La Promesse de l’Autre

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À trop vouloir errer dans les rues de Beyrouth, à trop vouloir chercher les portes et les poignées, je me suis retrouvée avec une tasse de café à refaire le monde dans ma tête. Une phrase m’avait ébranlée ces derniers jours. « Hala, tu es trop ! »Trop quoi ? Trop comment ? Trop comme pour me dire que je ne suis pas assez ? Assez jolie ? Assez intelligente, ou tout simplement trop. Comme pour me dire que je prenais trop de place.

Il arrive souvent dans une vie qu’on fasse des conneries. Je ne sais même pas par où commencer pour parler des miennes. Je viens de fêter mon 35ème « nanniversaire » et je me retrouve seule face à une quantité de démons que j’essaye d’apprivoiser tant bien que mal. Les cris dans mes tripes écrivent toujours pour moi. À 35 ans avec une étiquette collée au front comme une tare face à une société qui condamne la femme avant de voler à son secours. Avoir raté son mariage, s’en être sortie avec le moins de dégâts possible, avoir eu à recoudre des blessures, recommencer à renouer ma confiance en moi, à refaire ma vie, avec force, dignité  et courage. Et parfois, au milieu de toute cette reconstruction, ces moments de solitude que j’essaye de gérer tantôt avec un large sourire, tantôt avec une angoisse kafkaïenne. C’est ainsi… la vie est parfois faite de vide.

Le monde nous fait chavirer dans toutes les directions à une vitesse incroyable. Et même si nous essayons de planter nos pieds bien joints au sol, même si nous essayons de nous accrocher un moment pour profiter d’un rayon de soleil, nos envies sont pressées de prendre la fuite pour nous enterrer dans le socialement correct. Et à mon âge, il faut être en couple. Il faut fonctionner à deux. Il faut se trouver celui qui va faire semblant d’être intéressé par notre carrière, ou celui qui va hocher positivement de la tête avec panache en nous écoutant parler de la sensibilité de Kiarostami. Ce dernier doit être une marque de biscuits. Ou alors un couturier. Parce qu’une femme ne pense qu’à sa garde robe. Il faut jouer le jeu. Celui de la séduction, de la cristallisation, et surtout des attentes destructrices. Celui que les filles attendent de jouer à tour de rôle chaque samedi soir ; habillée, maquillée, gracieusement installée derrière un bar. Qu’il soit le dernier des cons, qu’il soit le plus égoïste des égoïstes, qu’il se prenne pour le centre du monde, qu’il se considère  cultivé alors qu’il ne sait même pas si Katmandou est la capitale du Népal ou si c’est encore une autre marque de biscuits qui descend de la famille LU, qu’il continue de croire qu’il est le roi du monde juste parce que sa maman le lui dit depuis sa naissance… Il suffit qu’il ait fait ses études à Paris, à Londres, ou à New York. Il suffit qu’il ait une nationalité autre que libanaise. Il suffit qu’il soit entrepreneur mais pas du tout entreprenant avant de nous vouloir dans son lit. Il suffit qu’il se fasse assez d’argent avec une montre Rolex. Il suffit qu’il fume un cigare et fasse un compliment minable à deux sous cinquante. Il suffit de rien du tout pour que ce soit suffisant. Et c’est suffisant pour faire joli dans le cadre.

On se consomme, on se consume, on se jette. On change de relations comme on change de culottes. On prend rarement le temps de se poser les bonnes questions. On prend rarement le temps de s’aimer soi-même avant d’aimer les autres. On refuse souvent la solitude par peur d’affronter la réalité des choses, les dragons qui se cachent sous le lit. On préfère souvent dire « oui » à une relation d’une nuit, plutôt que de s’installer devant la télé avec Almodovar et une bonne bouteille de Pinot rouge. On préfère être avec quelqu’un, n’importe qui, n’importe comment, plutôt que de crever de solitude. On veut absolument faire partie de ce cadre sans vraiment se demander si le cadre existe. Ou pas. Voilà pourquoi je suis trop. Trop indépendante. Trop libre. Trop langue bien crue. Trop rêveuse. Trop vieille aussi face aux jeunes de 20 ans. Trop ambitieuse. Trop trop avec mes cheveux courts roses, les hommes préfèrent les cheveux longs bien sages. Je suis trop, mais je suis moi!  Je préfère être ce trop que d’être mal accompagnée, avec cette sensation que quelque chose cloche.  Et croyez-moi, les cloches sonnent à coups de drapeaux rouges, et je les écoute pour ne plus reproduire les mêmes conneries. Je préfère être seule dans le cadre, avec le sourire. Seule aussi à re-mater  « Talons Aiguilles » et ses scènes torrides le samedi soir avec mon Pinot. Personne n’a jamais crevé de solitude. Ceux qui décident de la fréquenter en ressortent souvent plus forts.

Le vide peut être noir parfois, je ne le nie pas. Mais le vide peut aussi emprunter la belle couleur du ciel de Beyrouth et offrir des possibilités infinies. J’ai vu la lune dans mon café ! Et j’ai voulu faire le tour du monde avec un astronaute ! Je ne sais pas s’il arrivera un jour… Mais entre temps je fais les choses qui font battre mon cœur. Un peu plus vite… tous les jours ! Je me dois au moins ça !

P.S : Merci Romain Gary !

Hala Moubarak
Trentenaire aux cheveux rouges. Hier, un cri. Aujourd’hui, elle est «À cor et à cri ». Ambidextre. Architecte d’intérieur. Enseignante. Designer à ses heures perdues. Dévoreuse de livres d’histoire et de littérature. Mordue d’art. Râleuse au second degré. Vit une relation ambigüe avec Beyrouth. Se promène souvent avec l’énergie d’une étoile. Aime manger de la glace à la vanille. Grande rêveuse idéaliste. Atteinte d’une folie passagère. Fut le chat de Toulouse Lautrec dans une vie antérieure ! Si, si… je vous le jure !

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