Catherine, le monde a changé. Je ne sais pas si tu l’as senti mais le vent de la liberté souffle de nouveau sur le Liban. Moi, je le sens très fort jusqu’au fond des tripes. Surtout lorsque je passe par l’autoroute qui longe l’aéroport, au niveau du Costa Brava, cette montagne de déchêts bio-indégradables que chaque Libanais a contribué à construire. Le Costa Brava, c’est notre statue de la liberté, notre tour Eiffel, notre signature indélébile – ou débile, tout simplement. La liberté est partout; elle pue, te rentre par tous les pores et ne ressort plus même quand tu mets l’air conditionné en mode recyclage.

Oui, la liberté made-in-chez-nous, c’est aujourd’hui sur les 10452. A vrai dire, c’est à peine si les partis politiques n’ont pas adopté le rose bonbon à la place de leurs vilaines couleurs. Entre les touche pas à mon frère, le pardon impossible enfin pardonné et le “touche pas ou je te la coupe”, l’amour est à son comble, les oiseaux gazouillent, les zaïmistes, aussi, ce qui permet de les déplumer plus vite.

Rappelle-toi, il y a deux ans. Crise des déchets. La première manif, la première baston et la première «blessure de guerre» de ton aînée. Ces temps-là sont bien révolus. Plus de policiers flingueurs, plus de parlement en mode blockhaus, plus de canons à eau. C’est à peine si les “policiers 2.0” ne t’accueillent pas avec un tapis rouge.

Difficile à croire? Pourtant, le 2 Octobre, dans la plus grande civilité, le PSNS a fermé la rue de Hamra pour son défilé militaire. Pas de police anti-émeute armée jusqu’aux dents cette fois. Juste quelques sbires courtois pour tendre le ruban jaune “polisse line” et expliquer aux automobilistes que c’est jour de fête. Même les politiciens qui avaient crié sur tous les toits que les « manifestants des poubelles » étaient à la solde du Saoudien, de l’Iranien et de l’Américain, ont expliqué que les mouvements scouts (entendre formations paramilitaires) avaient le droit de parader et que ça faisait partie de notre culture raffinée.

Une fois n’est pas coutume ? Le 11 Octobre, de jeunes intellectuels, investissent la salle de l’Université Pour Tous où Ziad Doueiri donne une conférence et débattent élégamment (ça veut dire tous ensemble et en criant très fort) leurs opinions politiques. Pas de canons à eau non plus. L’incident, heureusement, ne fait pas de mort (sans «s») et les manifestants sortent lorsque c’est le tour à Doueiri de répondre.

Et ça ne s’arrête pas là! Le 9 octobre, quelques dizaines de fonctionnaires bloquent la route Bechara el Khoury de bon matin. Il faut trois heures pour des centaines de milliers de citoyens pour regagner la ville. Les policiers sont là peinards à respecter le nouveau liberté-style surtout que les manifestants se sont déguisés en citoyens lambda. Certains policiers, par excès de zèle, signalent aux automobilistes d’avancer. Mais, comme c’est bloqué en face, ces derniers s’imaginent qu’ils regardent une leçon d’aérobic à la télé avec une Jane Fonda transgenre.

On vit tellement une ère de liberté métaphysique dans le pas-pays qui est le nôtre que cette dernière manif, avec une série d’autres, est une première mondiale. En effet, il s’agit de la première manifestation préventive de l’histoire de l’humanité. La loi pour l’augmentation des salaires étant votée, contrairement à la loi pour les taxes, le gouvernement n’avait d’autre choix que de payer les salaires augmentés, quitte à renvoyer un des navires-centrale faire la lumière – ou, plutôt, la pénombre – ailleurs. Les manifestations se sont faites « au cas où le gouvernement ne paierait pas ». Prends une pause. Réfléchis-y. C’est comme inspiré du principe traditionnel de “bas ta femme, si tu ne sais pas pourquoi, elle, elle sait”. Vachement très second degré, quoi!

Plus encore, et là, la probabilité qu’on nous la reprenne, celle-là, est d’une chance sur impossible pour cent. Il s’agit des manifestations sado-maso sous le titre «je veux que tu me taxes». Le citoyen libanais est pratiquement le seul être vivant fonctionnant avec plus de deux neurones qui manifeste pour qu’on le taxe. De quoi te faire réaliser que le peuple libanais remets en cause la loi de Darwin qui veut que l’espèce la plus futée survive, en anglais «survival of the futest».

Quand même, il faut avouer que ces manifestations contribuent au rapprochement des peuples de la nation. Et, pour preuve, les dernières manifestations à thème biblique du PSNS suite à la condamnation de Habib Chartouni. Des slogans pleins de sagesse inspirés de l’ancien et même du nouveau testament : «Pardonnez et nous pardonnerons, exécutez et nous exécuterons » ; « à chaque traitre son amoureux (Habib)». C’est la main tendue vers l’autre – même si avec un pistolet.

Pour clore en beauté, une manifestation d’experts internationaux en relations internationales dont au moins la moitié a dépassé l’âge de puberté, sur la route de Jeita, ont poussé la chose jusqu’à conseiller au gouvernement la démarche à suivre pour régler le problème des réfugiés syriens : « nous voulons dialoguer avec le gouvernement syrien ». Les experts ont expliqué à la télévision que, vu la conjoncture actuelle de la crise régionale et, en tenant compte du réchauffement planétaire et du répertoire de Céline Dion, il n’y avait pas d’autre solution.

Oui, le vent de la liberté souffle comme un ouragan. Espérons qu’il restera quelque chose à sauver après son passage…

Nasri Messarra
Nasri Messarra est maître de conférences et docteur en gestion, spécialisé dans la communication et les stratégies du marketing viral sur Internet et sur les réseaux sociaux en ligne. Il joue le rôle de consultant auprès de plusieurs entreprises, organisations et individus (personal branding) depuis 1994.

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