Comic strip et Pop art s’invitent au cinéma

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Ce texte se penche sur la réflexion autour des nouvelles formes esthétiques et conceptuelles qui jaillissent et nourrissent l’art contemporain. Il s’articule également sur la relecture de ce dernier au travers d’images cinématographiques.

Peut-on parler d’une BD cinématographique ? Peut-on évoquer une image « hybride » ou même un dialogue entre image esthétique et cinéma ? Une rencontre entre deux univers artistiques différents où les œuvres de Roy Lichtenstein, cet artiste emblématique du mouvement Pop art américain, côtoient les affiches d’archives de films  hollywoodiens célèbres pour nous plonger dans une nouvelle relecture du langage visuel.

Les œuvres de Lichtenstein s’inspirent fortement de la publicité et de l’imagerie populaire de son époque, ainsi que des « Comics », qui décrira lui-même son style comme étant « aussi artificiel que possible ». Notons que La représentation de bandes dessinées dans la peinture est bien antérieure à l’avènement du Pop art. Dès 1924, l’artiste américain Stuart Davis reproduit dans sa composition Lucky Strike un journal où figure un dessin signé du cartooniste Tad Dorgan. Une vingtaine d’années plus tard, ce sont des artistes européens qui exploitent des bandes dessinées dans des collages, tel l’allemand Kurt Schwitters For Käte, en 1947.

À travers ses images exposées en photomontage, le cinéma devient un outil artistique qui explore cette esthétique pop à travers les toiles de Lichtenstein, en jumelant un assemblage d’univers visuels et de styles graphiques.

Ce n’est donc qu’en explorant les visuels cinématographiques et litchtensteiniens, en longeant l’intérieur et l’extérieur des images et les fragments du passé rassemblé que l’on peut appréhender l’enchevêtrement des images et revisiter le passé dans le présent… Les images enfouies, « à l’état latent », n’attendent qu’à être révélées. Dans cette nouvelle composition, ces images revisitées et rassemblées ont un impact et un enjeu psychologiques à travers un voyage intérieur, souhaitant mobiliser le spectateur de façon émotionnelle, et jouent sur la richesse des couleurs choisies et de leur accompagnement harmonique. C’est le cas des séquences sentimentales du cinéma qui procurent de l’émotion : mouvement du corps et mouvement du cœur. Sans cet assemblage, l’image seule demeure plate, limitée et « artificielle ».

« Il reprend dans nombre d’interviews les principes fondateurs du Pop art qui consiste, selon lui, à prendre un objet du quotidien, qui n’est pas artistique, en l’occurrence un extrait de bande dessinée, et en faire un portrait[1]. Mais on peut aussi déceler dans ses propos une forme de « naturalisation » de ses sujets picturaux lorsqu’il estime que « l’art commercial, c’est notre sujet, en ce sens c’est la nature[2]. »

Ces images assemblées ont une esthétique qui rappelle le côté « kitsch » de l’époque. Son dessein serait de donner une seconde vie et fait resurgir des images des films « reproposées » par une nouvelle forme plastique.

Nous pourrions presque parler d’une sorte de « jeu avec le temps » ou « revival » quand la mémoire culturelle ressuscite certains aspects d’une période du passé déterminée et les

« re-propose » sous forme de reworking, de réélaboration plus ou moins fidèle. Le terme « revival » ou « revivalisme » s’impose comme un aspect systématique qui tend à se répandre dans une époque historique bien précise par l’intervention d’un effet de mode inévitablement d’ordre temporel. Un tel désir de redonner vie à ce qui n’est plus semble presque motivé par une affinité pour les plaisirs grotesques et burlesques.

Pourrions-nous parler aussi du come-back de la culture « kitsch » dans l’univers de l’image et son traitement esthétique ses dernières années, que ce soit en photographie ou dans les films, qui ne cesse de se développer et de gagner les esprits ?

Pourrions-nous considérer l’objet kitsch comme un mode de vie ? Cependant, il se laisse identifier par certaines propriétés superficielles récurrentes (couleurs, textures, formes) qui forment un système sémiotique cohérent susceptible de dépasser les différences de genres et de champ générique. Première caractéristique de l’objet « kitsch », ses « couleurs sentimentales » (Moles)[3] : le rose et le violet (à volonté) et le rouge (limité à de petites surfaces). Il présente des formes compliquées, marque une prédilection pour les courbes formant des dispositifs imbriqués (le style « nouille ») et décore les surfaces jusqu’à saturation. Règle inférente, le kitsch tend à l’accumulation frénétique. En ce sens, chaque objet isolé se laisse déjà décrire comme un système sémiotique complexe où couleurs (l’arc-en-ciel), textures et formes s’agencent sur des principes de rimes et de différences.

Sur ces images cinématographiques, en explorant son photomontage, l’artiste a voulu leur donner une forme plastique et pousser sa réflexion en choisissant des films qui riment avec le monde de BD lichtensteinienne. Un voyage dans l’époque des années pop est proposé au spectateur. C’est ainsi que les images cinématographiques intimes se fondent dans la BD de Roy L. Chaque image est soigneusement sortie de son contexte et transplantée dans le comic strip de Roy L. On assiste à une opération chirurgicale et expérimentale visuelle où l’artiste déconstruit et reconstruit des instants clés du film. Entre images filmées et images figées, les nouvelles images renaissent et prennent une dimension surréaliste.

Cependant, il existe des rapports entre bande dessinée et cinéma en adoptant des points de vue non pas linguistiques et textuels mais sociologiques et culturels. Mais comme le dit Matteo Stefanelli, il est nécessaire de « ne plus tant enquêter sur la “nature“ des deux médias et sur leurs rapports qu’analyser certaines configurations de la “culture“ propres à chacun d’eux. La bande dessinée démontre dans ses multiples formes que l’avenir d’un ex média  de masse, est encore d’être pour partie un média de masse, se tournant  par ailleurs vers des œuvres limites, dont les modèles économiques et créatifs sont de plus en plus mixtes »[4].

Nombreux sont aussi les artistes qui utilisent la cinématière[5], « cette autre présence de l’image », pour proposer des œuvres composées de montages d’extraits de différents films, selon une organisation thématique ou formelle. Une bonne partie d’entre eux montre aussi les mécanismes d’icônification des stars du cinéma. D’autres insistent sur la force du cliché se répétant de film en film.

Des messages s’affichent et nous interrogent. C’est à travers ces voix craintives et ces fragments d’un passé recomposé(s)[6]que ces nouvelles images prennent forme et s’entremêlent avec le cinéma; une sorte d’expérimentation qui sollicite nos sens. Quels sont les messages qui surgissent de cet assemblage ? Et quelles sont les lectures d’images de la sémiologie ?

En ce qui concerne le traitement de l’image, la sémiologie et la sémiotique ne sont pas une même discipline doublement désignée, mais deux disciplines qui traitent différemment de la construction des significations des textes-images. Ces deux termes sont synonymes, l’un et l’autre ont pour objet l’étude des signes et des systèmes de signification. La sémiologie postule l’objet (texte, image, film…) comme principal lieu du sens et la langue comme le fondement de tout système de signe. La sémiologie de l’image construit une interprétation plausible et crédible du message véhiculé par le texte visuel, en faisant appel aux instruments d’analyse disponibles dans tous les champs du savoir. Elle relève du « bricolage »  interprétatif, au sens noble du terme.

« La sémiologie construit ainsi une interprétation plausible et crédible du message véhiculé par ce texte visuel. Méthodologiquement, l’analyste jouit de la même liberté que n’importe quel analyste littéraire. Aucune procédure n’est imposée, aucune limitation, imposée par une vraie théorie, ne vient borner l’omniscience de son interprète; il peut faire feu de tout bois, il n’y a pas vraiment de règles pour restreindre la virtuosité de ses comparaisons et de ses références ».[7]

En contrepartie, la sémiotique visuelle s’attache à la forme (du contenu et de l’expression) qu’elle vise à interpréter objectivement – de manière démontrable et donc calculable – au moyen d’une théorie d’ensemble rigoureusement délimitée et de procédures explicites et contraignantes, non didactisables actuellement. En sémiotique, les images sont multiples : cinéma, peinture, photographie, image de synthèse, gravure, affiche, etc. L’approche sémiotique nous aide à mieux comprendre la spécifité de la communication par l’image. Cette dernière peut être non seulement un support mais aussi « reflet », « illusion », « image conceptuelle » ou « mentale », « une ressemblance », « un souvenir ». Cette approche sémiotique permet d’expliquer le point commun entre les diverses utilisations de ces concepts.

Cependant, toutes les images se rangent dans la même catégorie, celle des icônes dans la classification de Charles Pierce, qui distingue parmi l’ensemble innombrable des signes, l’icône, l’indice et le symbole. L’image hétérogène rassemble donc différentes catégories de signes : des images au sens théorique (des signes iconiques analogiques), des signes plastiques (formes, couleurs, compositions internes, textures) et des signes linguistiques (du langage verbal).

 Ce qui précède l’image, c’est l’idée. L’image est la réalisation d’une idée. Mais, si pour comprendre le message, il faut comprendre l’idée, pour comprendre l’idée il faut analyser l’image comme signe. Dans son livre Le Signe, Eco nous parle d’une invasion des signes, non seulement dans une civilisation industrialisée et urbaine mais dans la nature aussi, en évoquant le récit du voyageur Sigma qui avait mal au ventre à Paris. Pour trouver un médecin, il fallait trouver une cabine téléphonique, puis un taxi, prendre un ascenseur et parler une langue. Un petit récit banal qui force quiconque à entrer dans un réseau des systèmes de signes.

Pour conclure, l’enjeu de notre analyse est une démarche esthétique qui prend forme à partir d’une autre ; l’art contemporain prend une dimension qui intensifie son expérience en offrant au spectateur une nouvelle « présence » de l’image.

Photomontage / Assemblage © Haytham Daezly


[1] Entretien avec Alan Solomon, 1966, Roy Lichtenstein, Entretiens, p. 54.

[2]Pour un relevé de ces modifications, voir par exemple Alain Cueff,  Roy Lichtenstein, une peinture contre-nature, in Roy Lichtenstein, ouvrage publié sous la direction de Camille Morineau à l’occasion de l’exposition au Centre Pompidou, 3 juillet au 4 novembre 2013, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2013, p. 36.

[3]MOLES Abraham, Le kitsch, l’art du bonheur, Paris, Denoël, 1977, p. 52. En ligne :

http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1969_num_13_1_1183

[4] MAIGRET Éric, MACE Éric, Penser les médiacultures. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde, Paris, Armand Colin-INA, 2005.

[5]RONGIER Sébastien, Cinématière Art et Cinéma, Paris, Klincksieck, 2015.

[6]DAEZLY Haytham, Fragments d’un passé recomposé(s), Exposition collage, 2013.

[7]ECO Umberto, Dans Les Limites de l’interprétation, Paris, Grasset, 1992 et dans Interprétation et

surinterprétation, Paris, PUF, 1996.

Haytham DAEZLY
Haytham Daezly, originaire de Tripoli-Liban, vit et travaille à Paris. Il est Docteur en Sciences de l'information et de la communication, directeur artistique en publicité, artiste visuel et actuellement médiateur culturel à Paris. Il est l'auteur de : « L’essor de la culture virtuelle au Liban, entre effervescence numérique et instabilité politique : réseaux sociaux, musique en ligne et sites institutionnels ». Mots-clés : #art #culture #médiation #numérique #TIC #Liban Pour avoir une ample idée sur son parcours professionnel et artistique, vous pouvez consulter ses pages en ligne : Lien thèse : http://theses.fr/2016LIMO0062 Lien blog : http://haythamdaezly.tumblr.com/

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