie les démarches forcées pour y entrer. Tout en utilisant, tous les arguments qui s’y opposent (mœurs patriarcales, négationnisme du génocide arménien reconnu par 47 pays dont la plupart en Europe, partition de Chypre qui est déjà membre de l’Union, arguments idéologiques religieux et homophobes, limitation de la liberté d’expression et des libertés individuelles en général etc.….)Et même négocie, dans un premier temps, la dispense imposée des visas et des indemnités substantielles ,en contrepartie de l’endiguement, des flots de réfugiés et des migrants(la Turquie étant un pays frontalier de la Syrie).

Face à un nationalisme de retrait, l’Europe est confrontée, à un autre nationalisme de conquête. Finalement il ne reste plus de l’héritage d’Atatürk, que l’alphabet latin qu’il a délibérément introduit, pour couper son pays de l’environnement arabo-musulman (même alphabet arabe, persan et ourdou) et l’ancrer sur le continent européen. Mais qu’on parte ou qu’on reste, il faudrait avoir des raisons suffisantes, pour se lier, s’engager à vie et durer. Une solidarité entre les peuples ne s’improvise pas. Comme d’ailleurs entre les personnes .Il faut qu’il y ait de la confiance et assez d’affectif, pour préserver l’autre et ne pas l’instrumentaliser. On est fidèle quand on s’identifie.

Voilà qu’elles étaient à peine tombées, il y a un peu moins de trente ans(1989), que les frontières surgissent à nouveau ,dans un monde en pleine explosion démographique(plus de sept milliards) et en pleine révolution des moyens de communication .Sans ajouter les crises identitaires, économiques et climatiques, dont tout le monde parle et que personne ne parvient à organiser, par manque d’autorité commune. Il y aura bien sûr toujours, l’eurovision et l’euro foot, pour réunir les peuples européens, autour d’un ballon ou d’une chanson, le temps d’un événementiel ponctuel ou d’une fraternité fugitive.

Un projet commun suppose, un récit commun qu’on se raconte, qu’on transmet et la croyance en un destin commun, qu’on projette et qu’on réinvente. Des éléments anthropologiques structurants, suffisants et indispensables (paramètres d’Hérodote : race, langue, religion, mœurs) et la capacité de les négocier positivement au mieux, pour ne pas devenir discriminatoires et se transformer, en idéologies de haine ou de dictature, en finissant par s’éliminer soi même. L’humanité se construit hélas, depuis la nuit des temps, parfois avec et parfois contre, elle-même.

En attendant le retour des peuples à eux-mêmes et une prise de conscience planétaire, nous pouvons suivre, dans les stades en direct ou les fan zones sur grand écran, au pied de la Tour Eiffel, sur le Champ de Mars, dieu grec de la guerre, les compétitions footballistiques, entre les nations européennes, qui essaieront de compenser, par l’élément festif et la victoire symbolique et illusoire sur le terrain de jeu, leur incapacité à se forger une identité commune, bien définie et définitive.

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