Vu au menu d’un resto en Allemagne, une véritable infamie, une outrecuidance et une insolence qui dépassent l’entendement : “Fatoush : Israeli salad with toasted bread, tomato, pepper and onion”. Une salade israélienne ? Encore faut-il savoir la faire, en connaitre la recette pourtant basique et être en mesure d’en réunir tous les ingrédients. Manque à l’appel le sumac et le concombre. Mais peut être que cette omission en ferait un plat israélien. Ce sont sûrement les ingrédients qui doivent être israéliens, de préférence en provenance des territoires occupés – ou disputés selon la nouvelle terminologie en vigueur – cultivés sur un terrain, un champ, un verger confisqué à une famille palestinienne expulsée ou coupée par le tracé du mur de séparation. Cependant un ingrédient fait défaut à tous les faussaires, ceux qui reproduisent, celui sans lequel la cuisine n’a pas d’âme, ni saveur, ni plaisir; cet ingrédients c’est le coeur.

Après le Falafel et le houmous, je découvre une nouvelle facette de la haute gastronomie israélienne, le fattouche. Et pourquoi pas la pizza, la paella et le cassoulet tant qu’on y est ? L’auraient-ils reconverti, redécouvert ou en ont-ils la primeur ?  Il me semble pourtant que tous ces mets précèdent de loin la naissance d’Israël qui remonte à 1947. A moins qu’il ne s’agisse de Heretz Israël qui recouvre une bonne partie du Levant et que de nombreux dirigeants israéliens rêvent de rétablir.

Décidément, les israéliens ne cessent de me surprendre par leur créativité et leur capacité à revisiter tant l’histoire qu’à déformer la réalité. Après avoir exproprié la cuisine palestinienne, notamment le Falafel, le Msskhen ou encore la Maalouba, voici qu’ils s’en prennent à notre cuisine, qu’ils essayent de se l’approprier, de la coloniser et de la labéliser « made in Israël ». Un expansionnisme culturel, prolongement de l’expansionnisme géographique et militaire de l’Etat d’Israël.  Celui qui occupe un pays entier, colonise, expulse et transfert des populations, efface toute trace de leur présence, de leur existence, de leur héritage et de leur patrimoine culturel, architectural et religieux, n’aura aucun état d’âme à en subtiliser la cuisine et à en confisquer les appellations.

Nous autres libanais tirons une grande fierté de notre cuisine dont les vertus sont unanimement reconnues et célébrées ainsi que pour notre légendaire et trop poussé à mon gout, sens de l’hospitalité. La guerre, l’occupation, la terreur, les exactions soit, passent encore les violations de notre souveraineté, le vol de nos ressources hydrauliques et de nos réserves gazières mais il ne faut pas pousser le bouchon trop loin, surtout pas s’en prendre au sacro saint. Vous n’aurez pas notre cuisine, pas même nos restes surtout si un jour cela risque de devenir notre seul atout, ce que nous restera de meilleur.  Alors trêve de salade, nous ne mangeons pas de ce pain ; vous pouvez toujours aller vous faire cuire un œuf et revendiquer la recette de la fondue ou de l’escalope si ça vous chante.

Qu’ils veuillent apprendre notre cuisine, qu’ils l’apprécient et s’en inspirent, cela serait plutôt flatteur. Libre à tout le monde de revisiter un plat, d’y apporter sa touche, d’avoir un esprit inventif, d’innover ou de se lancer dans la cuisine fusion mais non de se l’approprier et d’en revendiquer la dénomination. Les juifs levantins, au même titre que les musulmans et les chrétiens partagent certes des plats et des mets en commun, ont recours à des ingrédients identiques, ont une approche similaire à quelques nuances près. Le mezzé était déjà présent sur les tables de l’Empire ottoman et se caractérise par une grande diversité. Mais de là à nationaliser et « israéliser » des plats multiséculaires et multiculturels il y a une ligne rouge qu’ils n’hésitent pas à franchir allègrement. Non seulement ils nationalisent notre cuisine, et celle de leurs voisins, mais ils la façonnent à leur image et l’exportent pour faire un produit marketing, un instrument d’image au service d’Israël et du tourisme.

Un acte de flibusterie, une arrogance insupportable, une guerre ouverte qui ne passera pas d’autant plus que celle-ci ne se réglera pas, pour une fois, par les armes, les chars ou sur un champ de bataille. La cuisine est un art mais aussi une affaire d’identité et j’en appelle à une résistance culturelle afin de sauvegarder l’héritage de nos mères et de nos grandes mères ; le peu de richesse et de rayonnement qui nous reste. Aussi pour faire face à cette insoutenable agression, nous nous devons de réagir avec fermeté, détermination et célérité. En premier lieu je proposerai les mesures suivantes :

  • De convoquer d’urgence une réunion extraordinaire de la Ligue arabe sachant que la légendaire solidarité arabe ne nous fera jamais défaut et connaissant l’intérêt des dirigeants arabes pour leur ventre.
  • De tenir un Conseil des Ministres afin d’adopter un label d’AOC. La nourriture faisant l’objet d’un large consensus entre Libanais.
  • De demander à l’UNESCO de reconnaître le Fattouche comme Libanais et son inscription comme patrimoine de l’humanité.
  • De soumettre au Conseil de Sécurité de l’ONU un projet de résolution au titre du chapitre 7 de la Charte des Nations Unis
Camille Najm
Analyste, chercheur, consultant et journaliste politique basé entre Genève et Beyrouth. Auteur d’études, de rapports, d’articles de presse et pour revues spécialisées, d’éditoriaux, de chroniques. D.E.A en Science politique et relations internationales – Université de Genève. Domaines de spécialisation : Les rapports entre la culture, la religion, identité et la politique – Les minorités religieuses, culturelles, ethniques du monde arabe – Les relations islamo-chrétiennes – le christianisme dans le monde arabe – Laïcité, communautarisme et multiculturalisme – Le Vatican – Le système politique libanais, les institutions et la démocratie – De nombreuses problématiques liées au Moyen Orient (Liban, Syrie, conflit israélo-arabe).

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