Geoffrey Edwards, University of Cambridge

À l’approche du référendum en Grande-Bretagne, il semblerait que les jeunes électeurs aient plus tendance à vouloir rester dans l’Union européenne que leurs compatriotes âgés. Un sondage réalisé en avril indique que 54 % des plus de 55 ans soutiendraient le Brexit, tandis que seuls 30 % voteraient contre. Les résultats sont pratiquement inversés pour les électeurs âgés de 18 à 34 ans. En revanche, les 35-54 ans sont plus partagés : 38 % souhaitent rester dans l’Union et 42 % en sortir.

De nombreuses raisons expliquent la propension des plus âgés à vouloir voter en faveur du Brexit : ils peuvent être xénophobes, se méfier d’un système politique méconnu et lointain, penser que l’Europe n’est pas démocratique, ou encore craindre d’abandonner leur souveraineté nationale entre les mains de Bruxelles.

Mais au cœur de la pensée des « brexiteurs » réside surtout une combinaison de nostalgie, d’incertitude et d’étroitesse d’esprit. Leur opinion est avant tout liée à un mécontentement vis-à-vis des pratiques établies, et d’une incompréhension face à l’innovation technologique et à la surabondance d’informations.

« C’était mieux avant… »

Le monde est trop rapide, trop mobile et trop globalisé à leurs yeux. Sortir de l’Europe marquerait un retour à des valeurs plus traditionnelles, à cette époque quasiment oubliée où l’on pouvait faire confiance aux politiciens, où les médias étaient dociles et la Grande-Bretagne souveraine.

Chez eux plane le souvenir d’un pays à l’abri des pressions extérieures et des troubles internes. Certes, on se doute bien que ce n’est pas vrai mais… Pour ceux qui nourrissent une grande méfiance envers la politique et l’économie globalisée, il est clair que c’était mieux avant.

Les électeurs les plus âgés se rappellent ainsi d’une période de croissance florissante. Les syndicats étaient puissants et les dirigeants politiques en mesure de défendre les intérêts de leur pays. Aujourd’hui, ils voient surtout un monde où dominent des technologies concurrentes et des flux d’investissement internationaux qui compromettent la capacité des gouvernements à gérer l’économie.

Le personnel soignant, les agents de propreté, les ouvriers du bâtiment et même les footballeurs sont massivement issus de l’immigration, remplaçant les Britanniques à ces postes. Tous ces éléments ont fini par susciter de l’hostilité vis-à-vis de la mondialisation, et cette hostilité a trouvé en l’Union européenne un bouc émissaire.

Mémoire courte

Les « brexiteurs » oublient peut-être la crise du canal de Suez en 1956 ou l’intervention du FMI en 1976, lorsque la Grande-Bretagne ne parvenait plus à contrôler ni sa monnaie ni son économie. Ils oublient un peu vite l’effondrement de l’industrie lourde britannique dans les années 1960, mais aussi ce qui est resté dans les mémoires comme l’hiver du mécontentement, en 1978-1979, et les mouvements de grève. Ou encore le retrait sanglant des troupes britanniques de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique de l’Est.

J’en suis !
PA/Lauren Hurley

Aux incertitudes de la nouveauté et à l’hostilité face à tout ce qui s’apparente à du « globalisé » (comprendre « étranger ») s’ajoute la confusion. Les sources d’informations officielles « fiables » ont disparu. Les gouvernements ont perdu leur rôle de protecteur vis-à-vis des menaces venues de l’extérieur. Quant aux médias traditionnels, ils semblent prendre plaisir à se positionner systématiquement contre le gouvernement – qu’importe la couleur politique de ce dernier – pour servir leur propre opinion ou pour toute autre raison, créant de fortes suspicions.

Saut dans l’inconnu

Et, si on le maîtrise, il y a le web où un nombre infini de sites offrent une information sans limite. Mais sa provenance est souvent douteuse et la multiplicité des sources porte à confusion. On ne sait plus à qui faire confiance. Cette nouvelle donne aggrave l’altération de l’autorité et exacerbe les incertitudes.

Beaucoup de gens ont l’impression de ne pas disposer d’informations sur l’Union européenne, ils ne savent plus qui croire pour être informés objectivement. Ou bien, peut-être ne prennent-ils pas la peine de chercher. Car, dans les faits, l’Europe se situe en bas de l’échelle de leurs préoccupations – même s’il est tentant de mettre ça sur le dos de l’immigration massive. Inquiets pour l’avenir professionnel de leurs enfants et petits-enfants, ils en arrivent à demander qu’on leur réserve certains des emplois négligés par les Britanniques.

Mais leur contradiction majeure se situe dans le désir de retourner aux vieilles certitudes afin de réduire les risques – ce qui les mène tout droit à faire un saut dans l’inconnu. Les électeurs les plus âgés qui soutiennent le Brexit peuvent certes nourrir ce rêve d’une sortie de l’UE, mais celle-ci ne dissiperait en rien le cauchemar des incertitudes.

Traduit de l’anglais par Diane Frances.

Geoffrey Edwards, Emeritus Reader in European Studies, University of Cambridge

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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