Le troisième long métrage du réalisateur irakien Mohamed Al Daradji, primé et acclamé pour son précédent film ‘The Son of Babylon’, est une invitation à contacter l’humanité dans l’autre pour une rédemption éventuelle. Une empreinte de douceur au cœur d’une thématique dérangeante et du suspense. The Journey est présenté par l’Irak aux Oscar langue étrangère.

C’est le premier film à être projeté en Irak au cinéma depuis 1992. Dans ce pays où il y avait 275 salles de cinéma, le boycott américain et la dictature avaient atrophié le secteur. En 2003,  Mohamed Al Daradji et quelques confrères commencent à faire des films et à les montrer dans des projections mobiles non payantes, se déplaçant de ville en ville, de lieu en lieu. Les irakiens avaient alors encore peur d’aller au cinéma pour des raisons de sécurité. Projeté en Irak en mars dernier sans aucune censure – l’Irak n’a pas de censure comme le Liban – The Journey reçoit un accueil chaleureux. Si le sujet est difficile de prime abord comme le film traite du terrorisme et du patriarcat dans ses formes les plus violentes, le prisme lent et humain de Mohamad Al Daradji, le transforme en une exploration et une ouverture passionnante.

Sara veut commettre un attentat suicide dans une gare ferroviaire, microcosme social où l’on croise tous types d’individus, dragueurs en costard, femmes voilées ou pas, enfants abandonnés à leur sort et gangs d’enfants, musiciens, etc. Dans ce lieu symbolique, elle fait une série de rencontres qui la mettront aux prises avec la réalité des autres, la réalité tout court, qui vont la retarder dans son acte criminel. Le commettra-t-elle ? Une rédemption est-elle possible ? Quand on est en contact avec l’humanité de l’autre et sa réalité, tout aussi problématique que la sienne, on le devient soi-même : humain… peut-être. C’est en tous cas ce qu’a voulu montrer Mohamed Al Daradji dans ce film, un voyage de soi vers soi via l’autre. The journey s’ouvre avec le verset 22 du Coran, la sourat qui parle de cet instant avant la mort ou la vision est plus claire; et se termine avec ce même verset : «je fais un film avec le Coran comme vous avez tué avec le Coran», dit le cinéaste, frustré de toute cette violence, cet extrémisme, cette destruction qui se sont saisi du monde arabe et qui ont également dénaturé le regard que l’on porte sur les natifs de cette partie du monde.

Dans ce même esprit de toucher à l’humain, à l’authentique, il a opté pour des comédiens non professionnels, dont la libano-irakienne Zahraa Ghandour dans le rôle principal. La musique magnifique est en revanche elle, le fait de professionnels, notamment celle du directeur de l’Orchestre Symphonique irakien. Le film sort bientôt dans les salles dans quinze pays d’Europe et du monde, successivement à partir de la mi-novembre et Daradji a choisi le Liban pour le lancement de son film dans le monde arabe, le pays du Cèdre étant encore à son sens emblématique pour ce qui est de la culture et de la liberté d’expression, dans la région.

Pourquoi avoir choisi une gare et avoir pris le parti de tourner tout le film dans ce même lieu ?

Mon précédent film, Son of Babylon avait été tourné dans six villes d’Irak, par monts et par vaux. Pour celui-ci, je me suis dit : ne le tournons pas dans un hôpital ou dans une prison ; et puis j’aime les gares. J’ai choisi de le filmer dans un lieu unique parce que mon film est à propos des conséquences, du moment. Il n’y a pas besoin de remonter ailleurs ou plus loin. Une gare, c’est aussi un choix artistique.

Qu’est-ce qui vous a porté dans ce film?

Je voulais sortir des films d’action, regarder l’aspect humain. Peut-on redonner une humanité au terrorisme ? La guerre menée contre le terrorisme après le 11 septembre a échoué. Nous devons peut-être soulever la question autrement : peut-on regarder ces gens avec humanité? Je classe les terroristes en quatre catégories : 1) les croyants en une idéologie, ceux-là sont fermés, on ne peut même pas leur parler ; 2) ceux dont les cerveaux sont lavés ; vous pouvez laver leurs cerveaux autrement ; 3) ceux qui ressentent l’injustice violemment ; 4) les inconnus, ceux que l’on ne cerne absolument pas. Sara l’héroïne du film fait partie de ceux-ci. Par son truchement, je voulais explorer les possibilités du storytelling sans donner trop d’infos, faire confiance au public.

Au départ, je voulais exprimer ma colère par rapport à ces terroristes qui ont détruit mon pays;  je voulais exprimer ma revanche, ma frustration et puis un jour où j’ai rencontré en prison, cette femme inculpée de terrorisme, jeune et belle, qui aurait pu facilement être ma petite amie ou ma sœur, j’ai réalisé que c’était des êtres humains; j’ai laissé tomber mon idée initiale et j’ai retravaillé tout le scenario dans cet esprit.

Ma réaction est d’essayer de comprendre, les actions, l’esprit du personnage. En comprenant, on peut commencer éventuellement à trouver une solution. On ne peut pas combattre ce qui est inconnu, ou seulement le tuer. C’est inutile. Tu tues ceux d’aujourd’hui, il y en a plein qui restent, qui émergent. Aujourd’hui, ils se débarrassent de Daech ; dans dix ans il y en aura d’autres. C’est pour cela que je souhaite faire une association en Irak de drama for terrorism ou drama for extremism ; je veux ouvrir un centre pour les jeunes dans les lieux où Daech a sévi, leur donner une caméra pour qu’ils jouent avec, pour qu’ils disent leur expérience sous Daech, comment Daech les a traités. Je voudrais leur parler et faire venir d’autres irakiens comme moi leur parler, pour leur montrer que quelque chose d’autre est possible. Je pense que seule l’éducation peut éventuellement contribuer à faire changer les choses.

Pourquoi une femme terroriste?

En préparant Son of Babylon, j’ai lu un article à propos d’une femme qui avant de se faire exploser avait été se livrer à la police. Ça m’était resté à l’esprit. On parle toujours des effets de la guerre sur les femmes, les enfants ; je n’avais jamais pensé aux femmes en tant que guerrières. Il y a huit cents femmes terroristes étrangères en Irak et la première femme kamikaze en Irak était belge de souche, mariée à un algérien. Elle avait alors dix-sept ou dix-huit ans.

Tous mes personnages dans ce film sont des femmes parce que ce sont les femmes qui sont les victimes de cette guerre ; elles n’ont aucun pouvoir de décision ; elles ne sont pas des leaders de guerre, des politiciens, mais elles peuvent être au final aussi décisionnaires comme lorsqu’elles choisissent de prendre les devants dans leur vie privée comme dans cette scène où une femme demande à son amant de l’épouser. C’est fort. Traditionnellement, dans notre culture l’initiative incombe à l’homme.


Article paru sur l’Agenda Culturel avec l’aimable autorisation de son auteur.

Nicole Hamouche
Consultante et journaliste, avec une prédilection pour l’économie créative et digitale, l’entrepreneuriat social, le développement durable, l’innovation scientifique et écologique, l’édition, les medias et la communication, le patrimoine, l’art et la culture. Economiste de formation, IEP Paris ; anciennement banquière d’affaires (fusions et acquisitions, Paris, Beyrouth), son activité de consulting est surtout orientée à faire le lien entre l’idée et sa réalisation, le créatif et le socio-économique; l’Est et l’Ouest. Animée par l’humain, la curiosité du monde. Habitée par l’écriture, la littérature, la créativité et la nature. Le Liban, tout ce qui y brasse et inspire, irrigue ses écrits. Ses rubriques de Bloggeur dans l’Agenda Culturel et dans Mondoblog-RFI ainsi que ses contributions dans différentes publications - l’Orient le Jour, l’Officiel Levant, l’Orient Littéraire, Papers of Dialogue, World Environment, etc - et ses textes plus littéraires et intimistes disent le pays sous une forme ou une autre. Son texte La Vierge Noire de Montserrat a été primé au concours de nouvelles du Forum Femmes Méditerranée.

Un commentaire?