Le mémorial de Rafic Hariri, situé à proximité des lieux de l'attentat à Beyrouth. Crédit Photo: François el Bacha pour Libnanews.com
Le mémorial de Rafic Hariri, situé à proximité des lieux de l'attentat à Beyrouth. Crédit Photo: François el Bacha pour Libnanews.com

Après des années où les commémorations de l’assassinat de l’ancien premier ministre se déroulaient place des martyrs, puis au BIEL à Beyrouth, en ce 14 février 2005, 15 ans après, c’est à la maison du Centre, que son héritier politique a décidé que se tiendra la cérémonie.

Année après année, le mythe Rafic Hariri semble ainsi se réduire en peau de chagrin, tout comme l’envergure de ces commémorations.

Il serait hypocrite aujourd’hui d’écrire un article dithyrambique en hommage à Rafic Hariri comme ce que certains faisaient et font toujours années après années. Les chiffres et les faits concernant sa politique économique suffisent à s’en convaincre, sans évoquer le dossier politique.

Et pour cause, le temps n’est plus à certains luxes, le Liban est en crise économique et sociale profonde, des crises dont les piliers mêmes sont à trouver dans les décisions prises lors de ses mandats et qu’il convient de démanteler aujourd’hui.

De l’arrivée au pouvoir en 1993 à sa chute en 1998

Pour arriver au pouvoir, des rumeurs insistantes, de l’aveux même de responsables locaux et internationaux, font état de l’utilisation par Rafic Hariri de l’arme économique pour arriver au pouvoir dès 1992. Ainsi, ses banques et la Bank Med en particulier, ont participé à l’attaque contre la Livre Libanaise, dont la parité face au dollar a glissé jusqu’à atteindre son plus bas historique, à hauteur de 3 000 LL/USD. Face à cette dégringolade, les taux d’intérêts sur la livre ont également atteints leurs plus hauts historiques, jusqu’à 38%. Il s’agissait alors pour l’ancien premier ministre d’écarter de possibles concurrents dont Omar Karamé et d’autres et de paraitre comme l’homme providentiel capable de reconstruire le Liban, étant auréolé de son statu d’entrepreneur.

Rapidement, a été présenté le plan Horizon 2000 qui prévoyait un investissement public de 10 milliards de l’époque sur une période allant de 1993 à 2003 dont le rôle pivot revenait au Conseil de Reconstruction et de Développement (CDR). Parmi les principaux postes de dépense, 2.5 milliards allaient aux transports et 1.8 milliards à l’électricité publique et notamment étaient prévus la construction de nouvelles centrales électriques.
Il était déjà évoqué le fait que l’état fasse appel à des partenariats entre secteur public et privé, avec la création par exemple de 2 réseaux de télécommunications mobiles sous forme de BOT (Built Operate Transfert) Cellis et LibanCell et autre exemple SOLIDERE pour la reconstruction du Centre-Ville, mais qui est également à l’origine de nombreuses polémiques que nous n’aborderons pas présentement.

Ainsi, il était prévu de faire appel à la dette publique pour financer ce programme.

Coté gouvernemental, en 1991, le déficit public brut représentait 49% du PIB en 1993 et atteindra, après le mandat Hariri, 103% du PIB en 1997. Quant à la dette publique nette, elle représentait 38% du PIB en 1993 et 97% en 1997. Le PIB passera de plus de 5 milliards de dollars en 1992 à plus de 15 milliards de dollars en 1997, avec un taux de croissance élevé. Mais à quel prix…
Peut-on imaginer déjà que 90% déjà des revenus de l’état en 1997 étaient absorbés par les paiements des intérêts de la dette publique, selon certains documents du FMI?
En cause, notamment, les taux d’intérêts qui ont été utilisés pour arriver et accéder au pouvoir mais aussi à cause de la politique de stabilisation de la livre libanaise qui a été entreprise parallèlement par Riad Salamé, arrivé dans les bagages de Rafic Hariri.

En évoquant la politique monétaire, parallèlement, cette politique de taux importants décourageant l’investissement privé. Il était donc plus intéressant de conserver son argent à la banque que d’investir dans l’économie réelle. De même, la culture bancaire changera.

Aux projets à long terme, les banques préfèrent des projets dont le retour sur investissement est plus court et plus rentable.
Par les choix effectués lors du plan Horizon 2000, se développeront ainsi le secteur bancaire, le secteur du BTP puisqu’il faut 2 ans pour construire un immeuble et le tourisme, avec des établissements bancaires exigeant un retour sur investissement en moins d’un an. Mais cela a également détruit le peu d’industries qui avaient réussi à survivre à la guerre civile et démantelé le secteur agricole entre autre.

Cela va évidemment aggraver la balance commerciale du Liban même si la balance des paiements restera positive en raison de l’investissement de la diaspora qui s’était retenu durant les 15 ans de conflits précédents et évidemment les taux d’intérêts. Pour stimuler cette entrée de capitaux, parallèlement, une politique de maintien de la parité sera décidée. Il s’agit justement du facteur qui a permis à ce que les symptômes d’une crise profonde n’apparaissent pas dès l’époque.

L’interlude Salim Hoss

Pourtant dès l’époque, la crise aurait pu être évitée, notamment entre 1998 et 2000, lors de l’apparition des premiers signes d’une situation qui dérapait. C’est ainsi que le gouvernement Salim Hoss, avec Georges Corm au ministère des finances avait tenté de mettre en place une politique d’austérité et ainsi de redresser les comptes publics.

Constatant ces dérapages, son successeur, Salim Hoss qui est un économiste, décidera donc de l’instauration d’une politique visant à stabiliser la dette publique et à casser cette dynamique d’endettement qui rapidement pouvait devenir incontrôlable. Ont été mises en place dès 1998, dans le cadre du budget de l’époque, des mesures concernant à la fois les dépenses et les revenus publics. Aussi, face à un endettement public interne important à des taux d’intérêts importants, le recours à des emprunts externes au Liban en dollars mais à des taux d’intérêts moins élevés fut décidé.
Ces 2 mesures visaient à réduire le déficit budgétaire à 15% en 1998 contre 26% de déficit en 1997. Cependant, ces décisions nuiront à la croissance économique qui s’effondrera.

Au retour au pouvoir, Rafic Hariri constate et appelle à l’aide la communauté internationale

Revenu au pouvoir entre 2000 à 2004, le déficit budgétaire et la dette publique ont atteint des taux insupportables et l’économie a sombré dans un marasme, dixit Rafic Hariri.

Le déficit budgétaire avait été réduit par la politique du gouvernement précédent, celui de Hoss, les revenus de l’état étant supérieurs au dépenses publiques mais la dette publique qui était de 30 milliards de dollars continuait à croire en raison des taux d’intérêts qui absorbaient justement 80% des revenus de l’état, la dette libanaise émise durant le mandat Hariri entre 1993 et 1998 s’étendant sur des périodes relativement longues et impossibles à renégocier jusqu’à maturité.

Le Premier Ministre utilisera son carnet d’adresse pour que soient organisées, les conférences Paris I en 2001 et Paris II en 2002 pour laquelle il espérait obtenir 3 milliards de dollars mais pour laquelle il obtiendra 4.4 milliards de dollars. Le Liban s’engagera à mener une série de réformes économiques, fiscales et monétaires, pour tenter de rétablir un équilibre financier et budgétaire.

Déjà à cette époque, et plus particulièrement dans le document de 30 pages présenté par le gouvernement libanais dans le cadre de Paris II, étaient évoqués des mesures de privatisation notamment du secteur de l’électricité publique contre une aide internationale qui n’était pas assortie de garanties comme le programme CEDRE de 2018 ou encore une réduction des taux d’intérêts qui étaient à l’époque de 14% et des réformes structurelles et institutionnelles, de la même nature que celles qu’on évoque encore aujourd’hui. Il sollicitait donc des prêts à taux réduits visant à relancer la croissance économique comme en 2018 lors de CEDRE.

La communauté internationale déjà s’inquiétait pour le Liban, en raison d’une importante dette, qui impactait la situation sociale et économique, et donc capable d’ébranler le Pays des Cèdres.

Il était donc prévu, sur le papier, que le Liban, bénéficiant de ce programme puisse procéder à un redressement financier, à une baisse de moitié du service de la dette publique et de la dette publique et même à un rééquilibrage du budget en 2005. Pour financer ce rééquilibrage, l’état accentuera une politique d’abandon de secteurs économiques entiers au bénéfice du secteur privé et notamment bancaire qui continuera à se développer à son détriment.

Evidemment, cela ne s’est pas passé comme prévu, les déficits publics et budgétaires ont poursuivi leurs dégradations encore aggravés par les crises politiques et circonstances régionales, les promesses de privatisation, de réformes et de restructuration n’ont pas été tenues et ainsi de suite au cours de son mandat.

Et parallèlement, le développement du secteur bancaire, du secteur du BTP etc… participeront à l’augmentation de sa fortune personnelle qui passerait de 3 milliards de dollars en 1992 à 16 milliards de dollars à sa mort, mais cela est une autre histoire…

Les erreurs de Rafic Hariri

Si on exclu les cas de détournements de fonds, l’erreur de Rafic Hariri n’était pas de faire appel à la dette pour reconstruire et stimuler l’économie mais d’avoir une dette dont le service est plus important que le retour sur investissement. Il a ainsi accordé aux secteurs privés des pans économiques entiers profitables au détriment des revenus publics. Ainsi, la structure fiscale a amené à ce qu’aujourd’hui 70% des revenus soient d’origine fiscale, un des taux parmi le plus importants au monde et cela a déséquilibré les comptes publiques comme le prouve aujourd’hui la poursuite des importants déficits budgétaires.

De même, sa deuxième erreur a été de vouloir planifier une économie reposant sur du BTP, de nature cyclique et du tourisme dans un environnent géopolitique instable comme celui du Liban ou de celui de sa région. Ce sont des sources de revenues qui ne sont pas de nature pérennes et garanties.

La troisième erreur a été celle commise dans le cadre de la politique monétaire avec des taux d’intérêts élevés et une politique de maintien de la parité augmentant encore la différence entre la valeur réelle de la livre libanaise et sa parité face au dollar.

Mais évidemment, la principale erreur a été celle de ne pas respecter les engagements pris par le Liban, c’est à dire l’application stricte du programme de réformes présentes lors de ces conférences pour différentes causes, tout comme cela est indéniable que ses successeurs endossent également une part de responsabilité.

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