Des années durant, les libanais ont entendu, usé et abusé du terme de résilience concernant leur pays sur le plan économique, jusqu’à le rejeter aujourd’hui suite à la crise financière apparue au grand jour durant l’année 2019.

Certains hommes politiques iront jusqu’à vouloir donner des leçons à d’autres pays, concernant notamment la possibilité de fonctionner sans budget durant plus d’une décennie. D’autres associeront ce terme à la culture du Maalachi, une sorte de laissez-aller, permettant toutes les excuses, tous les abus. Maalachi, positivons à tout va quitte à accepter le pire. Il ne fallait pas nuire à l’image d’un pays qui continuait à s’enfoncer. Les indicateurs économiques continuaient à tourner au rouge, les uns après les autres, ceux de l’emploi, ceux de l’immobilier, ceux des finances publiques, ceux des banques comme les notes des agences de notation le prouvaient, et ainsi de suite. Pourtant l’atmosphère était à la fête. Let’s go party !!

La définition de la résilience réside en une capacité à surmonter les chocs traumatiques mais cela n’évite pas de les mesures nécessaires justement pour les surmonter. Au lieu de cela, les libanais prenaient coup après coup. Une attitude un peu sadomasochiste face aux 50 nuances de crises que nous traversions année après année sans affronter les obstacles réels qui se trouvaient en face de nous.

Les Libanais, victimes à l’image de Diane de Poitiers

Diane de Poitier, maitresse du roi de France Henri II

Au lieu de cela, les libanais ont vécu un phénomène de Mithridatisation, c’est-à-dire le fait de s’immuniser en s’accoutumant à un poison ou plutôt de tenter de s’en immuniser jusqu’à en payer le prix. Une des célèbres victimes de ce processus n’est autre que Diane de Poitiers qui s’était volontairement empoisonnée à l’or, pensant ainsi acquérir une beauté éternelle pour continuer à pouvoir se voir dans son miroir. Vanité quand tu nous flattes au lieu d’accepter la réalité …

Comme elle, les libanais ont souffert d’un empoisonnement et pire encore l’ont accepté pensant rouler sur l’or, “Lebnan Ahla Balad” comme on pouvait souvent l’entendre, quand en fait, ils vivaient à crédit avec une monnaie volontairement surévaluée, un endettement public qui explosait sans production de richesses réelles… toujours par vanité au lieu de se retrousser les manches et d’oeuvrer pour les générations à venir et pour la nôtre aussi.

Et quand on démontrait, faits et chiffres à l’appui, on était traité de tous les noms alors qu’on essayait simplement de faire un inventaire de situation et voir comment limiter la casse d’autant plus que la crise ne pouvait que se produire. La Vérité faisait mal à voir, il fallait donc la voiler.

Le Liban, un pays qui a vécu à crédit

Le Liban a vécu à crédit, d’abord avec l’aide internationale de Paris I, II et III, aucune réforme n’a été effectuée en dépit des vagues promesses faites à la communauté internationale, puis pour continuer sur cette mauvaise lancée, les dépôts se sont évaporés y compris ceux de la diaspora qui au final a participé à cette chute par un phénomène de maladie hollandaise, toujours pour s’endetter et maintenir cette illusion que tout allait bien quand cela n’était pas le cas.

En effet, au lieu de se soigner, on offrait de l’aspirine à cette économie, comme pour soigner une migraine d’un patient souffrant d’un cancer et de traiter la tumeur et ses métastases qu’il fallait extirper que cela soit ceux du clientélisme qui ronge les administrations publiques voire même privées, la corruption, du haut de l’échelle jusqu’au bas de celle-ci, le communautarisme et il serait fastidieux de poursuivre toutes les couleuvres que nous avons accepté année après année.

Un état aujourd’hui en voie de désintégration où il reste à déterminer la distribution des responsabilités afin de relancer la machine économique

Trois ans après le début de la crise, force est à constater que ce prix dépasse ce qu’on aurait pu imaginer. Les dégâts au lieu avoir adopté, en temps et en heure, les mesures nécessaires plus dures années après années jusqu’au pire. Plus de 82% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, un tiers dans un état d’extrême pauvreté, la livre libanaise a perdu 95% de sa valeur, la question du haircut se pose désormais avec l’épineuse problématique de la distribution des pertes, l’état est lui-même menacé de désintégration avec les désertions au sein des services de sécurité ou encore une justice qui a du mal à poursuivre des responsables que cela soit sur le plan financier ou encore ceux liés à un autre drame, celui du port de Beyrouth comme d’anciens ministres et ainsi de suite.

Le pire est toujours devant nous, tant que nous ne détricotons pas le système qui a abouti à cette situation de crise, l’une des 3 pires crises financières au Monde depuis la moitié du XIXème siècle selon la Banque Mondiale.

La responsabilité est malheureusement collective. Du haut d’un état qui a été faible, un état de non-droit au final à la population elle-même qui acceptait un état de fait, tant l’illusion, le mirage, était soigneusement entretenu, y compris par des relais de propagande, y compris la population elle-même abreuvée de promesses mais surtout de mensonges.

Certes, les responsables politiques et économiques et surtout monétaires savaient qu’une catastrophe majeure s’offrait malheureusement aux libanais mais tentaient tout de même d’en tirer un avantage, non pas pour le bien collectif mais pour le leur jusqu’à transférer une partie de leurs fonds à la veille de l’instauration d’un contrôle informel des capitaux par les banques. Précédemment, durant l’année 2018, la conférence CEDRE prévoyait une aide de 11 milliards de dollars contre des réformes qu’ils tentaient toujours d’éviter pensant comme durant Paris I, II et III obtenir ces fonds contre des promesses à ne surtout pas appliquer. Ils continuaient à souhaiter obtenir des commissions.

À l’étranger, les cercles proches des responsables négociant avec les autorités libanaises étaient outrés, évoquant un Titanic publiquement même sans orchestre. D’autres désignaient sous couvert de l’anonymat sans donner de noms, Monsieur 30% ou Monsieur 40% qui bloquait l’aide au Liban, même après la funeste explosion du port de Beyrouth. Un dernier rapport de la Banque Mondiale évoquait même ouvertement le schéma Ponzi mis en place dans le système financier. Evoqué à demi-mot par la presse et les médias locaux, ce rapport aurait été passé sous silence au Liban, il y a encore quelques années. Une sorte de d’Omertà appuyée par un système politico-financier et ses relais dans la presse qu’ils possèdent jusqu’à aujourd’hui.

Au Liban même, personne ne disait mot au nom justement de la résilience. Il fallait se contenter de ce terme et ne pas nommer un chat un chat pour désigner un quelconque responsable sous couvert d’excuses diverses comme parfois même religieuses. Désigner tel responsable était parfois en effet considéré comme une attaque contre la communauté à laquelle il appartenait, qu’elle soit chrétienne, sunnite ou chiite. La loi du silence était de mise comme autant de lignes rouges placées à l’encontre d’un état de droit ou de l’intérêt général.

La responsabilité est aussi celle d’un peuple, divisé et qui a continué à soutenir une classe politique et financière, abreuvé de promesses que tout va bien, un déni de la situation quand bien même ils auraient au courant.

Certains, aujourd’hui, estiment qu’il n’y a pas eu de lanceurs d’alerte. Pourtant, il y avait bien des voix qui dénonçaient publiquement les choses, l’inacceptable, sans être entendus, des voix dans un silence collectif assourdissant…

Nous avons tous, d’une manière ou d’une autre participé à ce système que nous dénonçons tous aujourd’hui parfois honnêtement faute de l’avoir su ou pour d’autres, avec des larmes de crocodile.

La Vérité est en effet dure à admettre. Quand on évoque la responsabilité des responsables politiques ou économiques, tout le monde applaudit. Quand on évoque la responsabilité aux différentes autres échelles, que cela soit celle des employés de banques, au courant s’ils sont compétents donc complices d’un système ou incompétents et dans ce cas, ils n’auraient simplement pas dû oeuvrer dans ce secteur, des fonctionnaires qui engrangeaient des bakchich et qui crient aujourd’hui de douleur face à la perte de leur pouvoir d’achat ou encore même – en évoquant le pouvoir d’achat – de la population elle-même qui s’est abreuvée d’un style de vie parfois flamboyant ou encore d’importants taux d’intérêts sans comprendre qu’elle n’était pas synonyme de production de richesse mais de dette via ce processus de mithridatisation, personne ne souhaite jusqu’à aujourd’hui même l’admettre.

Cela est d’autant plus grave d’autant plus en ce qui concerne la décôte ou haircut pourtant nécessaire afin restructurer le système financier et ainsi lancer et non relancer une économie qui ne s’était au final jamais reconstruite de manière pérenne après la fin de la guerre civile puisque nous payons depuis ces 3 dernières années, le prix de 3 décennies d’un système avec lequel on a collaboré ou accepté de mettre en place. Nous avons gâché 3 décennies de nos vies dans une illusion et jusqu’à présent encore, personne n’ose faire son chemin de croix.

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