La numérisation de Beyrouth par l'UNESCO

Financé par le Fonds d’urgence pour le patrimoine de l’UNESCO (HEF), le projet de documentation en 3D s’inscrit dans le cadre du plan d’action de l’UNESCO, Li Beirut. Il constitue, selon les experts, une étape cruciale sur la voie de la reconstruction de la capitale. 

Documenter au millimètre près la destruction du patrimoine culturel et architectural de Beyrouth, suite à la double déflagration du port le 4 août 2020, c’est le pari colossal lancé par l’UNESCO pour venir à la rescousse de la ville et de ses bâtiments historiques, dont un grand nombre remonte à l’époque du mandat français et de l’époque ottomane. Financé par le Fonds d’urgence pour le patrimoine de l’UNESCO (HEF), le projet de documentation lancé en septembre 2020 a été réalisé par la start-up française ICONEM, en étroit partenariat avec la Direction générale des Antiquités (DGA) au Liban, et dans le cadre du plan d’action phare de l’UNESCO, Li Beirut. Une documentation d’urgence qui devrait aboutir à la réalisation d’un modèle géo-référencé en trois dimensions de la capitale libanaise, et qui serait cruciale à plus d’un niveau dans le processus de reconstruction de la ville.

« Réaliser un modèle en 3D, c’est comme créer un jumeau digital de la réalité, avec toutes les textures et les dégâts, explique Joe Kallas, architecte restaurateur spécialisé dans la documentation 3D des monuments et sites historiques, et en charge du projet avec ICONEM. Ce modèle permettra de préserver la ville dans sa situation actuelle au cas où de nouveaux dégâts surviennent, puisque le processus de reconstruction sera assez lent. Il permet aussi de faciliter tous les rapports d’évaluation et d’analyse structurelle pour les architectes, quand ils aborderont les travaux de reconstruction plus tard. En fait, cette documentation accélère l’ensemble des opérations. »       

Pour réaliser ce projet fastidieux, il aura fallu plus d’une heure pour relever chaque point GPS et obtenir des mesures précises. « Nous effectuons une documentation à l’échelle urbaine de l’ensemble de la cite endommagée, du port à Medawar en passant par Gemmayzé et Mar Mikhaël, sur une surface de plus de 3 km carrés, explique pour sa part l’un des membres de l’équipe de la DGA. Nous relevons également de manière détaillée des monuments spécifiques comme le Palais Sursock ou le Palais Bustros, qui ont largement souffert. Nous finalisons actuellement ce premier travail, avant de nous atteler au traitement des données pour la réalisation du modèle 3D, le tout pour une durée de 4 mois. Nous avons été retardés par le confinement, et l’ampleur de la destruction rend le processus encore plus difficile. Sans oublier que les rues sont très étroites, avec parfois un enchevêtrement d’obstacles, d’arbres et de fils électriques ». Pour y faire face et pour obtenir des données plus précises, l’équipe en charge a dû recourir, outre les captations au sol, à des technologies innovantes et des vols de drones, atteignant parfois les 150 mètres d’altitude. 60,000 images ont ainsi été prises jusque-là, révèle Joe Kallas.

Un échange d’expertises

Outre la documentation, le projet a également été une opportunité pour former des jeunes archéologues de la DGA à cet exercice périlleux. « Nous sommes en train d’améliorer les techniques de notre équipe grâce à cet échange d’expertises, affirme Dr. Sarkis Khoury, directeur générale de la DGA. La technologie fait partie de notre métier, et nous avons besoin d’une bonne documentation pour toutes les opérations. Nous avions en effet commencé le ratissage après l’explosion avec diverses parties, mais ce projet développé avec l’Unesco va nous permettre d’obtenir ce modèle 3D, auquel nous donnerons accès à toute entité qui pourrait s’en servir pour la reconstruction de Beyrouth. De nombreuses institutions dont de grandes universités ont exprimé le désir d’utiliser ce modèle ».

Sur ce plan, Dr. Khoury explique que 3 étapes ont été mises en place après le 4 août. D’abord, les travaux de stabilisation et d’étaiement et l’intervention structurale critique, puis la restauration des bâtiments, et enfin les travaux intérieurs et les œuvres d’art. « Je peux dire que la phase 1 a été achevée avec succès et mieux qu’on ne l’espérait, confie Sarkis Khoury, grâce à la collaboration de toutes les parties dont l’UNESCO, les ingénieurs volontaires et la société civile. Le projet de documentation du HEF a également servi aux travaux de stabilisation d’urgence ». Selon l’UNESCO, ce modèle aidera aussi à intégrer les projets relatifs à la relance de la vie culturelle, et la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, des composantes clefs pour la reprise de la vie sociale et économique dans les quartiers endommagés. « Plus encore, il sera crucial aux interventions de restauration de la phase 2 du patrimoine bâti et urbain qui, jusque-là, n’a malheureusement pas reçu de contribution d’aide importantes, poursuit Dr. Khoury. Nos premières estimations des dégâts s’élevaient à 300 millions de dollars. Ce montant est aujourd’hui revu à la baisse avec l’achèvement de la phase 1 mais nous avons encore besoin de beaucoup d’aide ».

J’essaie de ne pas penser à cette destruction massive, à tout ce qu’on vit, sinon je tomberai. Le jour de l’explosion, c’était comme si une véritable bombe nucléaire avait explosé au cœur de la ville. Tous les bâtiments que nous essayons de préserver depuis 20 ans n’étaient plus là !

A la question de savoir s’il aurait un jour imaginé s’atteler à un projet d’une telle ampleur, Sarkis Khoury a la gorge nouée. « J’essaie de ne pas penser à cette destruction massive, à tout ce qu’on vit, sinon je tomberai, dit-il. Le jour de l’explosion, c’était comme si une véritable bombe nucléaire avait explosé au cœur de la ville. Tous les bâtiments que nous essayons de préserver depuis 20 ans n’étaient plus là ! Avec du recul, ce que nous avons pu accomplir jusque-là est un exploit, mais chaque centime, chaque aide peut compter pour la suite ». Des appels repris par Joe Kallas, qui rappelle que la restauration sera lente et dépendra du financement. « Aujourd’hui, nous savons au moins que les travaux de stabilisation ont été accomplis et que les bâtiments tiendront le coup en attendant, affirme-t-il. Mais je sais combien nous avons souffert dans le passé pour classer cet héritage et l’empêcher d’être détruit. Ce secteur, c’était un peu, à Beyrouth, le dernier bastion intouché et riche en héritage. Si nous ne voulons pas nous retrouver avec une ville-fantôme, chaque Libanais doit aider à reconstruire les bâtiments de Beyrouth, à sa manière. Pour sa ville, son tissu historique, son héritage. Aujourd’hui, c’est tout ce qui en reste. »

Li Beirut est un appel international de collecte de fonds lancé depuis Beyrouth par la Directrice générale de l’UNESCO au lendemain de la double explosion, le 27 août 2020, pour soutenir la réhabilitation des écoles, des bâtiments du patrimoine historique, des musées, des galeries et de l’économie créative, qui ont tous subi d’importants dommages dans les explosions meurtrières.

Source: Unesco

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