Le Président de la République et le Premier ministre désigné ne se sont pas encore entendus sur la composition du gouvernement. Il y a quelques jours, il semblait que les lignes bougeaient enfin dans le bon sens.

En effet, Saad Hariri, le Premier ministre désigné, va être reçu le 22 avril 2021 par le Pape au Vatican. Si le patriarche maronite Béchara Raï a pris position contre le Hezbollah, allié du Président de la République et du CPL, il a reçu Michel Aoun à l’occasion de la fête de Pâques et s’est montré déçu des voyages répétés de Saad Hariri à l’étranger. Le Premier ministre désigné se trouve actuellement aux Émirats arabes unis. L’abbé Nehmetallah Hachem, supérieur général de l’Ordre libanais maronite (OLM), a même apporté un soutien clair au Président de la République. Bkerké (le patriarcat) et Kaslik (l’OLM et ses moines) sont les principales autorités religieuses maronites. Les États-Unis et l’Iran négocient une levée des sanctions américaines en échange d’un respect par la République islamique de ses engagements dans le cadre de l’accord sur le nucléaire signé en 2015. Alors que Saad Hariri cherchait son soutien, l’Arabie saoudite a déclaré par la voix de son ministre des Affaires étrangères le prince Fayçal ben Farhane (interviewé il y a quelques jours par CNN) : « Nous n’appuyons pas de personnes spécifiques au Liban. Nous sommes prêts à nous montrer solidaires tant que la classe politique fait de vraies avancées. » 

Gébran Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL) fondé par Michel Aoun, le Président de la République, devait être invité par la France qui, pour sauver son initiative suite à l’explosion du port de Beyrouth, pensait organiser une conférence comme celle qui s’était tenue à Doha en 2008 avec les chefs des blocs parlementaires ou au moins une rencontre avec le Premier ministre désigné. Toutefois, on apprenait le 6 avril 2021 que Saad Hariri refusait de rencontrer Gébran Bassil. Le lendemain, Jean-Yves Le Drian le ministre français des Affaires étrangères, lançait au Sénat français les mêmes accusations que Saad Hariri à l’encontre de Gébran Bassil, sans toutefois le citer. Le dossier libanais serait repassé entre les mains du Quai d’Orsay (connu pour sa proximité avec Saad Hariri et le « parti Kataëb – parti démocrate social libanais ») qui envisagerait, avec ses homologues européens, des sanctions de l’Union Européenne contre certains dirigeants libanais. 

Le Président de la République a publié un Tweet le 5 avril 2021 mettant en garde le ministère des Finances (le ministre Ghazi Wazni est l’ancien conseiller du Président du Parlement Nabih Berri) et la BDL ou Banque du Liban (le gouverneur Riad Salamé est soutenu par Saad Hariri, Nabih Berri et Walid Joumblatt ainsi que par l’ABL ou Association des Banques du Liban et la Commission parlementaire des Finances et du Budget) avant leur réunion avec le cabinet d’audit Alvarez & Marsal (chargé du « forensic audit » ou audit juricomptable) « contre toute tentative de saboter l’audit juricomptable » et, a-t-il averti, les tient « pour responsables au nom du peuple libanais ». Le 6 avril 2021, la BDL a promis à Alvarez & Marsal de remettre tous les documents demandés d’ici la fin du mois. 

Alors que l’État a signé le 1er septembre 2020 un contrat avec Alvarez & Marsal, la BDL, usant le prétexte du secret bancaire et du Code de la Monnaie et du Crédit, refuse de répondre à 73 des 133 questions posées par le cabinet d’audit. Alvarez & Marsal avait même jeté l’éponge en novembre 2020. Toutefois, en décembre 2020, suite à une missive envoyée par Michel Aoun, le Parlement a levé le secret bancaire sur les comptes de la BDL et des institutions publiques. 

La BDL et le ministère des Finances s’accusent mutuellement d’entraver cet audit juricomptable de la BDL, condition posée par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, les pays du Golfe, la France et l’Union Européenne en vue d’aider le Liban. Le Président de la République semble considérer que ces accusations sont un jeu joué par Nabih Berri et Riad Salamé en coopération avec Saad Hariri, Walid Joumblatt, l’ABL et la Commission parlementaire aux Finances et au Budget. Il considère l’audit juricomptable la mère de toutes les batailles, « peut-être plus difficile que la libération de la terre » car « c’est une bataille contre le corrompu et le voleur, qui sont peut-être plus dangereux que l’occupant ou l’agent ». 

Ainsi, le 7 avril 2021, dans un message adressé aux Libanais et retransmis à 20h à la télévision, il a révélé que la réunion de la veille entre Alvarez & Marsal, le ministère des Finances et la BDL n’a aboutit à aucun résultat concret alors qu’une nouvelle réunion doit se tenir le 9 avril 2021. Il a considéré qu’ « il n’y a aucune volonté réelle de procéder à l’audit juricomptable » d’autant que la décision du Conseil des ministres d’effectuer cet audit a été prise le 26 mars 2020, il y a plus d’un an et que « les négociations ont été remplacées par des correspondances à distance », non entre les responsables mais entre leurs représentants… « Nous allons donc continuer à tourner en rond, sans délai dans le temps, ni garde fous » a-t-il ajouté. 

Michel Aoun a mis en cause Riad Salamé : « Le volume réel des réserves en monnaies étrangères n’était pas connu avec précision et les manques étaient comblés grâce aux fonds des déposants, et cela contrairement à la loi. » Il a ajouté : « À la Banque Centrale, je dis : La responsabilité principale de la situation repose sur vos épaules. Vous avez violé le Code de la Monnaie et du Crédit. Vous auriez dû réglementer l’action bancaire et prendre les mesures nécessaires pour protéger les dépôts des gens dans les banques. Vous auriez aussi dû imposer des critères pour les liquidités. » 

Il a également mis en cause Ghazi Wazni et Nabih Berri qui s’étaient opposés au cabinet d’audit Kroll, le plus grand spécialiste au monde en disant que « des motifs peu convaincants ont été avancés pour empêcher le Conseil des ministres de charger la société internationale Krol de procéder à l’audit juricomptable ». Le Président de la République a rappelé que « le ministre des Finances a reconnu, il y a quelques jours, que la Banque Centrale s’est abstenue de répondre à un grand nombre de questions qui lui ont été adressées par Alvarez and Marsal et a même ajouté que ces atermoiements ont pour but de pousser la société à renoncer à cette mission et à se retirer de l’audit juricomptable, pour que celui-ci ne soit pas réalisé et pour que les criminels restent impunis ».

Le chef de l’État a aussi mis en cause les banques : « Votre responsabilité est claire et vous ne pouvez pas fuir cette réalité. Les gens vous ont fait confiance en remettant leurs fonds entre vos mains. Mais vous vous êtes comportés sans le moindre sens des responsabilités, uniquement soucieux d’assurer un bénéfice rapide, sans tenir compte des risques et sans respecter les règles du métier. » 

Mais aussi l’État : « Les gouvernements, les administrations, les ministères, les Conseils et les commissions sont tous responsables de chaque livre dilapidée au cours des années. Tous doivent subir un audit juricomptable. » 

Enfin, il a appelé les pays qui comme la France « affichent leur solidarité avec le peuple libanais et réclament la transparence au sein de la Banque Centrale et du secteur bancaire, ainsi que des réformes financières et monétaires » à aider le peuple libanais « à dévoiler les opérations de transfert de fonds réalisées après le 17 octobre 2019, qui ont pris l’aspect d’une fuite financière » car « les fonds en monnaies étrangères ont été transférés à partir du Liban vers des banques connues dans les pays du monde » et que « ce genre d’opérations ne peut pas être caché ».

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