J’ai été frappé par la franchise du président du Conseil le 6 septembre dernier (à l’occasion de sa conférence de presse après sa visite au port de Beyrouth). Saad Hariri a en effet reconnu que le retard, la corruption et le gaspillage durant ces 11 dernières années sont dus aux divisions et aux conflits au sein de la caste politique. 

Il a ainsi mis le doigt sur le vrai problème du Liban : la lutte que se livrent les différentes communautés religieuses pour le pouvoir. Cette lutte bloque toute solution politique, freine tout développement socio-économique et fait exploser l’endettement du pays. Elle paralyse tout, y compris le ramassage et le traitement des ordures ; et, permet à nombre de puissances régionales et internationales de s’immiscer dans les affaires intérieures libanaises.

Ces divisions ne datent pas de 2008 mais depuis la création de l’État du Grand-Liban, avant même « l’utopie des embrassades historiques de Gemmayzé et de Basta » (selon l’expression consacrée de Georges Naccache) en 1943. Elles ont ensuite été exacerbées par le nationalisme arabe d’Abdel Nasser, l’établissement par Arafat d’un État – palestinien – dans l’État – libanais –, la guerre, les occupations syrienne et israélienne et, plus récemment, le conflit régional opposant l’Arabie saoudite et l’Iran. 

Aux divisions entre chrétiens et musulmans, ce sont ajoutées depuis 2005 les divisions entre sunnites et chiites, entre sunnites et alaouites, entre chiites et druzes, inter-sunnites, inter-druzes et inter-alaouites mais aussi interchrétiennes (sous fond de conflit sunnites-chiites). Cette atomisation des divisions a atteint son paroxysme le 7 mai 2008 lorsque sunnites, chiites, druzes et alaouites se sont affrontés. 

On voit le Hezbollah prêtant allégeance au guide suprême de la Révolution islamique iranienne. Le « terrorisme d’État » de l’empire ottoman dénoncé par le président Aoun à l’occasion du lancement des célébrations du centenaire de l’État libanais a suscité des remous au sein de la rue sunnite qui était plus proche de la dialectique turque que libanaise.  L’incident inter-druze de Qabr Chmoun a bloqué le pays pendant près de deux mois. Enfin, le dernier problème en date, autour de l’appartenance territoriale de Kornet el Sawda, suscite une mini-guerre civile larvée ! Ces allégeances tantôt aux Ottomans, tantôt aux Arabes, tantôt aux Iraniens, font voler en éclat le partenariat interlibanais fondateur de 1920.

Pas de place et plus de temps pour des demi-mesures même si celles-ci sont appelées « réformes ». Trois solutions s’imposent : la neutralité (I), le régionalisme (II) et l’État civil (III). Celles-ci sont liées.

I- La neutralité

Aucune communauté ne peut imposer aux autres ses amitiés ou inimités envers une puissance étrangère. Tous les conflits survenus au Liban étaient et sont le prolongement ou la cristallisation de conflits régionaux et internationaux.  Le seul cadre pouvant immuniser le Liban est la neutralité positive et permanente reconnue et garantie par la Communauté internationale, pas une simple distanciation. Cette neutralité empêcherait d’une part, le Liban de plonger dans des conflits régionaux et, d’autre part, que des conflits internes éclatent pour des motifs régionaux. Elle renforcerait ainsi la stabilité interne du Liban nécessaire au développement et à la paix en le protégeant des ingérences extérieures ; et, permettrait de vaincre « la Peur de l’autre partenaire » dans cette même nation. La neutralité créerait alors un sentiment d’appartenance nationale et citoyenne aux Libanais.

II- Le régionalisme

Pour développer le Liban et transformer la lutte que se livrent les communautés pour le pouvoir en compétition régionale saine, il faut donc changer de mode de gouvernance. Le régionalisme va plus loin que les mécanismes de déconcentration administrative (prévus par l’accord de Taëf) sous l’appellation de décentralisation administrative car il octroie aux régions des organes législatifs et exécutifs propres et élus ainsi que des pouvoirs étendus. La responsabilité des intérêts communs resterait entre les mains de l’État qui est un et indivisible. Le régionalisme favoriserait une concurrence économique et sociale entre les régions et permettrait de pallier les carences et les défaillances de l’État central. D’autre part, le régionalisme répondrait à une double volonté : celle d’une démocratie de proximité avec une citoyenneté engagée. Cela permettrait de résoudre plus rapidement les problèmes locaux (notamment les compétences budgétaires, l’éducation, la santé, l’environnement, l’électricité, etc.), renforcerait la cohésion nationale et garantirait à l’État un espace politique lui permettant d’agir et de réguler efficacement cette nouvelle gouvernance. 

III- L’État civil

Pour libérer les Libanais des statuts personnels de leurs communautés et en faire des citoyens à part entière, il faut faire de l’État la référence au lieu de la communauté. Il faut passer d’une appartenance et d’une identité communautaires à une appartenance et à une identité citoyennes libanaises. Pour ce faire, un code civil unifié du statut personnel pourrait être établi. Un mariage civil facultatif serait reconnu. Le code civil assurerait en effet la liberté, l’égalité et la dignité des citoyens libanais et la cohésion entre eux. Il intègrerait les articles de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ainsi que ceux de la Déclaration des Nations Unies sur l’Élimination de la Discrimination à l’égard des femmes et ceux de la Convention internationale des droits de l’enfant. 

Au Liban, il y a un peu moins de 2 000 villages avec très peu de villages mixtes sunnite-chiite, sunnite-druze, chiite-druze. En revanche, les chrétiens vivent avec les sunnites, les chiites, les druzes et les alaouites sur toute l’étendue du territoire national. Ils sont un facteur de paix, d’unité et de stabilité et jouent un rôle de « tampon » entre les différentes communautés musulmanes. La culture de « l’acceptation de l’autre partenaire » et du « vivre ensemble » est rendue possible par la présence chrétienne. Chrétiennes, chrétiens, il faut se réveiller ! Le Liban a besoin qu’on reprenne le rôle fondateur et historique qu’on a eu dans la création de l’État du Grand-Liban il y a près de 100 ans. Nous devons renforcer notre participation afin de renouveler ce Rêve libanais et de bâtir un État fort, libre et moderne sur les 10 452 km2, qui garantirait à tous les Libanais de vivre en toute liberté, égalité, sécurité et dignité.

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