Un des premiers facteurs ayant contribué à la crise des dollars à l’heure actuelle est une pénurie des billets libellés en cette devise elle-même, avec notamment, il y a quelques temps déjà, l’impossibilité d’en retirer aux guichets automatiques – et non au niveau des transactions électroniques – en dépit des propos de Riad Salamé qui n’évoque que des problèmes logistiques sans en préciser les causes. Les conséquences, elles, sont bien visibles sur de nombreux secteurs d’activités – stations essence, minoterie ou encore importations de médicaments.

Abordons donc la question de “ces problèmes logistiques” au niveau de plusieurs hypothèses. Evidemment plusieurs facteurs peuvent concourir à cette pénurie en même temps.

L’hypothèse locale: Protéger à tout prix les réserves monétaires de la Banque du Liban pour éviter la dévaluation

La Banque du Liban pourrait être à l’origine elle-même de la pénurie en billets verts, indiquent certaines sources bancaires qui renvoient ainsi la balle dans le camps du gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé.

Ces mêmes sources indiquent qu’en raison de la baisse du Cash Inflow de l’étranger – un facteur largement surveillé par les pays et organisations donateurs du programme d’aide économique au Liban CEDRE -, la diaspora libanaise étant également inquiète par rapport à la situation économique et en l’absence d’investissements étrangers qui partagent ces mêmes craintes en raison d’un taux d’endettement public record, à hauteur de 150% du PIB, et de sérieux doutes concernant la réelle application des programmes de réformes économiques et monétaires promis par les autorités libanaises, les réserves monétaires en devise étrangères ont déjà baissé de 15% depuis le début de l’année, se montant officiellement à hauteur de 38 milliards de dollars, mais en réalité, beaucoup moins sont réellement utilisables dans la défense de la livre libanaise.

Les autorités libanaises semblent ainsi vouloir tenir “coûte que coûte”, la parité entre Livre et Dollars jusqu’à la concrétisation de l’aide économique prévue dans le cadre de CEDRE, alors que le Spreads entre les 2 devises n’a jamais été aussi élevé depuis 30 ans. En attendant, la population libanaise en subit les conséquences.

Ainsi, la Banque du Liban, afin de faire face à la baisse de ses réserves, achèterait à tout va, toutes les devises étrangères présentes sur le marché et ce, afin de maintenir sa politique de parité entre la Livre Libanaise et le dollars et la stabilité du système financier et notamment les banques, en dépit de l’impact de ces mesures sur les autres secteurs d’activités, à savoir les secteurs important des marchandises. Ainsi, l’importation d’essence, de médicaments, de produits de première nécessité, comme la farine, sont les premiers secteurs qui souffrent de cette politique visant à protéger la livre d’une dévaluation, cela aussi au détriment des intérêts de la population libanaise elle-même.

La Banque du Liban pourrait ainsi se voir coincée, entre la volonté de ses responsables de maintenir la parité entre la Livre Libanaise et le Dollars à tout prix et les nécessités de la population libanaise.
Paradoxalement aujourd’hui, le maintien de ces achats induisant un assèchement de l’offre en billets verts contribue également aussi à renforcer les craintes du côté de la population.

Pour rappel, cette baisse des réserves monétaires en devise étrangère utilisables pour la défense de la parité LL/USD avait déjà anticipé par les agences de notations Fitch et Moody’s. Ces dernières ont ainsi dégradé les notes des obligations libanaises estimant difficilement tenable le maintien de la parité, dès janvier pour Moody’s et en juillet dernier pour Fitch qui indiquait s’attendre à une diminution à hauteur de 19 milliards seulement, les réserves réellement utilisables par la BDL dans le cadre de sa politique monétaire.

L’hypothèse d’une pression politique étrangère: faire pression sur le Liban par sa faiblesse structurelle liée au maintien couteux de la parité entre Livre Libanaise et Dollars

Il y un autre aspect intéressant à souligner d’autant plus qu’il y a un momentum particulier avec la situation politique qu’on n’ose pas souligner. Le Hezbollah recourant à des systèmes de transactions en dehors du système financier en raison des sanctions américaines et donc utilisant probablement des billets de banques en devise américaine, il se peut que cette pénurie de billets soit elle-même liée à un possible refus des autorités américaines à en fournir.

En effet, Washington ne s’est pas caché de vouloir faire pression sur les autorités libanaises notamment lors des visites de ses responsables au Liban, comme dernièrement le sous-secrétaire du trésor américain en charge de la lutte anti-terroriste, Marshall Billingslea, “des soft pressions” notamment sur le système économique, avec des sanctions officiellement mises en place contre des personnes soupçonnées de faire affaire avec le Hezbollah, comme les changeurs précédemment voir des établissements bancaires comme la Lebanese Canadian Bank en 2011 ou dernièrement la Jamal Trust Bank ou contre des personnalités politiques. Cette pénurie de billet semble venir assez coincidentalement parlant à un moment clé où le Liban est assez affaibli économiquement parlant et sujet à de nombreuses pressions par son refus d’accepter le fameux deal du siècle, à savoir l’implantation des réfugiés palestiniens au Liban.
Nous assistons actuellement à de nombreux types de pression comme, dernièrement, le refus de voir accorder par les Etats-Unis des visas y compris pour les bi-nationaux libanais voyageant avec un passeport européen.

Dans un pays aussi dépendant de la devise américaine en raison de la dollarisation de son économie, il y a normalement une arrivée de billets de banque étrangers frais de manière plus ou moins fréquente. On aurait dit assister dernièrement à ce genre d’assèchement organisé à la source en raison du caractère quasi-soudain de cette pénurie, comme si elle était organisée.

L’objectif de cet assèchement pourrait être de provoquer une panique au niveau de la population et de faire ainsi pression sur les autorités tant financières que politiques. Sur le volet politique, on en connait les objectifs. Sur le volet monétaire, cela pourrait remettre en cause une partie de la politique monétaire menée depuis 25 ans, à savoir la dollarisation et la bunkerisation de notre taux de change.

Ce n’est là évidemment qu’une hypothèse mais qui démontre, n’en déplaisent aux autorités bancaires officielles, la faiblesse d’une politique de dollarisation de l’économie libanaise et de la politique du peg entre livre et dollars prise en 1993 et qui nous coute déjà fort cher en terme d’emploi et qui risque aussi de nous couter fort cher en terme de souveraineté politique en raison des pressions qu’un pays tel que le Liban puisse subir.

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