Si la première partie du mandat présidentiel du général Michel Aoun a été un échec c’est d’abord en raison de l’opposition menée au sein même du gouvernement de Saad Hariri par les ministres représentant les ex-chefs de milices Nabih Berri (le Président du Parlement et chef du mouvement Amal), Walid Joumblatt (le chef du Parti Socialiste Progressiste, PSP) et Samir Geagea (le chef du Parti des Forces libanaises). Dans une moindre mesure, l’échec est également dû à la rivalité entre Gébran Bassil et Sleiman Frangié – qui n’a pas digéré son échec lors des dernières élections présidentielles –, respectivement chef du Courant patriotique libre (CPL) et chef du Courant Marada, qui souhaitent tous deux remporter la prochaine présidentielle. Sleiman Frangié est à la fois proche de Nabih Berri et de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Toutefois, la préservation de l’entente entre le CPL et le Hezbollah est une priorité pour Hassan Nasrallah. De même que la préservation du duo chiite que le Hezbollah forme avec le mouvement Amal. Impliqué dans la guerre en Syrie et en Irak et craignant un conflit ouvert avec les Américains et/ou les Israéliens, le Hezbollah veut préserver la scène libanaise en général et la scène chiite en particulier.  

Nabih Berri le sait et, en fin politicien, en profite. Il a ainsi récemment menacé de suspendre sa participation au gouvernement dont il entrave l’action alors que le Hezbollah a besoin d’une stabilité gouvernementale et veut donc faciliter les décisions du Conseil des ministres et leur implémentation. Le Président du Parlement a surtout usé du chantage dans l’affaire des nominations financières même si celle-ci a été mise en veilleuse pour le moment sur fond d’une autre affaire, celle du rapatriement des Libanais se trouvant en dehors du pays. Elle ne manquera pas de revenir à l’ordre du jour du Conseil des ministres. 

Le Premier ministre Hassan Diab veut procéder aux nominations sur la base des curriculums vitae (CV) des candidats qu’ils soient affiliés ou non à des formations politiques afin d’assurer la primauté du critère de compétence. Nabih Berri veut imposer un partage des nominations entre les différentes formations politiques, c’est-à-dire une « quote-part » pour chacune tel que c’est pratiqué depuis plus de 35 ans et de manière systématique depuis la fin de la guerre, essentiellement entre le Courant du Futur (pour les nominations aux postes revenant aux sunnites), le mouvement Amal (pour les nominations aux postes revenant aux chiites) et le PSP (pour les nominations aux postes revenant aux druzes). Dans ce cadre, pendant trois ans, Samir Geagea réclamait un partage 50/50 avec le CPL des nominations pour les postes revenant aux chrétiens. Après la nomination de Hassan Diab, Sleiman Frangié a réclamé le tiers des nominations pour les postes revenant aux chrétiens – les deux tiers étant laissés au CPL – avant de modérer sa position après que les ministres qu’il a nommés – Michel Najjar (le ministre des Travaux publics) et Lamia Yammine Doueyhi (la ministre du Travail) – aient menacé de boycotter les séances du Conseil des ministres. Cette pratique de quote-part a été dénoncée par les manifestants. 

Nabih Berri a promis à Saad Hariri et Walid Joumblatt de préserver leurs parts dans les nominations. C’est sur cette base que ces deux derniers ont assuré le quorum nécessaire à la séance parlementaire durant laquelle a eu lieu le vote de confiance lors de la formation du gouvernement. Saad Hariri veut maintenir le même vice-gouverneur de la Banque du Liban (la Banque Centrale du Liban, BdL) qui est un sunnite proche de lui. 

Or, Hassan Diab veut la nomination de nouvelles personnes et non le maintien des personnes aujourd’hui en place. 

Rappelons que Saad Hariri a mis en garde le gouvernement de tout limogeage du gouverneur de la BdL Riad Salamé, du chef des Forces de sécurité intérieure (FSI, police) le général Imad Osmane et du président de la Middle East Airlines (MEA) Mohammad el-Hout[1]. Le site internet de son journal, Al-Moustaqbal, rapporte même que Saad Hariri et les autres députés du Courant du Futur ont menacé de démissionner de leurs mandats parlementaires. 

Au-delà des nominations, ce que Nabih Berri cherche à faire c’est soumettre le gouvernement aux formations politiques. Or, ce que les manifestants ont réclamé est justement un gouvernement de technocrates capables de se soustraire des intérêts des formations politiques pour servir l’intérêt général, celui du Liban et des Libanais. 

Le gouvernement a d’ailleurs globalement réussi ses premiers pas mais pourrait faire face à des difficultés accrues si le Hezbollah laisse à Nabih Berri la liberté de parler au nom du duo chiite. En effet, le Liban fait face à une crise financière et le ministre des Finances Ghazi Wazni est l’ancien conseiller de Nabih Berri. 

Le chef du mouvement Amal veut un gouvernement soumis aux formations politiques pour faire face aux manifestations qui d’après lui vont reprendre aussitôt le confinement terminé. Si Hassan Diab ne se soumet pas alors il fera tout son possible pour provoquer sa chute et faire revenir Saad Hariri au poste de Premier ministre, objectif dont il ne se cache pas. 

Or, un gouvernement de technocrates offrant une nouvelle approche des dossiers et des solutions aux problèmes pourrait éviter la reprise des manifestations ou en tous cas limiter le nombre de manifestants. 

Si Hassan Diab se soumet ou démissionne alors Nabih Berri aura gagné au détriment du Liban et du mandat du président Michel Aoun et les manifestants auront donc perdu car ce serait le retour d’un gouvernement dirigé par Saad Hariri qu’ils ont fait chuter. 


[1] Les manifestants font porter à Riad Salamé la responsabilité de la crise monétaire. Ils reprochent à Imad Osmane une répression disproportionnée quand cela touchait à certains intérêts, alors qu’il avait laissé commettre des actes de violence et de vandalisme sans intervenir dans d’autres situations. Et, ils soupçonnent Mohammad el-Hout de népotisme mais aussi de largesse en faveur de politiciens, d’officiers, de juges et de hauts-fonctionnaires.

Par ailleurs, Mohammad el-Hout refuse tout contrôle de l’État sur sa gestion et les appels d’offres alors qu’en tant que compagnie aérienne nationale, la MEA est une entreprise d’utilité publique. Il estime qu’en tant que société commerciale privée, la MEA n’a de compte à rendre qu’à son actionnaire, c’est-à-dire la BdL Or, Riad Salamé et lui sont très proches. 

Wikileaks rapporte que Sami Haddad, alors ministre de l’Économie et du Commerce, aurait affirmé à Jeffrey Feltman, alors ambassadeur des États-Unis au Liban que Riad Salamé et Mohammad el-Hout seraient même amants. https://wikileaks.org/plusd/cables/07BEIRUT794_a.html. Cela n’a toutefois pas été établi.

Le CPL a appelé le parquet à ouvrir une enquête financière et administrative sur la MEA, Mohammad el-Hout, les membres de sa famille et les sociétés qu’ils détiennent directement ou indirectement.

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