On se souviendra durant longtemps du rôle joué par les banques dans l’aggravation de la crise économique qui menace aujourd’hui même l’existence de nombreux libanais.

Les établissements bancaires ont longtemps bénéficié des mécanismes qui ont amené à la crise actuelle, notamment en utilisant les dépôts de leur clientèle afin d’obtenir d’importants dividendes. Certaines estimations chiffrent à plus de 60 milliards de dollars équivalant pratiquement aux deux tiers de la dette publique, les profits obtenus par les banques ces 10 dernières années. Pour rappel, 43% des actions appartiennent à des hommes politiques ou personnes exposées politiquement selon une étude effectuée en 2016 par Jad Chaaban qui est citée depuis comme un travail de référence par les institutions internationales. De facto, les hommes politiques avaient intérêt à endetter l’état pour obtenir des dividendes.

Par ailleurs, les banques libanaises dans leur totalité sont insolvables depuis début 2019. Si elles ont officialisé cette situation qu’en novembre 2019 avec un contrôle informel des capitaux dans la foulée des manifestations d’octobre, elle faisaient en réalité face à de nombreuses difficultés financières depuis 2015 et 2016.

En réalité, si les banques accusent aujourd’hui l’état de défaut de paiement annoncée par le premier ministre Hassan Diab d’être à l’origine des difficultés du secteur, il n’en est en réalité rien. Si l’état officiel d’un défaut de paiement a été annoncé en avril 2020, il était effectif dès mai 2019 et confirmé en novembre 2019 après que le ministère des finances ait échoué à payer les eurobonds arrivés à maturité, un paiement pris en charge par la Banque du Liban.

Des difficultés financières connues depuis fort longtemps mais il ne fallait pas les rendre publiques

Les difficultés financières des banques libanaises étaient déjà connues depuis longtemps aussi. Ce facteur avait déjà obligé la Banque du Liban, à procéder aux fameuses opérations d’ingénierie financière afin de recapitaliser indirectement un établissement bancaire majeur dès 2016, une opération prolongée jusqu’en 2018, une opération qui coutera, selon des sources gouvernementales 24 milliards de dollars à la Banque du Liban pour apporter 16 milliards de dollars aux banques. Ces opérations consistaient à un apport par les banques des dollars de leurs clients convertis en livre libanaise contre un taux d’intérêt élevé. Ces opérations ont permis à la BdL de conserver l’illusion de réserves monétaires importantes alors qu’en réalité, un déficit de plus de 70 milliards de dollars était couvert par des profits fiduciaires et donc non réels pour les profanes.

De leur coté, les banques ont gonflé leurs profits, affichant des gains parfois dépassant le milliard de dollar, principalement versés comme dividendes en faveur de leurs actionnaires – dont 43% sont exposés politiquement – au lieu de fortifier leurs positions financières. Aujourd’hui, il s’agit d’un des nombreux facteurs ayant contribué à la gravité de la crise.

Dans la foulée de leurs difficultés, les premières différences entre parité officielles de 1507 LL/USD et officieuses sont apparues d’abord dans le secteur des carburants, avec des pénuries subies à partir de mai 2019. Les sociétés importatrices n’arrivant plus à obtenir des dollars des banques souhaitaient obliger les stations essence à fournir des dollars. Eux payés en livre libanaise ont d’abord commencé par acheter des dollars à parité officielle puis face à la pénurie de devise au marché noir.

Le spread entre la livre et le dollar en aout 2019. Source Bloomberg

Cette pression supplémentaire sur le marché des changes a des premiers écarts et à la création du marché noir jusqu’à atteindre le taux de change aux environs de 1700 LL/USD. Quant à la population elle n’était pas touchée jusqu’en octobre 2019. Quant aux banques, au lieu d’officialiser un état de manque de liquidités et donc de faillite, elles ont préféré limiter l’apport en devises étrangères.

Leur principale difficulté aujourd’hui est lié au fait que 83% des dépôts sont libellés de manière comptable à des dollars mais que les banques locales ont converti les dollars de leurs clients en livres libanaises au prétexte que la livre était stable. Depuis le spread entre parité réelle et parité nominale, les pertes du secteur bancaire se sont creusées au fur et à mesure que le différentiel augmente. Certaines estimations aujourd’hui comme celles d’agences de notation indiquent que les pertes du secteur bancaire dépassent les 100 milliards de dollar et équivalent aujourd’hui presque le montant des dépôts.

Les banques sont donc coupables d’avoir participé à l’élaboration d’une fraude pyramidale et de mauvaise gestion du risque souverain ainsi que d’une mauvaise gérance comme la Banque du Liban des dépôts. Certains comme moi depuis longtemps évoquent même le cas d’un schéma Ponzi. Si effectivement cette vision des choses était connue depuis longtemps par les spécialistes au Liban même, la communauté internationale aujourd’hui comme le président de la république française l’a publiquement évoqué le 6 août 2020, et plus grave encore, la Banque Mondiale le confirme aujourd’hui.

Ce schéma de fraude réclamait la coopération complète des banques au lieu de la bonne gérance des fonds qui leur étaient confiés et surtout d’une répartition des risques et c’est justement pour cette raison que les dirigeants des banques libanaises doivent en assumer la responsabilité.

Si les déposants manifestaient devant les banques sans comprendre que les fonds ont disparu pour plusieurs raisons mais toutes liées à la malgérance du secteur par ses dirigeants et l’absence au final d’une autorité de tutelle impartiale et réellement indépendante de leurs intérêts, comme le démontrent les liens entre dirigeants des banques et ceux de la Banque du Liban, ce fort conflit d’intérêt justement s’étaient déjà bien illustré par le passé par l’annonce de la candidature en 2007 de Riad Salamé à la présidence de la république devant les membres de l’association des banques du Liban et non devant le peuple dont il devrait être pourtant le serviteur.

La Banque du Liban comme autorité de tutelle des banques n’avait donc pas rempli son rôle en protégeant non pas les déposants comme cela devrait être le cas mais les banques et leurs actionnaires.

Focus

Des banques lourdement impactées par la crise économique 

Les banques libanaises sont, pour leur part, lourdement impactées par la crise économique que traverse le Liban. Cette crise est apparue au grand jour avec les fameuses pénuries de devises étrangères dès mai 2019, d’abord mises sur le dos de problèmes logistiques par la Banque du Liban avant de finalement reconnaitre que les établissements privés faisaient face à d’importantes crises de liquidité. L’ABL avait alors mis en place un contrôle informel des capitaux dès novembre 2019.  

Jusqu’à présent, les banques libanaises refusent généralement de permettre aux déposants de disposer librement de leurs fonds.

Dès 2019, de nombreux incidents avaient alors éclaté dans les succursales bancaires, des déposants exigeant de pouvoir retirer leurs fonds, ce que refusaient les responsables des banques alors que devrait prochainement être détaillé la répartition des pertes du secteur bancaire, estimée à 69 milliards de dollars selon le gouvernement Mikati III, 83 milliards de dollars selon le gouvernement précédent, un chiffre proche de celui du FMI et à 103 milliards de dollars selon certaines agences de notation.

Au total, les 14 premières banques libanaises à elles-seules nécessiteraient une injection de 65 milliards de dollars, bien au-delà des possibilités d’aide économique estimée à 26 milliards de dollars. Aussi, les haircuts sur les eurobonds ou encore sur une partie des obligations libanaises semblent devenir inévitables, en dépit de la hausse des fonds propres sur décision d’une circulaire de la Banque du Liban.

L’opportunité ratée du plan Diab-Lazard

Si le plan Lazard présenté par le gouvernement Hassan Diab avait été accepté en son temps, c’est-à-dire en 2020, sans avoir été publiquement saboté par les représentants des banques au sein de la commission parlementaire des finances et du budget, les libanais n’auraient pas vécu une dégradation aussi inouïe de leur pouvoir d’achat avec une parité visée de seulement 4 000 LL/USD et surtout des dépôts intégralement conservés jusqu’à hauteur 500 000 USD en contrepartie d’un bail-out des actionnaires actuels, d’une restructuration du secteur financier autour de quelques établissements plus résilient mais surtout une meilleure gouvernance des banques. Il n’en fut rien avec, notamment, la remise en cause des chiffres concernant les pertes du secteur financier par cette dite commission présidée par Ibrahim Kanaan, dont de nombreux actionnaires de banques figurent dans ses carnets de clientèles.

Les différences de chiffrage des pertes économiques étaient apparues entre gouvernement libanais qui estime les pertes du secteur financier à 83.5 milliards de dollars dont 63.7 milliards pour la Banque du Liban seule et le gouverneur de la Banque du Liban qui récusait ces pertes, estimant qu’elles seront effacées notamment par les profits fiduciaires à venir. Par ailleurs, le plan de sauvetage du gouvernement Hassan Diab prévoyant un approvisionnement au total des capitaux des actionnaires, ce dernier est combattu par l’Association des Banques du Liban qui a présenté un plan concurrent, refusant la notion de pertes dans son secteur. Pour sa part, la commission parlementaires du budget et des finances avait estimé les pertes à 26 000 milliards de livres libanaises au taux official de 1507 LL/USD et non au taux réel de la parité entre livre libanaise et devises étrangères alors. Quant au FMI, il estimait les chiffres du gouvernement proche de ses estimations.

Avoir retardé la conclusion pourtant inévitable d’un accord avec le FMI a amené à une détérioration supplémentaire de l’économie libanaise. Pour gagner du temps, face à la possible dégradation des conditions sécuritaires,

Arrive au pouvoir, Najib Mikati, grand actionnaire de banque lui-même, a, dans un premier temps, mis en cause le plan Lazard et tenté de sanctuariser les actionnaires justement des établissements actuels, pour ensuite être confronté à une réalité, celles d’importantes pertes dans ce secteur et également aux conditions du FMI. Il avait bien tenté aussi, au début de son mandat d’obtenir une aide financière notamment de l’Arabie saoudite, en vu d’échapper aux conditions de la communauté internationale. Seulement, l’aide de l’institution internationale est la seule capable de libérer aussi celle des autres pays y compris de la Chine ou encore de la Russie, n’en déplaisent à certains. Il y a des conditions à respecter. Parmi ces conditions figurent un audit général des finances publiques dont la Banque du Liban fait parti mais également des questions de transparence et la mise en place des réformes jugées indispensables.

Parmi les réformes, il s’agit surtout d’éviter les mécanismes qui ont amené à la dilapidation des fonds des banques privées. Pour cela, il faut évoquer le passé.

Le bilan aujourd’hui du plan Mikati est clair: La parité de la livre libanaise au marché noir est passée de 12 000 LL/USD à 30 000 LL/USD alors qu’on aurait pu limiter les dégâts à 4 000 LL/USD, les réserves monétaires ont fondu de 30 milliards de dollars à 11 milliards de dollars et les libanais subissent pénurie sur pénurie.

La politique de maintien de la parité entre Livre Libanaise et dollar déjà fortement critiquée lors de la sa mise en place

Dans les années 1990, après la chute du gouvernement Omar Karamé et l’arrivée de Rafic Hariri comme premier ministre, il a été décidé de mettre en place une mesure très à la mode à l’époque consistant à arrimer la livre libanaise au dollar. Ainsi la parité officielle de la livre libanaise face au dollar a été ancrée à hauteur de 1507 LL/USD de 1997 à aujourd’hui même. Cependant, les modèles économétriques montraient une parité réelle de 3000 LL/USD même si des débats concernaient justement ce sujet.

Un des débats était justement que l’ancrage de la livre libanaise devait se faire non seulement sur une devise d’un pays qui n’est pas notre principal partenaire mais sur un panier de devises représentatives de nos partenaires commerciaux, à savoir à l’époque le Franc Français, la Livre Sterling, la lire italienne, le rial saoudien, la livre syrienne et évidemment le dollar comme devise d’échange mondiale. L’arrivée de l’euro a permis justement de rétrécir ce panier à l’euro concernant les pays européens.

Déjà à l’époque aussi , certains – comme des précurseurs – craignaient que le non-flottement de la livre libanaise face au dollar se fasse au détriment de la compétitivité de la livre libanaise en raison de l’attractivité d’une monnaie locale stable avec des taux d’intérêts élevés, ce qui aurait amené des fonds notamment de la diaspora libanaise.

Dans le cas idéal, ces fonds auraient dû être réinvestis dans l’économie réelle par l’intermédiaire des banques locales, ce qui n’est été le cas en raison de l’appel d’air lié aux déficits publics, déficits eux-même liés à une mauvaise formulation de politique économique décidée par le gouvernement Hariri I, c’est-à-dire le plan Horizon 2000.

En contrepartie de cet endettement massif, les actifs des banques étaient gonflés officiellement par les flux financiers entrants mais réinvestis avec un fort d’intérêt ayant même atteint 38% dans les années 1990 en dette publique, provoquant un accroissement des déficits publics.

La politique de la PEG servait donc aux banques à attirer des fonds au Liban, sous prétexte d’une stabilité monétaire en dépit de taux d’intérêts importants, leurs permettant donc d’augmenter de manière non pérenne leurs actifs. Certaines banques sont donc ainsi passées de 3 milliards d’actifs début 2000 à 30 milliards de dollars avant la crise, cela sans réelle croissance au niveau national.

Le plan horizon 2000, le pendant économique d’une politique monétaire désastreuse

Dans les années 2000, le Liban a contracté une importante dette dans le cadre du programme de reconstruction d’un pays des cèdres après la guerre civile et intitulé Horizon 2000. Ce plan, mis en place par Rafic Hariri sacrifiait des plans entiers du système productif et s’articulait autour du tourisme et du secteur de l’immobilier. Quant à l’état, des pans entiers étaient indirectement privatisés, notamment dans les télécoms avec la mise en place des réseaux mobiles. Quant aux secteurs qui, par nature, ou volontairement, perdaient de l’argent, ils restaient à la charge de l’état, provoquant le creusement des déficits publics et l’état devait donc s’endetter pour continuer à se financer avec l’espérance de voir la croissance économique être supérieur au service de la dette.

Cependant, ce pari a été raté. La dette publique continuait à progresser atteignant jusqu’à 172% pour un PIB qui continuait à progresser allant jusqu’à atteindre début 2000, le montant de 30 milliards de dollars. Cependant, les dépôts des épargnants étaient encore intacts.

Des scénarios de crise évoqués dès les années 2000

Vers 2000 déjà, des scénarios de crise économique circulaient tant dans les milieux officiels que parmi les dirigeants des banques libanaises qui n’étaient donc pas sans connaitre les risques à venir. Ces scénarios prévoyaient une grave économique vers la 2ème moitié des années 2000. Pour éviter ces crises, le Liban obtiendra une aide économique dans le cadre de Paris I, II et même III après la guerre de juillet 2006 en contrepartie de promesses d’importantes réformes à mettre en oeuvre dans le secteur public, en terme de politique publique, de gestion fiscale et monétaire avec déjà l’évocation de l’abandon de la politique monétaire ayant instituée un PEG dans les années 1990 ou encore dans différents secteurs comme celui de l’électricité publique.

Ces réformes étaient censées combattre la corruption qui gangrénait déjà les administrations publiques.

Dans l’intervalle, le retrait des forces syriennes du Liban en avril 2005 a vu le remplacement de la mafia syrienne bénéficiant de l’aide d’intérêts libanais par une mafia exclusivement libanaise. Déjà lors de la conférence Paris III, les estimations des dommages du conflit de 2006 ont fortement augmenté et cela sans aucune explication du jour au lendemain avec à la clé, l’augmentation de l’aide internationale et la promesse de réformes sur différents plans, des réformes jamais effectuées parce qu’elles m’étaient fin au vol systématique au sein des administrations publiques.

Au lieu de cela, pas de réformes et épuisement des fonds, nouvelle crise de la dette et cette fois-ci recours aux dépôts des gens pour que cet état continue à vivre au-dessus de ses moyens avec la complicité des banques qui en retour bénéficiaient d’importants taux d’intérêt en livre libanaise ancrée au dollar. Ce mécanisme asséchait les dépôts en dollar et ce phénomène était encore accentué par le déficit commercial important et qui s’est encore creusé par la destruction des alternatives locales aux produits importés.

Avec l’assèchement des flux financiers dès janvier 2019, l’officialisation de la crise financière était devenue inévitable.

Et depuis la crise, les banques en déni de la réalité d’un état de faillite

Depuis le début de l’officialisation de la crise, les banques sont toujours dans le déni du sérieux de la crise et du rôle joué. Cette crise n’est pas politique pour une fois, elle est financière et trouve ses racines dans des problème structuraux. Elles ont longtemps collaboré à la mise en place d’un système qui aujourd’hui a atteint ses limites.

Depuis novembre 2019, les actionnaires des banques libanaises refusent toute solution qui se fasse au détriment de leurs intérêts, cela même au détriment des déposants. Les intérêts entre actionnaires et déposants sont antagonistes: Plus la décôte des comptes des déposants est importante, moins le bail-out des actionnaires le sera et vice versa.

Elles ont été protégées jusqu’à présent d’une faillite pourtant technique depuis l’instauration d’un contrôle informel des capitaux en novembre 2019, par différents artifices mis en place par la Banque du Liban, comme notamment, la pseudo-hausse de capital dont le dernier délai s’achevait en janvier 2021 et pour lequel de nombreux actionnaires ont apporté non pas du cash mais des biens immobiliers dont la valeur a été artificiellement gonflée. Pire encore, certains établissements n’ont pas procédé à cette hausse des capitaux et restent fonctionnels alors que la Banque du Liban aurait dû alors retirer leur licence et liquider ces derniers.

Un haircut est inévitable aujourd’hui. Il s’agit cependant d’en déterminer la portée.

Si le débat portait sur un total refus d’assumer une part de responsabilité dans la crise, désormais les choses sont claires. Les actionnaires des banques devront accepter les conséquences de la mauvaise gérance de leurs établissements. Le débat tourne aujourd’hui autour du pourcentage que le bail-out atteindrait et la source des nouveaux actionnaires qui feront leurs entrées au sein d’un secteur bancaire restructuré.

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