Le personnage d’Abraham, père de tous les croyants pour aujourd’hui un peu plus de deux milliards d’hommes, est une figure vénérée par les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans. Le sacrifice de son fils, est un épisode essentiel pour les religions monothéistes, notamment pour les Musulmans. Cité dans au moins 25 sourates du Coran, Abraham est considéré  en tant que premier des Musulmans « qui se soumet » à Dieu. 

La fête de l’Adha, la plus importante des fêtes islamiques

L’islam célèbre à ce juste titre le sacrifice d’Abraham avec la fête de l’Adha (Le sacrifice) appelée aussi Eid el Kabir (la grande fête) qui coïncide chaque année avec la fin du pèlerinage à La Mecque qui a lieu le 10 du mois de dhou al-hijja, dernier mois du calendrier musulman. Lorsque le croyant accomplit son Hajj (pèlerinage), il se doit d’imiter le geste d’immolation du patriarche, en immolant un mouton que l’on égorge, et que l’on mange et partage avec les démunis, les proches et les voisins. 

Ce récit du sacrifice du fils est ainsi relaté dans le Coran : 

« Nous lui avons alors annoncé une bonne nouvelle : La naissance d’un garçon, doux de caractère. Lorsqu’il fut en âge d’accompagner son père, Celui-ci dit : « Ô mon fils ! Je me suis vu moi-même en songe, Et je t’immolais ; qu’en penses-tu ? » Il dit : « Ô mon père ! Fais ce qui t’est ordonné. Tu me trouveras patient, Si Dieu le veut ! » Après que tous deux se furent soumis, Et qu’Abraham eut jeté son fils, le front à terre, Nous lui criâmes : « Ô Abraham ! Tu as cru en cette vision et tu l’as réalisée ; C’est ainsi que nous récompensons ceux qui font le bien : Voilà l’épreuve concluante. » Nous avons racheté son fils par un sacrifice solennel. Nous avons perpétué son souvenir dans la postérité : « Paix sur Abraham ! » Coran 37, 101-109

Ce passage, plus tard, a inspiré des artistes vivant dans un environnement pourtant hostile à l’art figuratif, à représenter la scène ô combien symbolique du sacrifice. Nous allons comprendre progressivement comment.

Un art aniconique, à quelques exceptions

Il est bien connu que l’Islam prohibe le fait de représenter des figures humaines, ou tout autre créature animée par le moyen de l’art. Cet interdit ne vient cependant pas du Coran, mais d’un Hadith – les hadiths ne sont point des paroles divines, mais des propos et actions attribués au prophète, recueillis par un témoin auditif, qui remonte le plus souvent à un des compagnons du prophète chiffrés à plus de cinquante mille compagnons.

Toujours est-il que cette proscription a été esquivée dès les premiers siècles de l’Islam, et n’était observé que pour tout ce qui a trait à la sphère religieuse et tout ce qui concerne le culte. C’est éminemment entre le XIVe et le XVIIe siècle que des images figuratives fleurissaient dans la Turquie ottomane et dans l’empire perse, agrémentant surtout des manuscrits historiques, littéraires ou poétiques, contenant des récits relatant l’histoire des prophètes et la vie de Mahomet, mais en marge du religieux. 

Le sacrifice d’Abraham, une iconographie particulière

Scène commune aux représentations iconographiques des trois religions monothéistes, le sacrifice d’Abraham est l’une des scènes les plus répandues dans l’art juif, et qui a largement inspiré plus tard les iconographies chrétienne et musulmane. Dans les manuscrits islamiques enluminés, la représentation de cette scène semble en plusieurs points ressembler à ces équivalentes chrétiennes et juives, avec quelques particularités qui lui sont propres. 

Trois personnages principaux, en plus du bouc, animent cette scène : l’ange du Seigneur, Abraham, et son fils. Les premières représentations du sacrifice datent du XVe s. La tradition rapporte que c’est l’ange Gabriel qui apparaît à Abraham. Il est souvent représenté en tant qu’une créature humaine ailée et couronnée, vêtue d’une tunique royale. Il peut être debout ou planant au-dessus du sol. Il peut souvent être accompagné par d’autres anges qui peuplent le fond de la scène, afin de la comparer à une ascension vers le ciel, lieu habité par des créatures angéliques. Parfois, cet ange qui descend de l’azur tient le bouc dans ses bras, alors que dans d’autres scènes, l’animal se trouve à proximité de l’ange ou dans un coin de l’image. 

Abraham apparaît en tant qu’un homme d’un âge avancé, barbu, à la chevelure blanche, coiffé d’un turban à la manière des prophètes, et vêtu d’un manteau. Il est souvent nimbé d’une auréole de flammes, afin de marquer sa distinction et sa sainteté. Tenant un couteau à la main, ce couteau peut être simplement dirigé vers son fils ou bien mis à son cou, ou bien posé sur l’épaule d’Abraham comme pour mettre l’accent sur l’idée que le père aurait préféré se tuer lui-même que de tuer son fils. 

Isaac ou Ismaël ?

Comme il a été cité un peu plus haut, les versets coraniques relatant le sacrifice d’Abraham ne précisent pas le nom du fils d’Abraham. Néanmoins, la tradition populaire a jeté son dévolu sur Ismaël. La sourate 2, versets 125-140 évoque que c’est en compagnie d’Ismaël qu’Abraham élève les assises de la maison, qui n’est autre que la Kaaba. Partant de ce fait, la tradition musulmane donnera à Ismaël une place de prédilection, faisant de lui l’ancêtre des Arabes, ce qui explique éventuellement le choix de ce dernier dans la scène du sacrifice. 

Ismaël est vêtu d’une tunique le plus souvent rouge, pour symboliser l’amour envers Dieu et le sacrifice, ou blanche symbole de pureté et rappelant aussi le linceul (qui sera plus tard un des rituels observés lors du Hajj). Il peut également être habillé de vert, signe de la jeunesse et de la fertilité. Bien que la majorité des textes parlent du fils couché contre terre, la plupart des enluminures le montrent agenouillé. Les yeux bandés au moyen d’un ruban, il est également nimbé d’une auréole de flammes.

Galerie

Liste des figures

Fig. 1 : Le sacrifice d’Abraham, miniature persane illustrant La fine fleur des Histoires, par Louqman (1583, musée d’art islamique d’Istanbul)

Fig. 2 : Le Sacrifice d’Abraham (Seyidnâ Ibrâhîm), Chiraz, 1410-1411, collection Gulbenkian (Lisbonne).

Fig. 3 : Le sacrifice d’Abraham. Qesas-e Qor’ân ou Qesas al-anbiyâ (Histoires du Coran ou Histoire des prophètes et des rois du passé) [Qazvin] Iran, vers 1595 BNF, Manuscrits orientaux, supplément persan 1313, f. 40.

Fig. 4 : Le Sacrifice d’Abraham dans Qisas al-Anbiya (Histoires des prophètes). Ishaq ibn Ibrahim al-Nishapuri. Qazwin (?), Iran, 1577. NYPL, Spencer Collection. 

Fig. 5 : Sacrifice d’Ismāʿīl Timurid dans Majmaʿ al-tavārīkh (Collection des Chroniques) par Ḥāfiẓ-i Abrū, 1430. 

Fig. 6 : Image populaire lithographiée en couleurs, avec encadrement oriental et cartouche comportant différentes pensées religieuses.

Fig. 7 : Le sacrifice du fils dans Hadikat as-Suada, (le jardin des heureux), Turquie, XVIe-XVIIe. British Library, OR 7301, F 19V.

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

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