Le Ministre des Affaires Etrangères saoudien, Adel al-Jubeir autrefois bien friand des conférences de presse était, cette fois-ci, bien silencieux jusqu’à hier où s’exprimant sur les ondes de FOXNEWS, il a admis que la mort de Jamal Khashoggi était une « immense et gravissime erreur », et les erreurs, cela se paye parfois fort cher.

Face à l’annonce de la mort du journaliste, le Royaume Saoudien avait d’abord tenté de contenir l’incendie en menaçant de sanctions économiques tout pays qui l’accuserait d’être impliqué dans l’assassinat au lieu de s’interroger sur son rôle ou de l’admettre. Une attitude quelque démontrant une part de responsabilité. La communauté internationale, y compris les alliés les plus proches du Royaume, ne s’y trompent pas, à l’exception notable des régimes du Golfe Persique, et notamment les Émirats-Arabes-Unis et Bahrein ou Riyad dispose d’une forte influence. Souvenons-nous du rôle joué par Riyad et de ses troupes dans l’écrasement du printemps arabe en 2011 à Bahreïn, sauvant ainsi le régime en place.  

Riyad a mis 17 jours à admettre la mort dans l’enceinte de son ambassade du journaliste, ce qu’on ne pouvait en douter en évoquant aujourd’hui « un malencontreux accident », suite à une bagarre entre ce dernier et des membres de son personnel de sécurité. Il est cependant peu probable qu’on puisse admettre cette version saoudienne puisque cela n’explique en rien la présence d’une équipe d’hommes de main proches du prince héritier tout juste arrivé, ou encore celle d’une scie a os dans leurs bagages selon les médias turcs citant des sources proches de l’enquête.

Un semblant d’ouverture

Le Pays se trouve ainsi dans une position bien inconfortable, celle d’une puissance régionale qui pensait jouer dans la cour des grands en raison de son importance économique et son pétrole, mais contrairement à la Russie dans l’affaire de l’empoisonnement Skripal qui a toujours réfuté toute implication au Royaume-Uni, le Royaume Saoudien a dû reconnaitre sa responsabilité et pour cause, en raison du rôle joué par Ankara qui ne lâche pas l’affaire si facilement.

Cette image, désormais bien encornée aux yeux de la communauté internationale, n’était en fin de compte qu’une stratégie marketing bien entretenue, notamment avec l’aide du groupe SCL et l’Homme d’Affaire américain Robert Mercer, déjà impliqué dans le scandale Cambridge Analytica, entreprise ayant facilité l’élection de Donald Trump aux USA. Un bien petit monde en réalité ou beaucoup d’intérêts se côtoient : climatosceptiques aux intérêts pétroliers, lobbies pro-israéliens et anti-iraniens sur les dossiers palestiniens, syriens ou yéménites. 

MBS, un prince qui semblait avoir de nombreux avantages

Pour ces derniers, MBS avait, dans ce plan, de nombreux avantages. Jeune prince héritier, il semblait ainsi pouvoir gérer le Royaume Saoudien pendant de longues décennies et toute l’environnement politique régional semblait rayonner autour de sa personne, avec des relations quasi-personnelles avec le gendre de Donald Trump, le rapprochement officieux avec Israël au grand dam des palestiniens quasi assommés par le peu d’enthousiasme des pays arabes à défendre le statut de la ville Sainte de Jérusalem.

Tout semblait alors lui réussir, visage moderne de l’Arabie Saoudite qu’il souhaitait transformer en sorte de Silicone Valley, il allait à la rencontre des principaux dirigeants économiques mondiaux.

Face à la communauté internationale, le Royaume souhaitait montrer, en effet, un visage moderne, avec l’octroi aux femmes du droit de conduire, l’ouverture économique avec la privatisation d’ARAMCO, ou encore la mise en place rapide de nouvelles industries pour sortir d’une économie de rente pétrolière.

Mais pas d’ouverture politique dans un environnement géopolitique ou les conflits qui ne se comptent plus

En fin de compte, les dirigeants saoudiens ne souhaitent pas que ces réformes puissent aboutir à une ouverture politique nuisible au régime. C’est ainsi que, sur le plan interne, Riyad se défendait bien de montrer un tout autre tableau avec l’arrestation d’activistes demandant une plus grande liberté des droits ou des membres de l’opposition chiite dont certains finiront par être décapité, la mise en résidence surveillée de personnes influentes, hommes politiques proches des anciens dirigeants et qui pouvaient menacer MBS ou encore hommes d’affaire.

Riyad souhaitait, par cette campagne marketing internationale, jouer un grand rôle au Moyen Orient en renforçant son influence, jouant sur dans l’antagonisme entre chiites et sunnites, ses interventions politiques au Liban, dont le dernier écueil en date a été la démission forcée du Premier Ministre Saad Hariri en novembre 2017 suite à son kidnapping, déjà et pour lequel, elle avait déjà dû reculer, à son influence sur des groupes salafistes en Syrie désormais retranchés dans la province d’Idlib ou encore dans son conflit larvé avec l’Iran et la blessure ouverte au sein de son voisin, le Yémen.

Évoquant le dossier syrien et surtout yéménite, il était surtout géré par le prince héritier lui-même. L’affaire Jamal Khashoggi pourrait ainsi ouvrir le dossier yéménite ou l’Arabie Saoudite s’est enlisée, avec à la clé, sa possible destitution, une chose quelque peu ironique quand on constate avec quelle ferveur, il souhaitait écarter toute opposition.

La Turquie en position de force dans le dossier

La Turquie a, en effet, de nombreuses cartes à jouer et non des moindres. Comme dans un jeu de poker, les distiller petit à petit et non les abattre d’un seul coup à de nombreux avantages pour son Président Erdogan.

Ankara pourrait ainsi obtenir des saoudiens des concessions sur les groupes salafistes soutenus dans la province d’Idlib en Syrie, une accalmie concernant le Qatar qui est leur allié et aussi la levée des pressions économiques américaines contre eux.

La Turquie, confrontée à la concurrence Saoudienne dans le Monde Sunnite a désormais un avantage certain et maîtrise la situation. Alliée au Qatar qui était confronté à l’Arabie Saoudite et souffrant d’un véritable blocus après avoir été accusé de « soutenir le terrorisme » en raison de ses bonnes relations avec l’Iran, discutant avec la Russie et l’Iran sur le dossier syrien, dossier sur lequel Riyad est désormais en perte de vitesse au fur et à mesure des défaites des groupes islamiques qu’il soutenait, et ne pouvait se permettre le moindre faux-pas.

Jusqu’à ce qu’ils obtiennent satisfaction, il est fort à faire que les autorités turques aient tout intérêt à faire la lumière ou du moins de temporiser l’enquête sur l’affaire Jamal Khashoggi pour monnayer une sortie honorable pour l’Arabie Saoudite qui a perdu bien des plumes
Quant à MBS, ne pouvant plus être considéré comme un modéré réformiste aux yeux de la communauté internationale, la question même de son maintien comme prince héritier est désormais sur la sellette, en dépit des investissements dont sa personne a fait l’objet.

1 COMMENTAIRE

  1. La tromperie d’un pouvoir quelqu il soit est toujours l’échec commun aux humains.
    Plus il y a transparence, et plus le hasard ambivalent trouve seul une vérité profonde et humaine.
    Mais l’être humain, avide de tout, se laisse croire aux essais de la conscience, par égo de l argent et du pouvoir, même dans les plus basses couches sociales,
    Et ne se rend jamais des comptes à lui-même sur ce qui le rend humain ou inhumain.
    Il y a cette sorte, chez les êtres de toutes catégories, cette sorte de mégalomanie où le sentiment d’aimer son prochain n est qu une tactique mégalomane liée à son égo.
    Ainsi va le monde…

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