Tenir bon au présent . 

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“Proust ne cesse de suggérer que le temps est à notre portée, que nous pouvons même y échapper et s’en affranchir…En introduisant le passé dans le présent sans le modifier, la « mémoire involontaire » forme cette « immédiate, délicieuse et totale déflagration du souvenir »… Lors de cette expérience, on n’est ni tout à fait dans le présent, ni tout à fait dans le passé. Dans Le Temps retrouvé, Proust écrit ainsi : « Une minute affranchie de l’ordre du temps a recréé en nous pour la sentir l’homme affranchi de l’ordre du temps. » 
Jean-Marie Durand, le 31 March 2022, Philosophie Magazine. 

Émilie engage cette discussion inhabituelle avec son père : “Écoute papa, je comprends que tu aimes retrouver tes potes. Cependant, ce que je ne saisis pas, c’est l’élan pour des scènes du passé. Il semble que la guerre civile de 1975 a été un tournant époustouflant vers la réminiscence de tes souvenirs . De plus en plus, les touches d’humour en classe, les débats serrés avec des professeurs remarquables quoique caractériels, et les échanges avec ton groupe préféré sur des thèmes spécifiquement introspectifs envahissent notre quotidien en famille. Tu décris intensément certaines scènes. J’y ressens ta fidèle pensée aux valeurs premières de la laïcité. Cependant, tu n’est plus l’adolescent au café de la rue Hamra, ni l’élève de terminale épris de recherches le soir à l’université américaine de Beyrouth . Le “service” ou ce transport commun pris au petit matin en toute sécurité n’existe plus. Pourquoi donc, alors que notre pays s’engouffre dans les drames les plus douloureux tu persistes à ne pas commenter les événements en cours mais à privilégier un passé révolu?”. 

Raymond répond : “L’harmonie du partage sincère, des gestes et des mots désintéressés du profit matériel et des avancées opportunes, nous a constamment inspiré. A chacune de nos  retrouvailles entre séniors, les différences se distinguent par des élans encore plus sensibles et accueillants. L’essentiel concerne certes, des points communs, des dispositions créatives et surtout la jeunesse de chaque ride . L’appréciation réciproque s’énonce par la pensée transparente et la fierté des actes. Lorsque la guerre civile a commencé, nous avions pris le choix de l’apolitisme qui nous permet encore d’observer et de discuter sans préjugés. Je suis ravi de cette progression d’échanges qui perdure jusqu’à ce jour alors que tant de personnes continuent, d’adopter l’autosuffisance et de recourir aux apparences, aux contextes et aux formes convenues . La liberté harmonieuse nous est toujours aussi précieuse depuis les bancs de l’école . On ne se lasse de relater nos belles histoires comme si c’est la première fois. La recherche d’un passé lumineux, la préservation de la fraîcheur d’esprit et des espaces positifs nous gardent finalement à distance de tout constat lugubre ! C’est ma façon de jouir du passé pour tenir bon au présent . “

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