Politique et littérature

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« Politics is the great generalizer », Leo told me, « and literature the great particularizer, and not only are they in an inverse relationship to each other – they are in an antagonistic relationship.”

Cette phrase tirée du roman de Philip Roth “I married a communist”, résume parfaitement le rapport (ou l’absence de rapport) qu’entretiennent ces deux phénomènes centraux entre eux. D’un côté, il y a la politique qui cherche à simplifier par ses concepts, ses idéaux, voire ses idéologies, dans le but de plaire puis de gouverner. De l’autre, la littérature, qui cherche, à travers le particulier, à produire une alternative à la réalité ou à s’y rapprocher, et cela sans but précis sinon de satisfaire un désir de beauté ou de vérité. L’objectif du premier de ces phénomènes, par essence accessible à tout le monde, est de plaire à une masse, tandis que celui du second est de se plaire ou de se complaire. L’un est orienté vers l’extérieur. L’autre, quand il nous atteint, parle à notre intérieur. De là vient que la politique cherche constamment à « révolutionner », tandis que la littérature se suffit d’exister, de se perpétuer.

D’où vient-il donc que lorsque ces deux phénomènes se retrouvent, ils produisent du génie ? Quand l’un se met au service de l’autre, il le sublime. L’Histoire avec un grand « H » regorge d’événements politiques magnifiés par la littérature, et de discours politiques imbus de cette même littérature. Napoléon, personnage romanesque par excellence, a nourrit une bonne partie du XIXème littéraire et intellectuel par ses exploits. Hugo, puis Jaurès, et plus récemment Mitterrand, étaient tous habités par la belle prose. Mythifiés à juste titre par leurs contemporains, ils l’ont étés grâce à cette fusion réussie entre ces deux mondes. Ce qui manque à l’un est apporté par l’autre. Ainsi, l’antagoniste devient complémentaire quand on y fait bon usage. Mêler le beau au concret permet d’accoucher d’une autre réalité, nécessairement nouvelle et progressiste.

Où en sommes-nous aujourd’hui, alors que l’Histoire fait son grand retour après des décennies d’absence ? Y a-t-il encore des hommes (ou des femmes), habités par la beauté de la littérature, susceptibles d’émerveiller le monde ? Ou alors, faut-il considérer que la médiocrité trumpienne a eu raison de la politique? Faut-il se résigner à ce que des généralisateurs, sans nuance aucune, gouvernent notre monde avec leurs idées simples à la « America First » ou « Mes ennemis sont des terroristes » ? Plaire au peuple, telle est devenu l’unique credo des leaders de nos jours, qui font de la surenchère dans le néonationalisme minimaliste. Les communistes, puis les néo-libéraux, n’y échappaient pas non plus au siècle dernier. Tous, sûrs de leurs dogmes, lissés par une rhétorique bien rodée, ne faisaient rien d’autre que de la politique politicienne.

Ceci étant dit, l’alliance entre politique et littérature serait bien entendu vaine sans ces belles idées qui font avancer le cours de l’Histoire. Parmi lesquelles se trouvent la justice, la liberté, le respect d’autrui dans sa différence, ou encore, l’égalité ou la cause écologique. Ce dégoût contemporain du politique pourrait très bien céder sa place à une vivacité exaltante, si et seulement si l’élément culturel et transcendant reprenait la place centrale qui lui est due au sein de l’arène historico-politique. Faire vibrer les foules ne suffit pas. Il faut voir au-delà, en pensant à toute l’encre qui coulera élogieusement après sa mort.

Emmanuel Ramia
Ingénieur et économiste pétrolier, Franco-Libanais, féru de littérature, de géopolitique, et de philosophie. Passionné par l'Histoire de son pays d'origine et celle de son pays d'adoption, il rédige ses articles sur l'actualité avec un soin particulier accordé à la dimension historique et philosophique.

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