Depuis sa fondation en 1985, le Hezbollah s’est concentré sur sa lutte militaire contre les Israéliens au Liban. Mais il n’est pas seul sur la scène chiite : il a pour rival le mouvement Amal de Nabih Berri. Entre 1988 et 1990, il y eut même 2 000 morts dans les combats opposant le Hezbollah et la milice du mouvement Amal. Durant le mois de mai 1988, en l’espace de trois semaines seulement, ces combats firent 300 morts. À la fin de ces combats, leurs parrains syrien et iranien les ont forcés à former un duo quasi-inséparable notamment aux élections législatives. 

En 1990, après la fin de la guerre armée, le Hezbollah demeura lourdement armé. L’accord de Taëf (1989) et l’occupant syrien (par le biais des politiciens qu’il avait placés à la tête de l’État libanais) avaient légalisé et légitimé la lutte militaire contre les Israéliens au Liban. Le même accord de Taëf avait légitimé l’occupation syrienne du Liban, appelant cela « présence » et stipulant que « les forces syriennes – qu’elles en soient remerciées – aideront les forces légales libanaises à étendre l’autorité de l’Etat libanais »

Un an plus tard, l’occupation syrienne fut légitimée de façon officielle par un Traité de Fraternité consacrant l’anschluss.

Face à la présence de cette armée syrienne et à ses armes lourdes, celle de l’armée israélienne et de ses armes lourdes était appelée « occupation ».

Outre ces deux armées, il y avait alors aussi au Liban – et il y a toujours –, les milices des organisations palestiniennes, disposant également d’armement lourd. Durant la guerre de 1975-1982, ces milices avaient commis de nombreux crimes contre l’humanité à l’encontre des Libanais en général, et des chrétiens et des chiites en particulier. Elles règnent sur les douze camps de réfugiés palestiniens au Liban, imposant leur loi à la population de ces camps et aux Libanais vivant alentour. Les Arabes empêchent l’armée libanaise et les Forces de sécurité intérieure (FSI) d’y entrer (malgré l’annulation en 1987 de l’accord du Caire de 1969). 

Le Hezbollah considère que l’armée israélienne ne s’est pas complètement retirée du Liban en 2000 et continue d’occuper les hameaux de Chebaa, les collines de Kfarchouba et le nord du village de Ghajar. Les Israéliens disent qu’ils ont pris ces territoires aux Syriens durant la guerre de 1967 – dans laquelle le Liban n’était pas belligérant. De fait, les Syriens ont progressivement occupé ces territoires stratégiques au Liban entre 1943 et 1967, et n’ont jamais voulu s’en retirer. Depuis le retrait israélien en 2000 au sud de la ligne de démarcation (dite ligne bleue) conformément à la résolution 425 des Nations Unies (1978), les Syriens n’ont jamais voulu fournir de documents attestant que ces territoires sont libanais bien que Bachar el-Assad ait confirmé qu’ils l’étaient, et que les titres légaux de propriété soient délivrés par les seules autorités libanaises. Cette situation permet aux Israéliens d’occuper ces terres indéfiniment. Et elle permet aux Syriens, qui veulent toujours récupérer le Golan d’assurer à leurs alliés Iraniens par l’intermédiaire d’un Hezbollah toujours armé une arme de dissuasion face à Israël et donc aux États-Unis. (L’annexion par Israël du Golan a été reconnue par Donald Trump mais non par l’ONU.) Le tracé de la ligne bleue en 1948 avait été accepté par les autorités libanaises de l’époque sous réserve des secteurs de Rmeich, Mtollé, Adaïssé et Chebaa. Il existe donc plusieurs points territoriaux litigieux entre le Liban et Israël. D’ailleurs, la frontière reconnue internationalement est la ligne Paulet Newcombe de 1923 (qui place quand même sept villages libanais de l’autre côté de la frontière). La ligne Paulet Newcombe n’a d’ailleurs pas été respectée par la France qui, alors qu’elle était la puissance mandataire, a cédé en 1932, contre la volonté des autorités libanaises de l’époque, la plaine de Houlé à la Palestine alors sous mandat britannique. 

Lors de son retrait du reste du Liban-Sud en 2000, l’armée israélienne est partie précipitamment, laissant certaines de ses armes sur place, et cédant ainsi le terrain au Hezbollah et non à l’armée libanaise ou même, aux alliés d’Israël (l’Armée du Liban-Sud et les Gardiens du Cèdre). Une partie de ces Libanais ont fui en Israël, et le Hezbollah a remis les autres au gouvernement libanais, présidé par le pro-syrien Salim Hoss, qui les a fait mettre en prison pour un temps indéterminé. Et le Hezbollah s’est emparé des armes laissées par l’armée israélienne. 

Quelques mois plus tard, les élections ont permis à Rafic Hariri, pro-saoudien (et Saoudien) de devenir président du Conseil. C’est lui qui a le plus aidé le Hezbollah, puisqu’il fut Premier ministre entre 2000 et 2004, période durant laquelle l’Iran a armé massivement le Hezbollah, les armes transitant par le territoire syrien. Pour payer cette dette que le Hezbollah contracta ainsi envers lui, le chef du Hezbollah, cheikh Hassan Nasrallah, promit à Rafic Hariri de lancer un teklif charii (fatwa) ordonnant aux musulmans de voter pour lui aux élections de 2005. Après la mort de Rafic Hariri, Nasrallah reporta la promesse sur Saad Hariri, et lança effectivement le teklif charii en faveur d’Hariri et de tous ses alliés (le mouvement Amal, le parti des Forces Libanaises de Samir Geagea, le mouvement réformiste kataëb d’Amine Gemayel et de Pierre Gemayel – respectivement père et frère de Samy Gemayel, l’actuel chef du parti kataëb –, Solange Gemayel – la mère de Nadim Gemayel –, le parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, les Frères Musulmans et les Mourabitoun) contre le Courant patriotique libre du général Michel Aoun et ses alliés notamment le Courant Marada de Sleiman Frangié et le Bloc populaire d’Élias Skaff.  

Nabih Berri, lui, a été armé bien avant le Hezbollah : c’est en 1975 qu’une explosion a fait connaître l’existence d’un camp d’entraînement d’Amal, milice du mouvement des Déshérités de l’imam Moussa Sadr, qui disparut par la suite en Libye. En 1990, Nabih Berri préféra se concentrer sur la prise et la conservation de la présidence du Parlement (1992, 1996, 2000, 2005, 2009 et 2018) et sur la participation au pouvoir exécutif (en obtenant le droit de nommer certains ministres dans les gouvernements successifs). Il est accusé de s’assurer une manne financière en détournant des fonds du Conseil du Sud et en tirant des bénéfices de la « mafia des générateurs » qui s’était imposée à cause du rationnement de l’électricité. 

Nabih Berri était l’allié de Walid Joumblatt, dont le PSP (Parti socialiste progressiste) et sa milice, qu’il préside depuis la mort de son père Kamal Joumblatt, existaient avant la guerre de 1975. La milice Amal faisait en effet partie de la coalition du Mouvement National, fondée par Kamal Joumblatt. Cette coalition était alliée à l’OLP et aux Syriens, contre les autorités libanaises et les formations paramilitaires qui les soutenaient.

En 1990, Walid Joumblatt choisit, comme Nabih Berri, de troquer les armes contre une participation au pouvoir exécutif. Il s’assurera d’énormes rentrées financières, notamment en détournant des fonds de la Caisse des réfugiés libanais (soundou’ el mouhajjarin), délit qu’il a reconnu au cours d’une de ses interviews télévisées.  

Les Forces Libanaises (FL) furent le rassemblement, en 1976 des formations paramilitaires qui défendaient la légalité en résistant face aux Palestiniens et aux Syriens. Cela dura jusqu’en 1985, quand Samir Geagea envoya sa milice armée attaquer le chef des FL (alors Fouad Abou Nader), qui ne se défendit pas, refusant de provoquer une guerre civile. Il fut remplacé par un triumvirat dont le membre le plus fort et le plus durable fut Samir Geagea. Celui-ci choisit en 1989 de prendre le parti de la Syrie contre l’État libanais, et sa milice combattit l’armée libanaise (1989-1990), et n’intervint pas contre l’armée syrienne quand elle envahit les régions libanaises libres (12 et 13 octobre 1990). Geagea fit ensuite le même choix que Berri et Joumblatt, troquant ses armes contre une participation au pouvoir exécutif auquel il ne tarda pas à renoncer en raison de son impopularité. 

Rafic Hariri, venu officiellement au Liban en 1983 comme médiateur saoudien, avait financé toutes les milices libanaises musulmanes et druzes durant la guerre, y compris celles de Berri et de Joumblatt et même les milices libanaises chrétiennes de Hobeika et de Geagea. En 1992, Hariri combattit la livre libanaise en Bourse, et le dollar atteignit le prix de 3 000 livres. Les partisans de Geagea manifestèrent avec ceux de Joumblatt pour l’aider à accéder au pouvoir, bloquant les routes avec des pneus enflammés. Le Premier ministre Omar Karamé démissionna alors, déclarant dans son discours officiel, que c’était Rafic Hariri qui avait fait perdre à la livre libanaise sa valeur. 

Geagea était très faible parmi les chrétiens qui ne lui avaient pas pardonné son refus de combattre l’occupation syrienne. Lors des élections internes du parti Kataëb en 1992, il ne réussit même pas à se faire élire chef du parti. La même année, il perdit le soutien américain, son principal sponsor occidental, Georges H. W. Bush, n’ayant pas réussi à renouveler son mandat présidentiel aux élections américaines de 1992. Cette double faiblesse rendait Geagea inutile pour les Saoudiens, dont le protégé, Rafic Hariri, était devenu Premier ministre du Liban. Il perdit aussi le soutien syrien, ayant tenté de se rendre populaire en faisant du parti des Forces libanaises le fer de lance de l’opposition à l’occupation syrienne. (La chaîne de télévision Al-Jadeed a révélé que le couple formé par Samir Geagea et son épouse Sethrida Tok possède un patrimoine immobilier valant 50 millions de dollars, et dont le joyau est la propriété et le palais de Mearab, où ils vivent.[1] Geagea est d’origine pauvre, et depuis la guerre, son seul travail se limite à la milice. La famille Tok est riche, mais elle est loin de pouvoir lui procurer un tel patrimoine. Auquel s’ajoutent les robes et les bijoux signés, au prix faramineux, dans lesquels Mme Geagea s’affiche régulièrement.)

Théoriquement, Nabih Berri, Walid Joumblatt et Samir Geagea n’ont plus d’armes lourdes depuis 1990. Dans les faits, tous trois continuent à entretenir des hommes prêts à se battre pour eux. 

Berri l’a démontré à plusieurs reprises depuis le 17 octobre 2019, ses hommes battant des manifestants, surtout chiites, souvent partisans du Hezbollah, dont les membres n’ont jamais cessé d’accuser Berri de corruption. (Cependant, le Hezbollah est accusé de gérer avec le mouvement Amal des réseaux de contrebande, notamment à l’Aéroport International de Beyrouth, et dans les ports de Beyrouth et de Tyr, ce qui coûte chaque année à l’État libanais entre 1 et 2 milliards de dollars.)

Joumblatt l’a prouvé en mai 2008 et plus récemment, durant l’été 2019, quand il a fait tuer deux gardes du corps de son coreligionnaire druze Saleh al-Gharib, alors ministre en charge de la question des réfugiés libanais, parce qu’il s’était rendu dans la localité de Kfarmatta au Chouf, région largement druze que Walid Joumblatt lui interdisait. Gharib est membre du parti démocratique libanais de Talal Arslane, le rival druze de Walid Joumblatt. 

Et Geagea a lui-même affirmé en mai 2008 à l’ambassadrice des États-Unis au Liban, qu’il disposait de 10 000 combattants, mais qu’ils avaient besoin d’armes pour affronter le Hezbollah. L’information a été publiée par Wikileaks, et admise par la suite par Geagea lui-même dans un communiqué.

Il y a quelques jours, en Israël, Benny Gantz[2] est devenu l’un des hommes forts. Lorsqu’il était général de Tsahal[3], il avait menacé de ramener le Liban à l’âge de pierre en cas de nouvelle guerre. Il pense pouvoir briser le Hezbollah, ne réalisant pas que le Hezbollah n’a cessé de se renforcer depuis 2000, malgré la tentative israélienne de le briser en juillet 2006. Certes, ce parti a essuyé de lourdes pertes dans la guerre menée en Syrie contre Daech et al-Nosra, mais il les a compensées. En outre, cette guerre a procuré à ses combattants une expérience de combat. Enfin, le parti possède 150 000 missiles et roquettes à courte et longue portées, et continue d’obtenir des missiles sol-air de type SA-17 et SA-22 ainsi que des missiles de croisière supersoniques de type Yakhont (P-800 Oniks). Il profite des fautes israéliennes. Ce sont eux qui lui ont livré le Liban-Sud en 2000, et qui, durant les années suivantes, ont autorisé cette contrebande d’armes, sachant que le transport de missiles de cette taille ne peut pas ne pas être perçu par les caméras des satellites américains et autres — aux images desquels les Israéliens ont accès, et non les Libanais. Leur armée de l’air survole le Liban très régulièrement. Ils ont ainsi laissé se constituer cet arsenal qu’ils prétendent vouloir supprimer.

Interrogé en septembre 2018 au sujet des combattants du Hezbollah, le président Michel Aoun assurait dans un entretien au Figaro[4], que l’une des issues pourrait être l’intégration de ces combattants dans l’armée libanaise. Ce débat risque de revenir sur la table à la mi-mai 2020 – ou à toute autre date à laquelle les conditions sanitaires pourraient le reporter. La Chambre de première instance du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) prononcera en effet son jugement, en audience publique, concernant l’attentat ayant tué Rafic Hariri. Quatre membres du Hezbollah sont soupçonnés d’avoir perpétré l’attentat : Salim Jamil Ayyash, Hassan Habib Merhi, Hussein Hassan Oneissi, Assad Hassan et Sabra Mustafa Amine Badreddine (décédé). Les proches du Hezbollah affirment qu’un jugement de condamnation ne mettrait pas en cause le Hezbollah lui-même mais certains de ses éléments seulement.


[1] https://www.aljadeed.tv/arabic/news/local/20032020118.

[2] Le centriste Benny Gantz dirige la formation politique “Bleu et blanc”. Il a été chargé de former un gouvernement mais a finalement préféré la présidence de la Knesset (le Parlement israélien). Il soutient désormais la formation d’un cabinet d’union et d’urgence avec son rival, le chef du Likoud et Premier ministre sortant Benjamin Netanyahu. 

[3] Militaire, il a été des opérations Litani (1978) et Paix en Galilée (1982) au Liban. Il a été le dernier commandant israélien à quitter le Liban en 2000. Et, il a commandé les forces terrestres lors de la guerre de juillet 2006. 

[4] http://www.lefigaro.fr/international/2018/09/23/01003-20180923ARTFIG00125-le-nouveau-miracle-libanais.php.

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