« Pour nos enfants », par Véra El Khoury Lacoeuilhe

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Nous vivons dans un monde turbulent, toujours plus rapide, marqué par des changements sans précédent qui risquent de fragiliser nos valeurs communes et d’affaiblir la solidarité ainsi que la cohésion sociale.

La communauté internationale se doit d’y faire face afin d’éviter l’apparition d’un terreau fertile de conflits réveillant de vieilles rancunes historiques tout en aggravant les divisions religieuses et ethniques. Les mouvements tectoniques dans les domaines des technologies, la disponibilité des ressources, la démographie, les changements climatiques menacent par ailleurs la stabilité et la viabilité de notre planète. L’agenda 2030 trace une excellente feuille de route dans le but d’apporter une réponse multilatérale à ces défis.

Malgré ses imperfections, le système des Nations Unies demeure le cadre le plus approprié pour se donner les moyens de promouvoir la stabilité et le développement durable de manière à assure la paix et la sécurité dans des différentes régions de notre planète. Le système des Nations Unies est le rempart des droits humains. Comme l’a souligné récemment le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, « les droits de l’homme font partie intégrante de toutes les entités des Nations Unies, chacune ayant son propre rôle, complémentaire de celui des autres ».

Depuis sa fondation, l’UNESCO a pour noble objectif de contribuer à la paix, à la dignité, à l’égalité, au respect mutuel, à la protection des libertés fondamentales, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression, la libre circulation des idées et l’accès au savoir. Pour rester crédible, et atteindre ses objectifs, l’UNESCO doit, avec la bonne volonté des ses Etats membres, réduire la politisation excessive de ses travaux, qui l’a parfois transformée en « poudrière » au point de l’empêcher d’atteindre ses objectifs.

Nous devons aplanir nos différences, apprendre à faire de la diversité notre force et nous unir autour d’intérêts communs. Est-ce une demande excessive que de vouloir un avenir pacifique pour les générations futures ? Ce sont des leçons de vie que ma génération – « la génération de la guerre » – a apprises au détriment d’elle-même, alors que mon pays, le Liban, sortait lentement et douloureusement de dix-sept ans de folie, de violence, de haine et de destruction.

Engager le débat sur les sujets les plus sensibles et les plus clivants ne doit pas nous empêcher de nous concentrer sur ce qui nous unit.

Qu’est-ce qui peut nous unir ? Quelles aspirations, quelles valeurs et quelles ambitions partageons-nous ? Quel est notre principal dénominateur commun, au-delà de notre culture, de notre couleur, de notre genre ou de notre religion ? La réponse est : Nos enfants.

Nous désirons tous un avenir brillant pour nos filles et nos fils.
Nous souhaitons qu’ils s’épanouissent pleinement.
Nous voulons qu’ils trouvent des emplois stables, convenables et enrichissants.
Nous voulons qu’ils deviennent des citoyens libres et responsables.
Nous voulons qu’ils vivent dans une société inclusive et culturellement diverse.
Nous espérons qu’ils pourront vivre en paix sur une planète viable.

Ces objectifs touchent l’essence du mandat de l’UNESCO. Nous devons donc créer et pérenniser au sein de l’UNESCO un havre de paix pour le dialogue constructif et la coopération, afin de permettre à l’éducation, aux sciences, à la culture, à la communication et à l’information de nous unir – maintenant plus que jamais.

L’humanité d’aujourd’hui navigue en eaux inconnues, en pleine transition entre l’ère industrielle et celle de la connectivité. Les craintes que suscitent ce bouleversement de nos modes de vie doivent être pondérées par les formidables possibilités offertes à travers les nouvelles technologies. L’équilibre dépendra de notre capacité à concilier technologie et humanisme.

Nous devons adopter une attitude positive à l’égard du progrès technologique en l’exploitant de manière responsable afin qu’il serve le progrès de l’humanité tout en améliorant le niveau de vie de nos sociétés inclusives. A l’ère de la connectivité, l’UNESCO doit rester attentive aux implications éthiques des évolutions technologiques et viser l’égalité numérique. L’UNESCO devrait être le garant d’un dialogue équilibré au sujet de l’éthique à « l’ère de la connectivité ».

Comment allons-nous préparer nos enfants à des emplois qui n’existent pas encore ? Quelles sont les compétences fondamentales, les compétences de transition et les compétences de vie qui seront nécessaires en 2030 ?

A vrai dire, personne n’a la réponse. Les progrès technologiques entraînent une évolution et une transformation constantes du milieu du travail et des professions. Des métiers nouveaux se créent, ce qui exige de facto des compétences nouvelles. Le savoir et la mobilité deviennent un sésame incontournable pour l’accès aux emplois les plus modestes. Il faut donc insister sur la capacité à apprendre, à se développer tout en s’adoptant aux fonctions et aux taches nouvelles à mesure qu’elles apparaissent.

Il est difficile d’anticiper avec précision les effets à long terme des ces bouleversements technologiques, même si les tendances nous donnent déjà un aperçu des compétences nécessaires de demain. Les politiques éducatives et les programmes d’enseignement doivent tenir compte de ces tendances. L’UNESCO doit être un « Pôle de connaissanses », mobilisant tous ses réseaux, analysant les tendances et traduisant l’information en connaissances, afin que les Etats membres puissent les exploiter et les utiliser.

A l’ère de la connectivité, le rôle de l’éducation et des enseignants doit évoluer. Il ne s’agit plus de «transmettre des connaissances aux enfants », mais de « faciliter l’éducation et révéler les talents de chaque enfant ». « Si les enfants n’arrivent pas à apprendre comme nous enseignons, nous devons enseigner comme ils apprennent ».

Par ailleurs, nous devons investir dans un enseignement de qualité à tous les niveaux, en particulier pour les filles dans le domaine des sciences. L’éducation doit favoriser la créativité, la résolution des problèmes, la résilience et l’esprit d’entreprise. Il faut améliorer le profil ainsi que l’image de l’enseignement technique et professionnel tout en l’articulant avec le secteur privé en prévision des emplois de demain. La croissance exponentielle des possibilités d’apprentissage en ligne ainsi que l’accès aux ressources éducatives libres en ligne exigent d’établir voire d’actualiser en permanence les normes relatives aux certifications et à la reconnaissance des diplômes. En outre, la nécessité d’adopter une culture de l’apprentissage tout au long de la vie est une priorité absolue, en raison de la rapidité avec laquelle le monde change.

Nos enfants méritent de vivre dans la paix et la sécurité. Lorsque la violence se généralise, que ce soit sous forme d’extrémisme, de radicalisation, de culture de gangs ou de trafic illicite, la capacité de nos jeunes à apprendre, à travailler et à apporter une contribution positive à la société se trouver sérieusement compromise. L’UNESCO doit apporter une réponse globale à toutes les formes de violence, en libérant les foyers, les écoles et les sociétés de l’hostilité, pour les transformer en lieux d’apprentissage et de dialogue.

Il n’est plus possible de résoudre ces défis à travers les approches traditionnelles, devenues inefficaces voire obsolètes. Les résultats des approches innovantes explorées à l’institut Mahatma Ghandi de l’éducation pour la paix (MGIEP) de l’UNESCO sont prometteurs. En échangeant directement avec les jeunes, l’Institut les fait participer aux solutions. Le MGIEP se base sur l’apprentissage cognitif, la transformation du comportement et le développement des compétences socio émotionnelles, tout en utilisant les nouvelles technologies comme des outils ayant la capacité de transformer l’éducation, dans le but d’édifier des sociétés durables et pacifiques. Cela permet aux enfants d’interpréter et de comprendre le monde par le biais du « questionnement critique » tout en renforçant leur caractère moral afin d’agir et de développer leur capacité à éprouver de l’empathie et de la compassion.

De tous les continents, l’Afrique est celui où l’impact des nouvelles technologies a entraîné l’avancée la plus spectaculaire. Malheureusement, les défis à relever restent nombreux. La démographie galopante, deux fois la moyenne mondiale, a de graves répercussions dans les domaines aussi importants que le chômage des jeunes, l’analphabétisme, l’inégalité entre les genres, la connectivité et le changement climatique. Cela exige de la part de l’UNESCO une réponse urgente, intégrée et énergique.

Nous devons agir ensemble si nous voulons léguer à nos enfants une planète en bonnes santé. Le changement climatique est « le défi majeur de notre temps », et l’’UNESCO doit renforcer sa contribution à l’effort mondial pour atténuer les effets négatifs du changement climatique et s’y adapter. L’éducation, les sciences, la culture, la communication et l’information doivent viser à influencer notre conscience collective.
La priorité actuelle donnée par l’UNESCO aux communautés et aux pays les plus vulnérables et les plus touchés par le changement climatique doit se traduire par une action concrète et déterminée. Nous devrions tous devenir instinctivement conscients des répercussions de notre comportement sur l’environnement et de ses effets négatifs sur la durabilité de notre planète.

L’humanité ne peut prospérer sans une action volontariste visant à atténuer les changements climatiques, gérer la biodiversité, les ressources en eau douce et les océans, car l’existence même des populations qui vivent dans les zones côtières de faible altitude et les petits états insulaires en développement est menacée par la montée du niveau de la mer.

Les Conventions culturelles de l’UNESCO sauvegardent, transmettent, encouragent et protègent la culture ainsi que le patrimoine. Elles sont les fleurons de l’Organisation, qui sont à l’origine de nouvelles formes de recettes, il est donc essentiel de les soutenir afin qu’elles restent performantes et crédibles.

La destruction récente d’un patrimoine culturel unique souligne l’importance de la protection et de la préservation de la culture dans les zones de conflit. La préservation va au-delà de la protection matérielle des artefacts historiques. Elle touche nos identités et notre histoire commune.

Il faut investir dans le développement de l’intelligence culturelle – la capacité à communiquer et à travailler efficacement entre cultures. Une intelligence fondée sur l’amour de la culture et du patrimoine, rehaussée par la créativité et les expressions culturelles, et multipliée par la diversité culturelle.

La culture n’est pas un ensemble statique de caractéristiques héréditaires, de valeurs et de comportements. Il s’agit d’un processus évolutif. Ce que l’on considérait autrefois comme « moderne » est la « tradition » d’aujourd’hui. Et ce qui est moderne aujourd’hui sera tradition demain. Ce qui importe, c’est d’entretenir le dialogue. L’UNESCO devrait offrir un havre de paix au dialogue culturel, en se concentrant sur ce qui nous unit et en veillant à ce que toutes les voix soient entendues, en particulier celles des minorités et des femmes.

L’égalité entre les sexes et l’automatisation des femmes sont un préalable pour relever de nombreux défis du XXIe siècle. Les femmes et les filles représentent la moitié de la population mondiale, c’est-à -dire la moitié de son potentiel dans tous les domaines. L’égalité est un droit et non un choix. La mise en œuvre de l’ODD 5 va exiger un intense travail de coordination entre les entités des Nations Unies. Les problèmes sont tellement interdépendants que l’échec dans un domaine peut compromettre le succès dans les autres.

A propos des femmes, Alfred de Vigny disait : « Après avoir étudié la condition des femmes dans tous les temps et dans tous les pays, je suis arrivée à la conclusion qu’au lieu de leur dire bonjour, on devrait leur demander pardon. » Il est malheureux que cette citation du XIXe siècle reste valable aujourd’hui. Cela ne plaide-t-il pas en faveur d’une approche plus audacieuse de l’égalité des genres ?

L’UNESCO doit traduire l’agenda de l’égalité entre les sexes en prestations efficaces dans ses programmes, en commençant par examiner le progrès accomplis jusqu’à présent, afin de s’assurer que l’égalité entre les sexes ne consiste pas seulement à cocher des cases

Si le mandat et les fonctions de l’UNESCO restent pertinents, relever les défis actuels exige de sa part une résilience, une anticipation et une inventivité renouvelées L’UNESCO doit optimiser l’utilisation des technologies modernes Nous devons semer les graines d’une Agence connectée, afin de rationaliser, simplifier et accélérer les processus internes, et améliorer l’efficacité, les performances et le rayonnement de l’Organisation à l’extérieur

L’UNESCO doit avoir un impact et mesurer ses résultats. Pour être efficace, l’UNESCO doit faire ce qu’il convient, et pour être performante, l’UNESCO doit le faire comme il convient.

Plus que d’une augmentation ponctuelle et ad hoc de ses revenus, l’UNESCO a besoin de financements stables, prévisibles et durables, en s’ouvrant davantage aux partenaires extérieurs et en créant un écosystème de nouveaux modèles de revenu, afin d’accroître sa capacité à produire des résultats et d’améliorer le rapport coût-efficacité de la mise en œuvre du programme.

A cet égard, la capacité de l’UNESCO à attirer des financements est directement liée à sa crédibilité, à son niveau de transparence, à sa responsabilité et à un environnement propice aux donateurs. Cela dit, si l’UNESCO souhaite élargir sensiblement sa base de financement et accéder à d’autres sources de financement, elle doit faire appel à des spécialistes de la levée de fonds. Le financement est directement lié à la capacité de l’Organisation à produire des résultats convaincants, fondés sur des éléments tangibles, qui démontrent sa valeur aux Etats membres. Les succès de l’UNESCO représentent un potentiel en termes de levée de fonds, et un certain nombre de thèmes sont éligibles au financement participatif, où il est plus facile de multiplier le nombre de soutiens afin d’augmenter la quantité des aides à petite échelle, au lieu d’en solliciter quelques-uns qui y contribuent beaucoup.

Le Secrétariat est un atout essentiel de ces transformations, dont les directeurs sont les leaders et les membres du personnel les talents. Dotés d’une autonomie d’action, leaders et talents doivent rendre des comptes et ils agissent en conséquence. La Directrice générale doit encourager l’initiative, l’expérimentation, la créativité et l’établissement de réseaux. Le rôle de ceux qui dirigent au sommet est d’inspirer le changement, mais la transformation ne peut se faire que de bas en haut, par le biais d’un processus ascendant, tout en assurant un suivi, une transparence et une responsabilité accrus à l’intérieur, à l’extérieur et à tous les niveaux.

L’UNESCO doit devenir Agile dans son mode de gestion et d’administration – plus innovante et avec un nouvel état d’esprit. L’Organisation devrait adopter les principes de la démarche Jugaad, selon lesquels on trouve de l’abondance dans la pénurie, l’adversité est transformée en opportunité, les solutions en innovations, le statu quo serait sans cesse remis en question et les gens travailleraient avec le cœur.

Au cours des décennies, l’UNESCO a édifié un ensemble unique de partenariats et de réseaux, à commencer par ses commissions nationales, dont le vaste potentiel en matière de synergies et de relations mérite d’être exploité de manière nouvelle et créative, y compris par la production participative pour élargir notre base d’expertise grâce aux nouvelles technologies. L’UNESCO doit faire preuve d’innovation pour étendre son rayonnement et démultiplier pleinement ses effets.

Étroitement liés entre eux, les objectifs de développement durable sollicitent un grand nombre d’acteurs. L’UNESCO doit se concentrer sur son avantage comparatif et, le cas échéant, apporter son soutien au travail des autres. Une nouvelle culture de partenariats implique de préférer les synergies aux conflits de compétences, la collaboration à la concurrence, et de comprendre qu’on réussit ou pas du tout.

Le poste de Directrice générale n’est pas un emploi. C’est une mission, une vocation à servir, un engagement à faire passer l’intérêt de l’UNESCO avant le sien. Une telle vocation n’émerge pas soudainement à la veille d’une élection.

Pour diriger et inspirer l’UNESCO, il faut :
Donner l’exemple.
Agir de manière juste et impartiale – créer des consensus.
Croire que les responsabilités sont plus importantes que les prérogatives.
Avoir l’esprit d’équipe et avoir confiance dans le personnel.

La nouvelle directrice générale devra se mobiliser pour faire de l’UNESCO la meilleure organisation possible : un modèle de transparence, de responsabilisation, d’éthique, d’innovation, et de résultants, une organisation qui serve tous les Etats membres en fonction de leurs besoins une organisation qui reconnaisse les aspects multidimensionnels de la pauvreté et se donne pour philosophie de ne laisser personne au bord du chemin.

L’UNESCO a connu des temps difficiles, mais cette épreuve peut se transformer en une nouvelle opportunité – celle de tourner le dos aux modèles passés pour se projeter dans un nouveau modèle adapté à l’ère de la connectivité.

C’est bien sûr, une immense ambition. Mais comme le disait Sergion de Mello : « Si nous ne nous visons pas ce qui semble inaccessible, nous risquons de nous contenter de la médiocrité. »

Alors, visons ce qui « semble inaccessible ». Pour nos enfants.

Vera El Khoury Lacoeuilhe

Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].

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