Alors que la situation politique se décante sur un plan régional, avec la fin du conflit civil en Syrie, la détente entre axes antagonistes, à savoir la Syrie, l’Iran et l’Irak d’un côté Arabie Saoudite et ses alliés du Golfe avec le retour des ambassadeurs des Émirats Arabes Unis et de Bahreïn à Damas, de nombreux écueils pouvant rendre la formation du prochain gouvernement d’union nationale du Premier Ministre Saad Hariri devraient être pourtant levés. Et pourtant aussi, il n’en est rien.

L’insistance de la part du Premier Ministre Saad Hariri à constituer un gouvernement d’union nationale, l’absence de volonté réelle de la part des autres partis politiques d’y figurer en dépit d’importantes concessions, le manque donc d’enthousiasme laisse donc penser et croire qu’il y a des raisons différentes à ne toujours pas avoir de gouvernement après ces nombreux mois qui ont suivi les élections législatives de mai 2018.

On pourrait finir par penser qu’un jeu de dupe est actuellement en cour de partie avec des partis et des courants politiques qui multiplient les excuses, les unes après les autres, pour ne pas voir un gouvernement être constitué. Un certain nombre de dossiers sont pourtant en souffrance critique sur un plan socio-économique et notamment avec la gestion des ordures dont le plan “provisoire” arrive à échéance ou encore et surtout des d’importantes difficultés économiques et monétaires.

L’une des plus importantes et graves décisions que devrait prendre le prochain gouvernement concerne en effet le domaine économique et monétaire. Alors que les tensions se font de plus en plus intenses, augmentation des déficits publics, atteignant plus de 83 milliards de dollars pour un PIB dépassant à peine 50 milliards, augmentation du déficit commercial et diminution du cash inflow en provenance de la diaspora pour diverses raisons, pressions sur la Livre Libanaise avec en catimini, l’échange en devise étrangère d’importantes sommes du fait d’institutions financières sans que le public en ait été informé – comme si elles se préparaient à un évènement cataclysmique – , augmentation du taux interbancaire qui a atteint le chiffre record de 75%, il y a de cela 2 semaines seulement. La liste des informations parcellaires ici ou là sont fort inquiétantes.

Aussi, nous assistons à des crises sectorielles et à une incapacité de l’État faute de moyens financiers à les résorber, notamment dans le secteur de l’immobilier où la politique des autorités ont stimulé l’offre au lieu de stimuler la demande depuis 2013 jusqu’à l’abandon forcé du programme en 2018, faute de fonds disponibles pour la BDL dont les finances sont désormais exsangues.
Faute aussi au niveau du pari du seul plan économique qu’on a connu lors des dernières décennies, à savoir placer le Liban comme étant un pays à destination touristique dans un environnement régional aussi instable avec des voisins comme la Syrie – désormais en guerre civile et dont une partie de la population s’est réfugiée au Liban, non pas pour des causes politiques mais pour des causes surtout économiques – et Israël, pays qui a perturbé les équilibres géopolitiques régionaux depuis sa création.

D’autres chiffres sont également alarmants: 2 200 entreprises ont déjà déposé le bilan en 2018, et le taux de chômage atteint les 35%, et 45% chez les jeunes. Certaines sources vont même évoquer jusqu’à plus de 50% de taux de chômage pour la fin de l’année 2018.

La défense de la Livre Libanaise montre également ses limites, avec une baisse du montant des réserves monétaires de la Banque Centrale qui a du prendre des mesures quelques peu polémiques à partir de 2016 pour faire face à la diminution du cash inflow qui les alimentait jusque là et qui alimentait également les finances publiques via la dette.

Parmi ses mesures, l’échange ou le SWAP de bons du trésors libellés en Livre Libanaise en Bons du trésors libellés en dollars qui étaient inclus dans les réserves monétaires étrangères pour un montant allant jusqu’à 12 milliards de dollars – mais guère utilisables pour la défense de la Livre Libanaise parce que non mobilisable au final. L’effet était en fin de compte plus psychologique que réel. Ces mesures ont d’ailleurs été largement critiquées par les institutions internationales comme la Banque Mondiale ou le FMI.

Plus on attend de prendre des mesures et des réformes nécessaires à corriger cet état des faits, plus les mesures correctives seront importantes.

L’erreur de l’augmentation des salaires sans gains de compétitivité, cause de la dévaluation à venir de la Livre Libanaise

La pression sur l’économie libanaise repose principalement sur l’erreur faite du temps du gouvernement de l’ancien Premier Ministre Tamam Salam lors du mandat présidentiel précédent, celui de Michel Sleiman, de l’augmentation insensée des salaires. Elle sera finalement adoptée en juillet 2017 par le gouvernement Saad Hariri après beaucoup de difficultés notamment par l’impossibilité pour l’Etat de la financer pour le secteur public sans creuser plus encore le déficit budgétaire.

Et pour cause: Cette augmentation des salaires sans gains de compétitivité et sans remise en cause de la valeur intrinsèque de la Livre Libanaise est l’une des causes principales des conséquences précédemment énoncées. Il reviendra au prochain cabinet d’en gérer les conséquences, à savoir principalement avec une dévaluation officielle de la Livre Libanaise comme ce que beaucoup évoquent.

Un moment critique où la responsabilité politique est nécessaire pour atténuer les effets de la dévaluation de la Livre Libanaise

Il semblerait cependant que face à cette difficulté, le Premier Ministre Saad Hariri insiste à constituer un gouvernement d’union nationale normalement dévolu en démocratie à des moments critiques dans l’histoire d’un pays comme un conflit militaire.
En effet, l’heure est d’une extrême gravité mais sur un plan économique.

Par son acharnement à constituer un tel cabinet, il s’agit peut-être pour Saad Hariri d’éviter que ses adversaires politiques profitent alors de la réputation qu’une telle mesure lui vaudrait, celle de l’Homme qui n’aura pas su défendre la Livre Libanaise et dont la réputation sera désormais entachée pour longtemps.

Pour ses adversaires et ses associés, le prix de la participation à un gouvernement d’union nationale est tout autant élevé puisqu’une nouvelle dynamique sur la scène politique est apparue, celle de mouvements dits de la société civile qui transcendent les clivages confessionnels traditionnels et qui, même s’ils ont échoué en général mis à part l’élection de Paula Yacoubian lors des dernières élections législatives -. Ce Courant de la société civile constitue désormais la seule alternative politique réelle face à des partis traditionnels qui n’ont su fonctionner les institutions de l’Etat que de manière plus ou moins consensuelle depuis 2005 avec des gouvernements d’union nationales qui se sont depuis succédés.

Pourtant une autre politique économique et monétaire est possible si on s’en donne le courage

Mais le courage politique ne semble pas être le propre de nos hommes politiques. Si dévaluation il y a, les importantes conséquences socio-économiques peuvent être atténuées par plusieurs mesures.
Il s’agira d’abord d’en amoindrir les effets avec une lutte plus efficace contre la corruption. Certains estiment à 4 milliards de dollars les sommes détournées et qui pourraient aider à financer le déficit public pour ce qui est de l’Etat. Évidemment la proximité entre hommes politiques et certains des grands fraudeurs rend la tâche ardue.

Pour ce qui est de la société, il faudra mettre en place une politique visant à alléger les effets de la dévaluation en donnant du pouvoir d’achat. L’État devrait ainsi diminuer les taxes sur certains produits de premières nécessités ou à avoir le courage en décidant d’abolir les fameuses agences exclusives qui profitent d’importantes marges. Cependant, ces mesures correctives ne pourront pas être aussi prises sans difficulté, ces cartels, voir ces monopoles contrôlant près de 30% à 40% de notre économie et donc disposant de nombreux leviers sur notre classe politique s’ils n’en faisaient pas déjà partis comme ministres ou députés même.

Une remise à plat des politiques économiques et monétaires

Deux facteurs gèrent l’économie d’un pays. D’une part, la politique intrinsèque elle-même du fait des institutions politiques via les ministères et d’autre part la politique monétaire qui est du ressort de la des Banques Centrales.

Jusqu’à présent, faute d’avoir mis en place une politique économique suite à l’échec du plan Horizon 2000, on a eu une gestion à court terme des différentes problématiques de la part des “institutions politiques”.

Par conséquence, faute de lisibilité dans la politique économique, le relais a été pris par la Banque du Liban, par une politique monétaire où elle gérait plutôt les conséquences faute de pouvoir contrebalancer les causes puisqu’elle n’en avait pas le mandat.

Cette politique économique et monétaire n’est cependant qu’à brève échéance. Il s’agit ensuite de remettre à plat l’ensemble du fonctionnement économique de ce pays et notamment la sacro-sainte politique de maintien de la parité entre Livre Libanaise et devises étrangères, fer de lance de la politique de la Banque du Liban.

Aujourd’hui, ce mode de fonctionnement doit être remis en cause avec des institutions qui sont en devoir de remplir le rôle dévolu à chacune d’entre elles. L’État doit reprendre sa place de régulation de l’économie et notamment rétablir une économie libérale en lieu et place d’une économie de monopoles qui ne profitent en fin de compte qu’à une partie très restreinte de la population. Ces monopoles ont détruit la classe moyenne. Il s’agira également de rendre à la BDL son rôle purement monétaire.

Pour cela peut-être aussi, un changement d’orientation si important ne peut être mené que par un changement des hommes qui dirigent les différentes institutions politiques et monétaires, ces politiques institutionnelles étant aujourd’hui tout simplement à bout de souffle.

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