Le « mur » de Trump est déjà là

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Damien Simonneau, Sciences Po Bordeaux

Dans un décret dédié à la sécurité frontalière et à l’immigration, Donald Trump a quelque peu précisé son projet phare de « mur » à la frontière mexicaine. Le nouveau Président enjoint au ministère à la Sécurité intérieure de « prendre toutes les mesures appropriées pour planifier, dessiner et construire un mur physique [au singulier] en recourant aux matériaux et technologies les plus efficaces afin d’aboutir à un contrôle opérationnel total de la frontière sud ». Le décret ne fournit aucun objectif chiffré en kilomètres, ou de localisations géographiques, ni de budget précis.

Le décret ne précise donc pas à quoi ressemblerait ce « mur », si ce n’est qu’il doit être « contigu, physique ou similaire à une barrière sécurisée, physique, contiguë et infranchissable ». Comme tous les décrets présidentiels, il donne avant tout une direction politique pour satisfaire un électorat. Le contenu pratique reste à déterminer et dépend notamment des choix budgétaires validés par le Congrès. Donald Trump ordonne ainsi d’identifier les financements permis par la loi et de solliciter le Congrès pour que ce projet soit budgété. Son administration a également testé l’idée de financer le chantier via une taxation des importations mexicaines, conformément à l’idée originale de Trump de faire payer la facture par le Mexique.

Ce décret offre avant tout une marque de volontarisme sur la sécurité nationale et l’immigration. Bien que cette annonce soit mise en scène comme une rupture par rapport au gouvernement précédent, Donald Trump s’inscrit dans le processus continu de militarisation de la frontière mexicaine depuis les années 1980. Le contenu du décret représente une surenchère de plus par rapport aux décisions prises par ses prédécesseurs, républicains comme démocrates. En effet, la zone frontalière est déjà substantiellement militarisée.

La frontière mexicaine est fortement militarisée

Depuis la fin des années 1970, en effet, les gouvernements fédéraux successifs militarisent la zone frontalière avec le Mexique. Chronologiquement, trois phases peuvent être isolées.

Tout d’abord, les premiers déploiements militaires de la seconde moitié des années 1970 à 1992 sous les administrations Carter, Reagan et G.H. Bush. Cette première phase correspond à l’expansion systématique des financements à l’agence fédérale Immigration and Naturalization Service (INS). Sur le terrain, cela aboutit au déploiement de capteurs enterrés, d’hélicoptères, de spots lumineux, de bases opératoires mais également au recrutement et à la paramilitarisation progressive de la Patrouille frontalière. Cela conduit aussi à la construction d’une première « barrière » basse en chaîne dans des zones urbaines comme à El Paso (Texas) ou encore à Yuma (Arizona) entre 1978 et 1980, puis la construction en 1991 d’une « barrière primaire » en tôles entre San Diego et Tijuana (Californie).

Ensuite, sous les deux mandats de Bill Clinton (1992-2000), des opérations « blocus » par le déploiement de gardes frontaliers à certains endroits le long de la frontière ont été décidées dans le but de dissuader les candidats à la traversée non autorisée. Ce fut le cas à El Paso en septembre 1993, puis en octobre 1994 dans la région de San Diego pour être ensuite imité à différents endroits. Des « barrières secondaires » fournies par l’entreprise Sandia sont alors installées le long de la frontière.

Enfin, la « virtualisation » du contrôle frontalier dans les années 2000 a été plébiscitée par les administrations Bush puis Obama. Elle consacre le recours aux technologies virtuelles de surveillance inaugurée dès 1998 avec le Integrated Surveillance Intelligence Program (ISIS) déployé dans le sud-ouest du Texas, recyclé en 2004 dans l’American Shield Initiative (ASI), puis rénové en 2006 dans le Secure Border Initiative (SBI). La stratégie est alors d’intégrer les différentes technologies de surveillance pour faciliter les interventions des gardes frontaliers tout en construisant des « infrastructures tactiques », dont de nouvelles « barrières » et des routes de patrouille.

À ce titre, une des pièces législatives maîtresse de l’administration Bush est sans doute le Secure Fence Act du 26 octobre 2006 dont l’objectif était, bien avant Trump, d’atteindre « le contrôle opérationnel de la frontière » en complétant « d’ici à 18 mois » la « barrière frontalière » dans les zones rurales.

Toujours plus de « barrières » face à des migrants moins nombreux

La militarisation de la frontière correspond à un dispositif de sécurité complexe qui s’accompagne de la modernisation et de la construction des points de passages frontaliers, du déploiement de drones ou de dirigeables pour surveiller verticalement les zones montagneuses et la mise en place de checkpoints.

Les « barrières » ne sont qu’un élément du dispositif. Elles ont pour spécificité de matérialiser la ligne frontière. Deux types de « barrières » existent en fonction des terrains : les « barrières pédestres » et les « barrières contre les véhicules ». D’après l’agence fédérale CBP (Customs and Border Protection), en 2015, environ 1 000 kilomètres cumulés étaient équipés de « barrières » sur une longueur totale de 3 141 kilomètres de frontière. La militarisation de la zone frontalière est en fait un laboratoire depuis les années 1980 mais accéléré dans les années 2000 pour tester de nouvelles technologies de contrôle à distance, dans une collaboration entre les agences fédérales (appuyées par le militaire) et les industries de défense et de sécurité. Cette militarisation se poursuit alors même que le nombre de traversées diminue.

Les données pour quantifier le phénomène de migration non autorisée à travers la frontière mexicaine correspondent aux statistiques d’arrestations publiées annuellement par CBP. En 2014, 229 000 personnes ont ainsi été arrêtées le long de la frontière sud-ouest – soit une diminution importante par rapport au record de 1,6 million de personnes arrêtées en 2000 et 809 000 en 2007 avant la crise économique.

Depuis 2005, les statistiques indiquent une diminution continue des arrestations à la frontière. Dans ce contexte, la migration nette entre le Mexique et les États-Unis est nulle en 2012, voire négative en 2015. Depuis l’été 2014, les routes migratoires, notamment depuis l’Amérique centrale, semblent plutôt déboucher sur le sud-est du Texas, où le nombre de migrants arrêtés a augmenté.

Malgré ces changements dans les caractéristiques migratoires, l’idée de « murer » la frontière a été électoralement payante en 2016.

Trump, nouvel acteur du spectacle du territoire muré

Alors que le projet de « mur » soulève encore beaucoup d’inconnues, le décret du 25 janvier doit être considéré comme un élément supplémentaire dans le spectacle politique du territoire muré que joue Donald Trump, comme beaucoup d’autres acteurs anti-migrants aux États-Unis. En plus de servir de lieu de contrôle, le territoire muré est le lieu d’une mise en scène : celle de la réassurance d’un électorat en mal de certitudes face à des migrations perçues comme intrusives, angoissantes et chaotiques.

Conformément à sa stratégie de conquête du pouvoir, Donald Trump file cette métaphore du « barrage contre les flux » tout en s’érigeant en protecteur qui sécurise les frontières face à des menaces extériorisées. Il inaugure ainsi une nouvelle étape dans un processus de militarisation déjà bien engagé. Et cela peu importe si les migrations sont moins importantes qu’auparavant, l’efficacité de la militarisation douteuse et la frontière déjà blindée.

Damien Simonneau, Docteur en science politique, Sciences Po Bordeaux

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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